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Clément Dembélé : « Si le procureur ne nous répond pas, nous irons voir le Chef de la Magistrature »

Depuis quelques mois, le Président de la Plateforme de lutte contre la corruption et la pauvreté, Pr Clément Dembélé, mène le combat contre 8 000 fonctionnaires et responsables d’institutions listés par l’Office central de la lutte contre l’enrichissement illicite (OCLEI). Dans cet entretien, l’ancien porte-parole des Bâtisseurs jure de faire bouger les lignes.

 

Qu’est-ce qui vous a poussé à déposer plainte contre 8 000 personnes?

Ce ne sont pas seulement des fonctionnaires. Il y a des députés, des maires, des conseillers régionaux qui sont visés par notre plainte. Nous dénonçons le non respect et la non application de la loi 00145 de 2014, votée par l’Assemblée nationale et promulguée par le Président de la République le 27 mai 2014, qui dit que tout fonctionnaire ou personnalité qui est ordonnateur de l’argent public doit déclarer ses biens. La liste cite le Président de la République, les Présidents des institutions, les magistrats, les chefs d’État-major de l’armée, les comptables, les régisseurs, les préfets… Elle a été établie par l’OCLEI. Ce n’est pas nous qui l’avons chiffrée, c’est l’OCLEI. Mais les syndicats et le ministre du travail ont négocié un consensus pour ramener la liste à 1 473 personnes, majoritairement des préfets. Nous sommes partis sur la base de la loi du 27 mai 2014, renforcée en 2017, qui dit que vous devez non seulement déclarer vos biens mais aussi ceux de votre conjoint ou conjointe et de vos enfants, même mineurs. Depuis la promulgation de cette loi, elle n’a jamais été respectée. Nous avons fait quelques meetings devant l’OCLEI pour lui demander de la faire appliquer, mais son Président nous a dit qu’il était bloqué parce que le SYNTADE ne veut même plus qu’il communique et a réussi, avec l’accord du gouvernement malien, à l’empêcher de convoquer les gens pour déclarer leurs biens. L’OCLEI est une coquille vidée de sa substance, pourtant c’est près d’un milliard qui lui est versé chaque année pour son fonctionnement. Nous pourrions demander la démission du Président Moumini Guindo, mais il n’est que le maillon faible. Nous avons fait des vérifications : ce sont des hommes politiques liés au  régime et aux syndicats qui bloquent le travail. Nous avons déposé une plainte de dénonciation le 5 juillet 2019 auprès du Procureur général près de la Cour d’appel de Bamako. Ce qu’on lui demande n’est pas compliqué : que la section des Comptes fasse son travail. Personne n’a jamais été radié ni obligé de déclarer ses biens au Mali.

N’avoir pas déclaré ses biens fait-il de quelqu’un un corrompu ?

Nous ne les avons pas accusés de corruption, contrairement à ce que certains pensent. Nous avons dénoncé le fait qu’ils refusent de se soumettre à la loi et à déclarer leurs biens. Nous avons fait une plainte de protestation, non d’accusation. Nous n’avons encore de réponse du Procureur général, ce qui nous obligera bientôt à descendre dans les rues de Bamako et à aller demander à IBK, à Sebenikoro, de faire appliquer la loi. Si le procureur ne peut pas défendre le peuple malien, le peuple ira voir le Chef de la Magistrature à son domicile pour lui demander de faire appliquer la loi. Nous ne viendrons pas pour un coup d’État, mais on ne partira pas tant qu’IBK n’aura pas radié ces fonctionnaires ou ne les aura pas obligés à déclarer leurs biens.

Vous étiez pendant  l’élection présidentielle le porte-parole des Bâtisseurs. Puis vous êtes devenu un chantre de la lutte anti-corruption. Comment expliquer cela ? 

