Ce samedi après-midi, Bamako s’est réveillée à une tension politique palpable. Les abords du Palais de la Culture Amadou Hampâté Bâ, symbole culturel et lieu d’expression publique, se sont transformés en une arène politique où se sont confrontées deux visions du Mali. D’un côté, une coalition de partis politiques appelant à un retour à l’ordre constitutionnel ; de l’autre, des citoyens venus exprimer leur soutien aux autorités actuelles de la Transition. Si l’atmosphère était chargée, la maturité globale des manifestants a évité un affrontement violent, offrant une scène complexe mais révélatrice du moment politique malien.
Une mobilisation sous haute surveillance
Bamada.net-Dès 14 heures, un impressionnant dispositif sécuritaire a été déployé aux alentours du Palais. L’entrée principale a été fermement gardée par les forces de l’ordre, interdisant tout accès à la grande salle prévue pour accueillir un meeting des partis politiques membres d’une coalition favorable à un retour rapide à la démocratie pluraliste. Des fouilles méticuleuses ont été effectuées dès le premier pont Martyrs, jusque devant le portail du Palais, filtrant toute tentative d’entrée. Des instructions fermes, manifestement issues d’un niveau élevé de commandement, ont été mises en œuvre avec rigueur.
“Nous ne reculerons pas”
Malgré les restrictions, la mobilisation n’a pas fléchi. Le mot d’ordre avait été clair : rassemblement citoyen et pacifique pour la défense des principes républicains. Hamidou Doumbia, secrétaire politique du parti YELEMA, a été l’une des voix les plus applaudies. “Nous ne voulons pas l’affrontement, mais nous ne reculerons pas devant l’obligation morale de défendre la démocratie”, a-t-il déclaré devant une foule attentive. Des slogans tels que « Vive la démocratie ! » ou « Non à la dictature ! » ont été scandés avec insistance par des militants déterminés, brandissant pancartes et drapeaux nationaux, sans aucune allusion hostile à des nations étrangères.
La jeunesse, en première ligne
Au-devant de la scène, une figure émerge : le jeune Cheick Oumar Doumbia, dit COD, porté par une jeunesse debout et engagée. Sa popularité, grandissante, est symbolique d’une nouvelle génération de leaders civils, qui refusent les invectives et les violences, préférant les arguments, les textes de lois, et la force morale. Leur message : la démocratie ne doit pas être reléguée à un projet de luxe. Elle est un droit. Un devoir même.
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“Nous sommes prêts à mourir pour nos droits”, a lancé un jeune manifestant, le poing levé. À ses côtés, des femmes, des intellectuels, des cadres politiques, tous réunis autour d’une même conviction : la dissolution des partis politiques, la prolongation de la Transition sans échéance électorale claire, et la désignation d’un président sans élection, sont des actes qui méritent un débat national transparent et inclusif.
Une contre-mobilisation bien visible
En face, des partisans du pouvoir en place ont investi les lieux avec leurs propres slogans : « Vive Assimi ! », « Vive l’AES ! », « À bas les politiciens ! ». Pour eux, il ne s’agit pas d’un rejet de la démocratie, mais d’une volonté d’en finir avec un système jugé corrompu et inefficace. “Le peuple ne veut plus vendre son vote pour 2 000 francs”, a lancé un des manifestants, perché sur une camionnette, sous les acclamations de ses camarades.
Cette polarisation met en évidence une fracture politique importante : entre ceux qui défendent le retour au pluralisme républicain tel qu’issu de la Constitution de 1992, et ceux qui estiment que la Transition offre une opportunité de refondation, quitte à redéfinir les règles du jeu politique.
Le Forum des forces vives : la charnière de la controverse
Jeudi dernier, les conclusions du Forum des forces vives du Mali, initié par les autorités de la Transition, ont ravivé les inquiétudes. Parmi les propositions marquantes : l’élévation du Président de la Transition au rang de président de la République pour cinq années, sans passage par les urnes, la suspension de toute élection, et la dissolution des partis politiques actuels. Des propositions qui, bien qu’issues d’un processus consultatif, sont perçues par une frange de la population comme une tentative de verrouillage du paysage politique.
À cela s’ajoute l’adoption, en Conseil des ministres, d’un projet de loi visant à abroger la charte des partis politiques de 2005. Pour beaucoup, ce texte était le socle légal du multipartisme au Mali. Sa suppression, si elle venait à être entérinée, poserait la question cruciale de la représentativité et de la participation à la vie publique.
Une opposition responsable, un peuple vigilant
La journée du samedi a montré une chose essentielle : malgré la frustration, les leaders politiques et leurs militants sont restés dans une démarche pacifique. Samba Coulibaly, président du parti NEMA, a appelé au calme et à l’évitement de tout débordement. De même, le PACP, par la voix de Fouraba Samaké, a réaffirmé son engagement à défendre la démocratie dans le respect strict de la légalité.
Cette posture, empreinte de responsabilité, est à saluer. Elle montre que les clivages idéologiques n’empêchent pas une conscience citoyenne éclairée et déterminée. La foule, bien que empêchée d’entrer, est restée digne, évitant tout affrontement physique avec les partisans de la Transition ou avec les forces de l’ordre.
Une Transition face à ses promesses
En 2021, la Transition s’était engagée à rendre le pouvoir aux civils au terme d’un processus de stabilisation. Trois années plus tard, l’incertitude domine. L’idée d’un report du retour à l’ordre constitutionnel, couplée à une suppression du multipartisme, fait craindre une régression démocratique. Toutefois, il serait simpliste d’y voir une volonté unique d’accaparement du pouvoir : la réalité sécuritaire du Mali, les défis géopolitiques dans la région, et les pressions sociales internes, constituent un contexte difficile à ignorer.
Mais c’est précisément dans les contextes les plus difficiles que se révèle la grandeur d’un peuple. Et celui du Mali, à travers cette mobilisation pacifique et résolue, en a donné une démonstration éclatante.
À Bamako, le débat est lancé. Il ne s’agit pas de choisir un camp, mais de défendre ensemble les principes qui garantissent la stabilité, la justice, et l’unité. Le Mali, en quête d’équilibre, mérite une voix plurielle. Et cette voix ne pourra s’exprimer que dans le respect des libertés fondamentales.
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Fatoumata Bintou Y
Source: Bamada.net