A 59 ans, la maire de Bangui a été élue hier, lundi 21 janvier, présidente de la République. Une première dans l’histoire de l’Afrique centrale. Par 75 voix contre 53 à Désiré Kolingba, elle a été choisie par le Conseil national de transition pour conduire la transition centrafricaine jusqu’aux élections. L’ancienne femme d’affaires est-elle prête à relever les terribles défis de son pays ? En ligne de Bangui, Catherine Samba-Panza répond aux questions de Boisbouvier.
Vous êtes la première femme présidente de l’histoire de la Centrafrique. Qu’est-ce que cela vous inspire ?
Catherine Samba-Panza : Beaucoup d’émotion parce que les femmes centrafricaines attendaient ça depuis longtemps et elles ont commencé à désespérer parce qu’il n’y avait pas de candidates dans les diverses élections de ces dernières années et d’avoir pu y aller est une fierté pour toutes les femmes centrafricaines.
Et ces derniers jours est-ce que certains se sont dit : ‘C’est une femme, elle n’y arrivera jamais’ ?
Oui, beaucoup ! C’était à la limite du découragement. C’est vrai que beaucoup m’ont dit que les gens ne sont peut-être pas encore prêts à se faire commander par une femme. Mais il n’y avait pas que les femmes qui m’ont soutenue et qui m’ont encouragée. Il y avait beaucoup de jeunes. En tout cas, on sentait que la population voulait une rupture. La population ne voulait plus d’homme politique. Et j’ai senti au sein de la population ce désir d’avoir une femme qui puisse apaiser, réconcilier.
Il y avait d’autres candidats sérieux ! Qu’est-ce qui a fait la différence en votre faveur : est-ce votre indépendance ? Votre caractère tenace ?
Oui, je crois, un peu de tout cela : mes convictions, ma présence auprès des populations à chaque fois qu’il y a eu des crises, ma disponibilité…
Tout le monde ne vous connaît pas encore très bien. Est-il vrai que vous êtes née au Tchad, d’un père camerounais et d’une mère centrafricaine ?
Tout à fait. C’est ce que j’ai dit dans mon discours : je suis un pur produit de l’intégration sous-régionale, puisque j’appartiens à trois pays en fait, même si je n’ai qu’une seule nationalité. Ce brassage culturel m’enrichit, me permet d’avoir une ouverture d’esprit et m’interdit toute xénophobie.
Il y a une semaine, vous n’étiez pas la candidate préférée des pays qui envoient des troupes à Bangui. Ils avaient d’autres candidats en tête. Est-ce que cela ne risque pas de vous compliquer un petit peu la tâche ?
Je ne pense pas. Ils ont pris acte que la population centrafricaine voulait certainement une femme à la tête de ce pays pour rompre un peu avec le mode de gouvernance qui a prévalu jusque-là. Donc, je pense que la Communauté internationale va m’accompagner, va me donner l’appui nécessaire pour me permettre de mettre en œuvre mon action.
Vous avez fait carrière dans le privé, à la tête d’une société d’assurances. Aujourd’hui, les enjeux sont beaucoup plus politiques qu’économiques. Quelle est votre expérience en matière politique ?
Je suis peut-être dans le secteur des assurances, mais depuis les premières mutineries de 1996 j’ai été impliquée dans la gestion de la chose publique, la réconciliation, la médiation. J’ai fait partie des instances très importantes des résolutions de conflits, de dialogue. J’ai une certaine expérience, quand même.
Après l’arrivée de François Bozizé au pouvoir en 2003, vous avez même co-présidé le Forum de Réconciliation nationale. Etes-vous une experte du dialogue ?
Absolument. Vous savez, les Centrafricains ont toujours en mémoire mon image, tenant la main au président David Dacko [premier président de Centrafrique, 1960-1966, ndlr] et au professeur Abel Nguéndé Goumba [vice-président centrafricain 2003-2005, et Premier ministre en 1959] pour les réconcilier, alors qu’ils étaient en froid depuis plus de quarante ans ! Je pense que c’est comme ça que j’ai été découverte.
Pourtant, malgré cette belle image en effet, qui a eu lieu grâce à vous, cela n’a pas ramené la paix. La guerre a continué. Quelles sont les erreurs de 2003 qu’il ne faudrait pas commettre à nouveau aujourd’hui ?
D’abord, souvent nous ne respectons pas nos engagements. En plus, nous n’appliquons pas les textes. Et puis ensuite, il y a la course vers l’exercice du pouvoir qui fait que les politiques instrumentalisent souvent un certain nombre de problèmes, tribaux, religieux, identitaires.
Vous êtes de confession chrétienne. Après les tueries à caractère religieux, est-ce que les musulmans pro-Seleka ne risquent pas de vous regarder avec une certaine méfiance ?
Je ne pense pas, parce que j’ai toujours été très ouverte. J’ai toujours eu de très, très bonnes relations avec les uns et les autres à cause de mon ouverture d’esprit, en voulant avoir avec moi toutes les tendances, toutes les sensibilités politiques et nationales, c’est un avantage.
Avant votre élection de ce lundi, avez-vous parlé avec des chefs de la Seleka pour les rassurer ?
Pour les rassurer, non. Mais de par mes activités en tant que maire de Bangui, j’ai eu à être en contact avec aussi bien certains chefs de la Seleka que des anti-balaka. Ce sont des gens qui me font confiance. Maintenant que je suis à la tête de l’Etat, nous pourrions certainement envisager quels types de dialogue on pourrait instaurer pour détendre un peu l’atmosphère politique, militaire, de la vie du pays.
Envisagez-vous de nommer un Premier ministre de confession musulmane ?
Je n’ai aucune animosité (à ce propos)… Je cherche des compétences. Je vois un gouvernement de technocrates avec une forte probité morale. Si j’ai un Premier ministre qui répond à ces critères et qui est de religion musulmane, je ne vois pas pourquoi je ne le nommerai pas.
Mais la vice-présidente du CNT vous a prévenue, ce ne sera pas une partie de plaisir.
Elle n’a pas besoin de me prévenir ! J’en ai conscience moi-même !
La transition, tout le monde n’est pas d’accord sur sa durée. Doit-elle se terminer avant la fin de l’année comme le souhaitent les Français ? Peut-elle durer jusqu’en 2015, voire en 2016 ?
Non. Je pense que le calendrier initialement prévu, de février 2015, est tenable. Toute précipitation pourrait être préjudiciable, notamment des contestations de résultats. Je pense que certains partenaires envisageaient de raccourcir ce délai, simplement parce qu’il y avait des problèmes au sommet de l’Etat. Mais maintenant, la donne a changé. L’administration est complètement à terre. Le problème d’état civil est très, très sensible en ce moment. Je pense que toute précipitation serait à éviter.
Combien de temps vous donnez-vous pour nommer un Premier ministre et former un gouvernement ?
Mercredi ou jeudi. En tout cas il sera nommé d’ici deux ou trois jours.
Et quel sera le premier pays où vous ferez un déplacement ?
Je ne sais pas encore. Je viens d’arriver. Laissez-moi le temps de m’installer.
rfi