Après deux ans d’âpres travaux, le vote de la Constitution tunisienne touche à sa fin. Mais rien n’est encore définitivement joué. Quatre points pour mieux comprendre un processus complexe et laborieux dont l’achèvement marquerait un nouveau départ pour le pays, trois ans après la révolution.
L’Assemblée nationale constituante (ANC) a entamé le 3 janvier 2014 le vote “article par article” de la Constitution tunisienne, étape cruciale et solennelle du processus de refondation des institutions. Les 217 Constituants se sont fixé pour objectif d’achever leurs travaux avant le mardi 14 janvier à minuit, date qui marquera le troisième anniversaire de la révolution et de la chute du régime de Zine el-Abidine Ben Ali. Un délai qui semble d’ores et déjà compromis : jeudi 9 janvier à la mi-journée, 45 articles seulement avaient été adoptés, alors que le texte en compte 146.
- La procédure d’adoption : un vote en deux étapes distinctes
La loi constituante n°2011-6 du 16 décembre 2011, relative à l’organisation provisoire des pouvoirs publics, définit les modalités juridiques pour l’adoption de la loi fondamentale. Le vote s’organise en deux étapes distinctes.
Dans un premier temps, le projet de Constitution est discuté et voté article par article, à la majorité absolue des membres (109 voix).
Dans un second temps, le texte doit être adopté dans son ensemble à la majorité des deux tiers. Une deuxième lecture peut être demandée, dans un délai ne dépassant pas un mois, si le seuil fatidique des 145 voix n’a pas été atteint. Si le blocage persiste, le projet dans son ensemble est soumis à référendum. Une telle perspective n’arrangerait personne : elle polariserait les esprits et prolongerait de plusieurs mois une transition qui n’a déjà que trop duré au goût des Tunisiens. Un rejet du texte par les électeurs risquerait en outre de plonger le pays dans une situation de crise inédite. Il serait synonyme de désaveu cinglant pour la Constituante et de retour à la case départ, avec tous les aléas, politiques et économiques, que comporterait un tel scénario.
- Deux ans de travail et de critiques et trois versions successives
Prévus pour durer une année au maximum, les travaux se sont étalés sur plus de deux ans, et ont été émaillés d’incidents et de coups de théâtre. Élue le 23 octobre 2011, l’Assemblée constituante a tenu sa première réunion le 9 novembre 2011, pour procéder à l’élection de son président – Mustapha Ben Jaâfar (Ettakatol), candidat de la troïka au pouvoir, l’avait emporté sur l’opposante Maya Jribi (PDP). Les 217 élus ont commencé à plancher en commissions sur le texte de la nouvelle Constitution en janvier 2012. Ils ont fait l’objet de vives critiques : trop payés, trop souvent absents et inefficaces.
Un premier “projet de brouillon” présenté en décembre 2012 a semé la consternation. Verbeux et touffu, il ne tranchait pas la question, pourtant essentielle, du régime politique (parlementaire, présidentiel ou mixte), qui avait fait l’objet des plus vifs désaccords en commission. L’ANC a revu sa copie, avec l’aide d’experts cette fois, et finalisé un avant-projet, dévoilé le 22 avril 2013. Amélioré, amendé et partiellement réécrit par la commission de rédaction et de coordination, ce texte forme l’ossature du projet de Constitution présenté officiellement le 1er juin 2013, mais loin de faire l’unanimité.
- Le rôle déterminant de la commission des consensus
Une commission ad hoc, présidée par Mustapha Ben Jaâfar, la commission des consensus – lejnat el tawafukât – a alors été mise en place pour régler les points litigieux et aplanir les divergences. Forte de 22 membres, elle a dégagé les grandes lignes du compromis actuellement discuté en plénière. Elle a remis son rapport le 28 décembre 2013. L’ensemble des points ayant fait l’objet d’un accord ont été votés avec majorité confortable.
Chaque Constituant disposait théoriquement d’un droit d’amendement au cours de la discussion du texte article par article. Plus d’un millier d’amendements en ce sens ont été déposés. Leur examen aurait engendré un retard insurmontable. En accord avec la commission spéciale et les principales forces politiques, la présidence de l’Assemblée a choisi d’écarter les trois quarts des amendements, qui avaient été présentés par les élus au mépris de la discipline partisane. Au final, seuls 286 amendements ont été retenus.
- La méthode de la feuille blanche : un choix malheureux
La méthode de la feuille blanche, adoptée par la présidence de l’Assemblée, apparaît rétrospectivement comme une décision particulièrement malheureuse, qui est à l’origine d’une perte de temps considérable. En choisissant de repartir de zéro ou presque, les élus se sont volontairement privés du travail des différents groupes d’experts volontaires, qui avaient planché en 2011 sur des projets de nouvelles constitutions démocratiques. Certaines commissions ont “aggravé leur cas” en refusant, dans un premier temps, de se faire assister par des constitutionnalistes.
Résultat : le “projet de brouillon” dévoilé en décembre 2012 a été jugé catastrophique. Presque illisible, rédigé en un style déclamatoire parfaitement inadéquat, regorgeant d’incohérences et de contradictions, il a dû être repris dans sa presque totalité. À noter que sur 217 élus, l’Assemblée ne compte qu’un seul juriste spécialisé en droit public : le constitutionnaliste Fadhel Moussa, doyen de la Faculté des Sciences Juridiques de Tunis II, élu sous les couleurs du Pôle Démocratique Moderniste / Al Massar.
Source : Jeune Afrique