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Centrafrique – Tchad : la déchirure

Idriss Déby président tchadien  François Bozizé ancien président centrafricain

Accusés de collusion avec les rebelles de l’ex-Séléka, les Tchadiens, qu’ils soient soldats de la Misca ou civils installés de longue date à Bangui, sont la cible de la vindicte populaire. Comment des relations jadis paisibles ont-elles pu virer à l’aigre ?

Scènes d’horreur à Bangui. Depuis un mois, des civils tchadiens y sont traqués et lynchés. “Plusieurs collègues de l’université ont été lapidés et découpés en morceaux avec des machettes”, témoigne un étudiant tchadien de 25 ans qui a réussi à regagner N’Djamena. Les rumeurs les plus folles circulent. “L’ambassade de Centrafrique à N’Djamena a été rasée. Il faut attaquer l’ambassade du Tchad à Bangui”, peut-on lire sur Facebook. C’est faux, bien sûr. Mais Bangui bascule dans l’irrationnel. Pour la première fois, le Tchad a dû affréter avions et camions pour évacuer de Centrafrique vingt mille de ses ressortissants.

À l’origine de ces tueries, la colère. De nombreux Banguissois accusent les quelque 800 soldats tchadiens de la Mission internationale de soutien à la Centrafrique (Misca) de collusion avec les ex-rebelles de la Séléka, qui ont pris le pouvoir en mars dernier et multiplient les exactions. “Le Tchad est le maître de la Séléka, et la Séléka est son chien d’attaque”, lance un membre des milices d’autodéfense anti-balakas, qui attisent le feu. Réplique du président tchadien, Idriss Déby Itno, dans son message de nouvel an : “Nous sommes profondément choqués par une campagne de dénigrement et de mensonge systématiques contre notre pays, l’accusant de soutenir la Séléka. Je défie quiconque de fournir à l’opinion internationale la preuve de ces allégations.”

Le Tchad a aidé le général Bozizé à s’emparer de Bangui

De tradition, la Centrafrique et le Tchad s’entendent bien. Saras, Goulas, Roungas… De nombreuses ethnies vivent de part et d’autre de la frontière. À partir de 1979, des milliers d’habitants du sud du Tchad ont fui la guerre civile et se sont réfugiés en Centrafrique. Éleveurs et commerçants musulmans venus du Tchad se sont aussi installés sans problème dans ce pays chrétien à 80 %. À Bangui, beaucoup se sont regroupés au “kilomètre 5”. Aujourd’hui, un habitant tchadien de ce quartier se lamente : “J’ai toujours vécu ici, mes enfants sont nés ici, je ne comprends pas.”

Jusqu’en 1996, les deux pays ont entretenu une relation d’égal à égal. Mais cette année-là, une violente mutinerie éclate à Bangui contre le président Patassé. En janvier 1997, le Tchad envoie un détachement à la Mission interafricaine de surveillance des accords de Bangui (Misab). Trois mois plus tard, c’est ce contingent qui vient à bout des mutins. “Le sang a coulé, se souvient un officier français. Dans les quartiers ouest de Bangui, les automitrailleuses tchadiennes ont tiré à l’horizontale au canon de 20 mm.” Dès lors, Idriss Déby Itno prend le pas sur le doyen de la sous-région, le Gabonais Omar Bongo Ondimba, et devient de facto le principal protecteur d’Ange-Félix Patassé.

En mars 2003, le président tchadien se ravise. Soupçonne-t-il Patassé d’avoir soutenu les rebelles tchadiens Moïse Ketté – assassiné en avril 2000 – et Abdoulaye Miskine ? Est-il agacé par l’arrivée à Bangui d’un petit contingent libyen et d’­avions de combat prêtés avec leur équipage par le colonel Kaddafi ? Lassé d’un régime qui subit des mutineries à répétition, il aide l’un des chefs de la rébellion centrafricaine, le général Bozizé, à s’emparer de Bangui. “C’est vrai que le Tchad nous a appuyés, reconnaît aujourd’hui un chef rebelle de l’époque. Le général Daoud Soumaïne était notre interlocuteur à l’état-major tchadien, et l’aide passait par le poste frontière de Sido.”

Pourquoi le Tchad a-t-il lâché Bozizé ?