Je ne me prends pas pour un chantre. Aux Bâtisseurs, mon ambition était de rassembler des hommes politiques autour d’un même projet de société fiable et d’une vision politique structurée. C’est pour cela que j’ai retiré ma candidature. Pourquoi se présenter en rangs dispersés pour obtenir 0,25 ou 1% des voix et dépenser 25 millions alors que cet argent pourrait permettre de réhabiliter une école ? Finalement, chacun est allé déposer sa candidature. Le Mali continue et le peuple malien est toujours là. Nous, de la nouvelle génération, devons faire de la politique autrement, rompre avec la vieille école politicienne et montrer au peuple qu’un homme politique c’est la constance. Depuis 1991 il y a le multipartisme, mais le fameux kokadjé n’a jamais eu lieu. On a reproché à Moussa Traoré d’être un dictateur. Les démocrates maliens sont au pouvoir depuis presque 30 ans, mais qu’est ce qui a changé ? Je me suis dit : si tu veux faire de la politique, il faut apporter des réponses au peuple malien, une vision et des solutions. Pourquoi n’y a-t-il pas de routes alors qu’il y a des subventions ? Pas d’électricité alors qu’il y a un ministère dédié ? Cela fait 700 ans que nous, exploitants d’or, ne sommes pas capables de ramasser des ordures dans les rues de Bamako, avec plus de 2 200 milliards de francs CFA de budget.

L’université, après 16 ans d’études, produit des chômeurs. Ce n’est pas un problème d’argent, le Mali n’est pas pauvre. Ce n’est pas non plus parce que nous sommes incompétents. Les jeunes d’aujourd’hui sont plus compétents que ces vieux-là.  Quand le problème du nord du Mali a redémarré, en 2012, j’ai lu dans les premiers discours des rebelles que les fonds alloués au développement étaient détournés à Bamako. Je ne suis pas dans des justifications, mais il faut qu’on dise la vérité. Dans les régions du nord, il devrait y avoir des universités, des CHU, des autoroutes, etc. Le dénominateur commun, c’est la corruption. Nous sommes dans un système de vol, de mensonge, de détournements. Un fonctionnaire malien construit une maison pour 60 à 80 millions alors que son salaire n’atteint pas 1 million et personne ne dit rien. Ce système arrange tout le monde. Il faut s’activer à apporter quelque chose à son peuple sans attendre d’être président.

L’histoire me donne raison, avec les hélicoptères cloués au sol, l’avion présidentiel, les affaires Bakary Togola, etc. Tous les rapports d’enquêtes montrent que le peuple ne fait pas confiance à sa justice. Après les élections, on a l’impression qu’il n’y a plus d’hommes politiques au Mali. Je suis en train de combler le vide, parce que la nature a horreur du vide.

Pour certains, vous êtes plutôt en train de «  vous faire voir », surtout après avoir dit que vous étiez « l’homme le plus instruit du Mali »…

Mon ambition n’est pas de me faire voir. Tu te fais voir quand tu n’es pas connu. Et je démens ces propos. Je n’ai jamais dit que j’étais l’homme le plus instruit. Mes propos ont été déformés par un journal. Je ne dirai pas cela parce que mes enseignants sont là. J’ai dit que la responsabilité de la corruption incombait aux intellectuels maliens. Ceux qui ont fait de grandes études sont responsables, parce que quand vous connaissez les choses vous devez informer les gens. Si vous ne le faites pas, que vous êtes complice. Je ne me dédouane pas, j’en fais partie. Le Doctorat est le diplôme le plus élevé. Tu peux faire des formations et obtenir le professorat, mais ce n’est pas un diplôme mais un titre. Être agrégé est possible même avec une licence. Il y a tellement de combats à mener que tout le monde peut se faire voir. J’encourage même les gens à monter au créneau. Si c’est par le populisme que le Mali doit changer, je serai l’homme le plus populiste de l’histoire. Si c’est par la « grande gueule », je serai le plus grand « gueulard ». Il n’y a pas de méthode académique ou savante, c’est la finalité qui compte. Le populisme, que je définis comme le fait d’alerter la population et de s’en approcher, manque au Mali. Les hommes politiques maliens vivent dans leur tour d’ivoire, avec des V8 aux vitres teintées et des gardiens.

Journal du mali

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