Quand un pays en vient à un niveau tel que ses propres fils et filles sont capables de se découper en morceaux par des machettes, de voir les uns brûlaient vivant les autres, il y a lieu de s’arrêter un moment, de se poser des questions et surtout de trouver des solutions efficaces et rapides avant d’arriver au pire.
Certes, nous connaissons de la RCA un pays politiquement instable depuis son accession à l’indépendance, mais l’intensité de la violence dans laquelle ce pays est plongé depuis plusieurs mois dépasse tout entendement. La banalisation de la mort a atteint un tel point qu’il n’est plus permis à personne de se taire. Aucune valeur qu’elle soit morale, religieuse ou politique ne peut justifier la situation de chaos qui sévit en ce moment dans ce pays africain. Mais, comme il n’est pas permis de juger à l’avance une situation sans la comprendre, de porter un doigt accusateur sur les uns ou de compatir avec les autres, il nous incombe avant toute chose de nous renseigner sur la situation de ce pays, son histoire, ses composantes ethniques et culturelles, ses rapports avec l’ancienne puissance coloniale, avec ses voisins et les enjeux que représente ce pays pour les décideurs de ce monde. Une fois cela fait et les causes du mal détectées ou élucidées, il sera plus aisé pour nous de proposer des solutions crédibles et argumentées.
La Centrafrique appelée aussi RCA (République Centre Africaine) est un pays d’environ 623.000 km carrés, plus grand que la France son ancienne puissance coloniale et peuplée d’environ 5 millions d’habitants. La RCA est frontalière du Cameroun à l’ouest, du Tchad au nord, des deux Soudan à l’est et des deux Congo au sud. Par ses frontières, on réalise d’emblée que ce pays a presque un pourcentage égal de voisins de confession chrétienne et musulmane. C’est donc une zone à cheval entre deux civilisations, entre deux entités, entre deux mondes antagonistes bien avant l’accès aux indépendances. C’est aussi une zone de transition entre des peuples de la savane africaine généralement musulmans et commerçants et des peuples de la forêt équatoriale qui sont restés pendant longtemps à l’abri de contact avec l’extérieur jusqu’à l’arrivée des explorateurs, missionnaires, soldats et colons européens. La Centrafrique compte plus de 80 groupes ethniques, des chrétiens catholiques et protestants et des animistes, adeptes des religions traditionnelles africaines. Ce pays est une ancienne colonie de la France et portait le nom de l’Oubangui Chari qu’il partageait avec le Tchad à partir de 1910 dans un ensemble appelé Afrique Équatoriale Française avec pour capitale Brazzaville au Congo.
Après son accession à l’indépendance en 1960, la RCA devait faire face à des problèmes politiques très sérieux qui se poursuivent encore aujourd’hui. À un moment clé de son histoire alors que le pays avait besoin d’être dirigé par une grande personnalité politique fédératrice et visionnaire, la RCA eut la malchance d’avoir un président plutôt mal informé sur la situation sociale et politique du pays, Barthélémy Boganda. Puis ce fut autour d’un certain David Dacko qui sera renversé quelques années plus tard en 1976 par son cousin, un tocard de la dernière heure, ancien soldat de l’armée coloniale française sans véritable formation et complètement inapte à diriger un pays qui prend les commandes. Jean Bedel Bokassa pour ne pas le nommer était soutenu et ouvertement appuyé par la France l’ancienne puissance coloniale qui n’a pas encore dit son dernier mot surtout en ce qui concerne l’exploitation et le partage des ressources minières dont regorge ce pays. Mais devant les abus du dictateur Bokassa, ses alliés finiront par le lâcher. Il s’agit en l’occurrence de la France comme nous l’avons préciser mais aussi du Tchad qui n’est rien d’autre qu’une doublure de la puissance coloniale dans la sous-région. En septembre 1979, « l’opération Barracuda», organisée par la France, renverse Bokassa et remet au pouvoir David Dacko. En effet, depuis quelques temps Bokassa se rapprochait de plus en plus de Kadhafi dont la politique au Tchad est en contradiction complète avec les intérêts français (affaire de la bande d’Aouzou, terrorisme internationale, ingérence, etc.). David Dacko lui succède encore brièvement. Il sera chassé du pouvoir en septembre 1981 par le général André Kolingba, qui établit un régime militaire. André Kolingba restera au pouvoir jusqu’en 1993, année où, suivant le courant de démocratisation lancé par le sommet de La Baule initiée par F. Mitterrand, les premières élections multipartites ont lieu et Ange-Félix Patassé est élu président de la République. C’est le baptême de feu pour la RCA qui intègre les pays démocratiques en Afrique. Mais diriger un pays habitué aux instabilités politiques et qui représente un enjeu économique important pour la sous-région, pour l’ancienne puissance coloniale et pour les multinationales étrangères n’est pas une chose facile. C’est pour cela et pour certainement d’autres raisons stratégiques qu’Ange Félix Patassé, pourtant le seul président démocratiquement élu, va être abandonné par ses “alliés” puis renversé par un coup d’État militaire. En effet, le général François Bozizé réussit, avec l’aide de militaires français (deux avions de chasse de l’armée française survolaient Bangui pour filmer les positions des loyalistes pour le compte de Bozizé) et de miliciens tchadiens (dont une bonne partie va rester avec lui après son installation au pouvoir), un nouveau coup d’État et renverse le président Patassé. Le général Bozizé chasse alors les rebelles congolais qui appuyaient son rival. Ce coup d’État fut non seulement accepté comme une lettre par à la poste par la France mais aussi les grandes puissances de ce monde qui sont plus préoccupées par leurs propres intérêts que des questions de démocratie, de droit de l’homme ou de solidarité en Afrique. Ainsi, à la fin des années 1990, les « compagnies juniors » canadiennes, investies dans plus de 8000 propriétés minières, dans plus de cent pays, pour la plupart encore à l’état de projet, multiplient les contrats avec des pays africains parmi lesquels la République centrafricaine, où elles ont cependant du mal à se faire une place, la Colombe Mines, possédant les principaux sites diamantifères. Le Canada comme la plupart des pays occidentaux ferme ses yeux sur la situation politique et continue de faire ses affaires.
