L’article que je présente ci-après était destiné à être publié dans une nouvelle revue en 2005, à l’instigation de notre regretté le Pr. Pascal Baba COULIBALY (paix à son âme) s’inspirant de Jean Paul Sartre et d’autres intellectuels qui, au lendemain de la seconde guerre mondiale, avaient lancé la revue « COMBAT ». La nôtre devait se différencier par le pluriel « COMBATS ». Il s’agissait, à notre manière, de relever le défi de la Renaissance africaine à travers la thématique de la bonne gouvernance, de la culture, de l’éducation et de l’emploi. Etaient parties prenantes entre autres, le Dr. Ousmane SY, Alioune Ifra N’DIAYE, la Dr. Kadiatou TOURÉ, Adama SY, Fabrice DEMBÉLÉ, Bréma Ély DICKO.
Pour le numéro 00, nous devions travailler en binômes. Dr. Kadiatou TOURÉ et moi avions eu le thème de la bonne gouvernance mais en raison de sa charge de travail, elle n’a pas été disponible et j’ai rédigé seul l’article. En plus, j’ai écrit un second texte avec comme titre “Convergence pour l’action positive“ qui exprime à mon sens l’esprit dans lequel ces combats devaient être menés. L’entreprise est restée à l’état de projet car il y a eu des défections inexpliquées dans nos rangs.
Ces articles sont restés dans le tiroir. L’actualité en ce mois d’octobre 2021 est perturbée par les sorties peu honorables des officiels français (Ministres des Affaires Etrangères et de la Défense, Président de la République) contre le peuple malien qu’ils prétendent aider. Car nul n’est dupe aujourd’hui sur les raisons de la présence militaire française au Mali et au Sahel. Les autorités françaises veulent faire un chantage moral en évoquant le sang versé de leurs soldats pour le Mali. Ce faisant ils espèrent provoquer une amnésie collective concernant le sang des Maliens et d’autres Africains répondant au nom générique de Tirailleurs sénégalais, sang versé pour libérer la France du joug nazi. Je laisse à d’autres voix le soin de raviver ces souvenirs. Sans prétention, mon propos veut apporter à la jeune génération une information consommable et mobilisatrice « hors des sentiers universitaires ».
Depuis le XIXème sommet franco-africain tenu à Ouagadougou en décembre 1996, le concept de bonne gouvernance a fait irruption dans le langage des dirigeants politiques africains.
C’est un concept de plus qui est venu à son heure (après l’élection de Jaques CHIRAC à la présidence de la France) et dont la fonction première était de redonner confiance aux peuples africains désabusés après le grand bluff de « La Baule » de Mitterrand, en les faisant espérer de nouveau sur des changements qualitatifs dans la manière dont leurs pays sont gérés. Mais comme pour La Baule, le temps est passé par là avec son cortège de désillusions.
La même année 1996, le Président Nelson MANDELA au cours d’un périple en Afrique de l’Ouest, avait martelé face à la presse à Bamako puis à Lomé, que l’Afrique du Sud n’était pas une République bananière.
A l’époque, j’ai tenté d’attirer l’attention sur cette sortie de MANDELA (dans « Le Républicain » N°187 du 10É04É96), en écrivant que ce n’était pas un banal propos, le symbole qu’il est ne pouvant se le permettre. En effet, on percevait aisément à travers ces mots le souci de se démarquer d’une certaine image, caractéristique de la plupart des régimes politiques africains peu soucieux de l’observance des règles de la démocratie. La République Sud-africaine post-apartheid (la Nation arc-en-ciel selon MANDELA) sous la direction de l’A.N.C. devait montrer au monde sa capacité d’exister en tant qu’Etat de droit et de démocratie pluraliste. Sur ce plan, MANDELA n’a pas démérité et il a fait preuve d’une grande sagesse en ne se représentant pas pour un second mandat à la présidence sud-africaine.
Oui, la République Sud-africaine n’est pas une République bananière. Le successeur de MANDELA, Tabo MBEKI, vient de le confirmer ce mardi 14 juin 2005 en prenant courageusement la décision de démettre de ses fonctions son vice-président Jacob ZUMA, face aux forts soupçons de corruption qui pèsent sur ce dernier. Pratique hautement conforme aux attentes en matière de démocratie, même si elle ne manquera pas de provoquer l’ire des partisans de ZUMA.
La bonne gouvernance consiste à conduire les affaires publiques dans le sens de l’intérêt collectif, dans le strict respect des règles juridiques en vigueur et en toute transparence. Il s’agit pour nos gouvernants d’impulser l’émergence de véritables Etats de droit et d’introduire dans nos mœurs la culture démocratique. C’était cela la mission historique des Pères de l’indépendance, bénéficiaires du transfert de pouvoir de la part des anciennes puissances colonialistes. La plupart ont malheureusement succombé à la tentation du pouvoir personnel et ont institué des régimes autoritaires avec l’objectif prioritaire de pérenniser leur règne. Toutes choses qui ont hypothéqué le développement de l’Afrique.
Il n’est pas inutile de rappeler que l’émergence de l’Etat en Occident est le résultat d’un progrès dans la conscience politique des gouvernés. Cela a eu pour conséquence, de dissocier le chef qui commande du droit de commander, permettant ainsi de subordonner l’exercice du commandement au respect de règles préétablies, au rang desquelles la transparence et l’obligation de rendre compte.
Car les gouvernants ne mettent pas en œuvre une puissance qui leur est personnelle, mais celle qui appartient à l’Etat. L’Etat, dit BURDEAU, est le titulaire abstrait et permanent du pouvoir, dont les gouvernants ne sont que des agents d’exercice essentiellement passagers. Là nous sommes loin de la conception du pouvoir répandue dans nos pays.