Dix ans plus tard, l’Histoire semble bégayer quand le Tchad lâche le régime Bozizé. Pourquoi cet abandon ? Certains évoquent une rivalité pétrolière. Avant la chute de Bozizé, il est vrai qu’une compagnie chinoise s’apprêtait à forer aux environs de Boromata, au nord-est de la Centrafrique, tout près de la frontière tchadienne. Mais rien ne prouve que N’Djamena en ait pris ombrage. D’autant que, quelques jours avant sa chute, le très prudent Bozizé confiait encore à Jeune Afrique que l’or noir, s’il existait, serait évacué par un oléoduc connecté au pipeline Tchad-Cameroun. D’autres insistent sur l’alliance Bozizé-Zuma. De fait, fin 2012, les relations Bozizé-Déby se sont gâtées quand le président centrafricain a renvoyé les éléments tchadiens de sa garde et a fait venir un petit contingent sud-africain à Bangui. À l’instar de Patassé avec les Libyens, Bozizé a voulu jouer la carte sud-africaine pour desserrer l’emprise tchadienne. Mais cela n’explique pas tout.

Comme en 2003, le président tchadien s’est surtout inquiété de la faiblesse du pouvoir de Bangui face à ses opposants armés. “Depuis toujours, Déby sait que, pour lui, le vrai danger vient des confins du Tchad, analyse un proche du Quai d’Orsay, à Paris. Il n’a aucune ambition territoriale sur la Centrafrique, mais il veut un pouvoir fort à Bangui pour sécuriser ses frontières et ne pas avoir de problèmes chez lui.”

En décembre 2012, lors de la première offensive des rebelles de la Séléka, le contingent tchadien de la Force multinationale de l’Afrique centrale (Fomac) arrête les assaillants à 70 km au nord de Bangui. En mars 2013, il les laisse passer. Rapports de gendarmerie à l’appui, François Bozizé accuse même N’Djamena d’avoir envoyé à la Séléka un renfort d’une quarantaine de pick-up. Le Tchad dément catégoriquement.

Pourquoi le président tchadien a-t-il hésité trois mois avant de laisser tomber son protégé ? Après le coup d’arrêt de décembre 2012, “une conférence à Libreville a accouché d’un accord très favorable au président Bozizé, explique Moussa Faki Mahamat, le ministre tchadien des Affaires étrangères. Mais cet accord n’a pas été appliqué, et il en est le principal responsable”. Un ancien ministre centrafricain avance une autre explication : “Les Tchadiens ont bloqué l’offensive rebelle tant qu’ils ne maîtrisaient pas la Séléka. Leur homme de confiance chez les rebelles, c’était Noureddine Adam, qui était basé à N’Djamena. Depuis mars 2013, cet officier est le numéro deux de la Séléka. Sans doute ont-ils obtenu des garanties.”

Le problème, c’est que la Séléka a dérapé. Près du tiers de ses quelque six mille combattants sont d’origine tchadienne. Et beaucoup se sont comportés en véritables soudards. “Il y a certains mercenaires tchadiens dans les rangs de la Séléka”, reconnaissait Moussa Faki Mahamat en octobre. Depuis, une quinzaine d’entre eux ont été arrêtés et rapatriés au Tchad. Y a-t-il eu connivence avec des éléments tchadiens de la Fomac, devenue Misca ? “Certains mercenaires sont d’anciens officiers tchadiens démobilisés. Ils ont retrouvé des frères d’armes dans le contingent tchadien”, confie un membre de l’état-major de l’ex-Fomac. “Idriss Déby ne nie pas qu’il y a eu collusion. C’est pourquoi, à la tête de son contingent, il a remplacé le colonel Djibril Oumar par l’un de ses neveux, le général Ousman Barh Itno”, ajoute une source proche du ministère français de la Défense. Autre homme de confiance du chef de l’État tchadien : le général de gendarmerie Mahamat Béchir Chérif Daoussa. Cet ancien secrétaire d’État à la sécurité est aujourd’hui son ambassadeur à Bangui.

Fusillade : un simple problème de coordination

Les soldats tchadiens vont-ils rester dans la capitale ? Après l’arrivée sous quinzaine d’un détachement rwandais, l’état-major de la Misca envisage de les redéployer dans le nord de la Centrafrique. Mais l’Union africaine leur renouvelle sa confiance. Officiellement, la fusillade du 23 décembre entre Tchadiens et Burundais de la Misca est présentée comme “un simple problème de coordination”. Et le commissaire de l’UA à la paix et à la sécurité, l’Algérien Ismaël Chergui, clame : “Tout ce qui se raconte sur les soldats tchadiens, nous n’y croyons pas. Nous les encourageons dans leur mission au sein de la Misca.” De son côté, Jean-Yves Le Drian, le ministre français de la Défense, rentre d’une tournée en Afrique centrale avec la certitude, comme dit l’un de ses conseillers, que le président tchadien est toujours “le boss”. Commentaire d’un diplomate français : “En Centrafrique, Déby reste incontournable. Et Hollande ne peut pas lui demander de s’en aller alors qu’il a besoin de lui au Mali.”

Source : Jeune Afrique

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