Malgré sa soi-disant démocratisation du pays en organisant et remportant les élections, F. Bozizé n’a jamais réussi à contrôler ce pays de plus en plus livré à des rebellions et des règlements de compte de tout genre. C’est dans ce contexte que naît un mouvement de coalition originaire du nord du pays et comme d’habitude appuyé par le Tchad. Dénommé Seleka, cette coalition réussit à chasser Bozizé et à prendre le pouvoir. Une fois arrivée au pouvoir, cette coalition fut aussitôt présentée par les médias occidentaux comme une rébellion religieuse de confession musulmane et soutenue par des pays musulmans comme le Tchad. C’est cette façon de présenter la Seleka qui a mis réellement le feu aux poudres. Ce qui se passe en ce moment en RCA est surtout un résultat d’une mauvaise interprétation d’un problème d’un pays instable depuis des décennies. Mais malgré cette instabilité, les Centrafricains ont toujours vécu en solidarité et fraternité entre chrétiens et musulmans mêmes à des moments les plus difficiles. Mais cette fois c’est la presse qui a dressé les fils et filles de ce pays les uns contre les autres. Michel Djotodia est avant tout un Centrafricain qui a profité d’un système fragile comme Bokassa, Dacko ou Kolingba l’ont fait avant lui. D’ailleurs même si Djotodia est musulman appartenant donc à une minorité d’environ 10 pour cent, force est de reconnaitre que c’est un musulman très proche des chrétiens, la preuve il porte un prénom chrétien Michel, mais cela les média en ont fait abstraction. En Afrique, appartenir à une minorité n’a pas toujours été source de problème même si les dirigeants n’est pas toujours élu démocratiquement. Il y a des pays où des présidents issus d’une minorité confessionnelle ont régné pendant des décennies sans que les populations ne se soulèvent (Amadou Ahidjo au Cameroun, Léopold Senghor au Sénégal, ou plus proche de la RCA, Omar Bongo au Gabon et son fils Ali Bongo musulman, etc.). La presse étrangère a une lourde responsabilité sur ce qui se passe en ce moment en RCA (même si les responsabilités sont plus que partagées comme nous l’avons bien mentionné).
Maintenant que la situation est arrivée à ce niveau, il faut agir en responsable. Que tous ces gens, ces pays, ces organismes qui ont profité des richesses de ce pays, qui se sont immiscés dans les affaires de ce pays ne le laissent pas tomber car ils sont comptables de ce qui se passe. En premier la France, ce pays a le droit et l’obligation d’intervenir et d’aider la RCA pour retrouver la paix et la sécurité car c’est la France qui a créé et administré la RCA avant de lui donner une indépendance fictive. Elle doit sauver les Centrafricains menacés dans leur propre pays. La France ne peut pas faire deux poids deux mesures: si elle a réussi à chasser les islamistes du Mali, intervention que nous avons saluée, elle doit aussi empêcher que des musulmans soit tués comme des mouches à Bangui ou que des chrétiens et animistes soient lynchés dans les régions du nord. Nous sommes clairs là-dessus, la France doit intervenir et déployer toute son énergie pour aider à ramener le calme. En dehors de la France, ce sont aussi les Centrafricains eux-mêmes qui doivent arrêter cette spirale de violence car ne rien dire dans ces moments de chaos signifie être en accord avec ce qui se passe. Tout ce que la société centrafricaine regorge d’élites, d’intellectuels, de leaders d’opinion, de chefs religieux ou coutumiers, etc. doivent se faire entendre au plus vite. Les pays de la sous-région de leur côté doivent apporter une réelle contribution et éviter que cette situation ne dégénère. Si rien n’est fait, vous verrez demain des Tchadiens tuer des minorités chrétiennes, des Soudanais faire pareil, ce sera le brouhaha dans le nord Cameroun, la situation sera intenable entre congolais musulmans et chrétiens et les conséquences peuvent être pire encore et se répercuter jusqu’au Gabon. Avec ce conflit centrafricain, c’est le cœur de l’Afrique qui est frappé. L’Union Africaine dont les membres se réunissent en ce moment à Addis-Ababa en Éthiopie doit réagir vigoureusement, l’Afrique dans sa totalité doit faire preuve de solidarité, de fermeté et de rapidité face à ce danger centrafricain qui si rien n’est fait donnera lieu à un deuxième génocide rwandais; pire encore une déstabilisation de toute une région. L’Afrique ne peut pas se développer si ses populations se sentent menacées et peuvent être tuées sans raison. La presse étrangère doit aussi arrêter de présenter les conflits en Afrique sous l’angle ethnique ou confessionnel, c’est plus complexe que cela et la vérité est à chercher ailleurs sur d’autres terrains non ethniques ni religieux.
Dr Amadou Ba
Université Laurentienne Sudbury ON Canada.
beewdoo@gmail.com