Les Etats africains postcoloniaux sont des émanations de la volonté du colonisateur. Les problèmes auxquels ils sont actuellement confrontés ont leur lointaine source dans la manière dont la décolonisation est intervenue. On sait que le Président des Etats-Unis d’Amérique, Franklin ROOSEVELT a fait accepter à Winston CHURCHILL (le chef de la Grande Bretagne en guerre, seule contre l’empire hitlérien au faîte de sa puissance) le principe de l’émancipation des peuples du monde, colonisés ou exploités, au nombre des conditions pour son entrée dans le conflit aux côtés de ce dernier. A la fin de la guerre il a fallu tenir ses engagements. La Charte des Nations Unies (signée à San Francisco le 26 juin 1945) proclama en son article 1, paragraphe 2 « le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes » invoqué comme le fondement juridique de la décolonisation. Mais entre la profession de foi et son exécution pratique, les intérêts économiques égoïstes des puissances colonialistes prédominèrent encore. Cela s’est traduit essentiellement par la mise en œuvre d’une solution de rechange insidieuse. Le transfert de pouvoir se fit au profit des élites présumées favorables à la préservation de ces intérêts, vidant le principe d’autodétermination de son contenu véritable.
On peut toujours discuter sur les intentions ou les motivations qui ont prévalu à la formation des Etats africains postcoloniaux. Mais il est indéniable que celle-ci n’est pas le résultat d’une quête autonome authentique des peuples concernés, hormis l’exemple de l’Algérie qui a permis de devancer les évènements dans les colonies françaises et d’octroyer l’Indépendance qui allait être arrachée. Ainsi, De GAULLE se serait exprimé : « J’ai desserré les liens avant qu’ils ne se rompent ».
« La décolonisation n’entraîne pas seulement l’indépendance… Elle est l’entrée, de gré ou de force, dans un système d’Etats-Nations dits souverains qui est devenu mondial et auquel il est difficile d’échapper ». (M. Alioune DIOP l’a dit clairement dans un numéro de Présence Africaine dès 1959).
Pour Jean ZIEGLER, « protonation » est le terme le plus indiqué. La protonation, dit-il, est aujourd’hui la forme de société la plus répandue en Afrique. Elle est une pure création de l’impérialisme premier, mise en place avec l’assistance des impérialismes secondaires au moment où, au sortir de la Deuxième Guerre mondiale, le système de domination planétaire du capital redéployait, rééquilibrait, réorientait sa stratégie.
La désormais célèbre conférence de La Baule fut un subterfuge de même nature avec l’appel lancé par le Président Mitterrand à ses pairs africains pour l’ouverture démocratique. Les dirigeants successifs de la France jusqu’à lui avaient assisté et cautionné toutes les dérives qui étaient maintenant montrées du doigt. La Baule n’était que de la poudre aux yeux des africains, pour se dédouaner et sauver la face afin de pouvoir contrôler le mouvement de démocratisation en gestation, suite aux changements intervenus en Europe de l’Est.
Le sommet de Ouagadougou avec le concept de bonne gouvernance aura donc permis au successeur de Mitterrand, le Président Chirac (qui pense que la démocratie est un luxe pour les Africains) de rééditer l’exploit.[1]
Il faut s’en convaincre, la bonne gouvernance n’est pas et ne sera pas un cadeau offert aux peuples par les gouvernants. Elle est ou sera une conquête des peuples qui, parce qu’ils auront été suffisamment informés, n’accepteront plus que leur avenir soit hypothéqué par les comportements irresponsables de leurs dirigeants. Ils fixeront donc aux actions de ceux-ci, les limitent qu’ils estiment raisonnables.
Mais cette mission d’information des peuples incombe maintenant à la société civile, aux forces progressistes. Car il apparaît clairement qu’elle se trouve aux antipodes des objectifs poursuivis par les professionnels de la politique qui, quelle que soit leur couleur, ont partie liée avec le capital financier multinational qui a tout à perdre avec la démocratisation de nos pays.
La bonne gouvernance est l’exercice du pouvoir conformément aux règles préétablies dans la Constitution, rien que la Constitution, toute la Constitution. Encore que, de nos jours, il faille s’assurer que cette Constitution ne contient pas de dispositions rétrogrades, antidémocratiques et liberticides.
On peut noter quelques critères (non exhaustifs) de visibilité en matière de bonne gouvernance :
- La moralisation de la gestion des ressources publiques ;
- L’application égalitaire de la loi à tous les citoyens ;
- La transparence dans tous les actes publics ;
- Le respect des principes de la démocratie (notamment, fait majoritaire et statut de l’opposition, séparation des pouvoirs et indépendance de la justice) ;
- Le contrôle périodique de tous les offices publics ;
- La sanction sans restriction des manquements à la loi et à l’ordre public ;
- L’organisation d’élections libres, transparentes, régulières et équitables ;
Pour paraphraser Frantz FANON, ce n’est pas par un appel à la raison qu’on amènera les dirigeants à mettre en œuvre ces principes qui, en fin de compte, les dépouillent de leur « toute puissance ».
Bamako, le 26/06/2005
[1] SARKOSY a trouvé son concept : La Rupture. HOLLANDE a géré les acquis et voilà que MACRON invente à son tour un nouveau concept, un « Sommet Afrique-France» avec les jeunes de la société civile, sans les dirigeants africains et croit pouvoir tel un prestidigitateur, mystifier les Africains. On ne peut pas lui en vouloir, il est dans son rôle. Les dormeurs doivent se réveiller.
MADJOUM TRAORE
Source: NOUVEL HORIZON