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Bras de fer entre le Mali et la CEDEAO : les vérités du Dr Sall

La rubrique ‘’L’invité de la semaine’’ de Ziré, votre hebdomadaire préféré d’analyses, d’enquêtes et d’informations générales, reçoit cette semaine Dr Abdoulaye Sall, président du Cercle de Réflexion et d’Information pour la Consolidation de la Démocratie au Mali (CRI 2002) et ancien ministre des Relations avec les Institutions. Avec lui, nous avons parlé des négociations entre le Mali et la CEDEAO. C’est un entretien réalisé le 6 juin 2022 en partenariat avec le site d’informations générales, ‘’www.afrikinfos-mali.com’’. Lisez plutôt !


Ziré : Dr. Sall, présentez-vous à nos chers lecteurs !

Dr Abdoulaye Sall : Je m’appelle Dr Abdoulaye Sall, je suis président de CRI 2002 qui est le Cercle de Réflexion et d’Information pour la Consolidation de la Démocratie au Mali et je suis également ancien ministre des relations avec les institutions. Je suis aussi le contact national de Transparency International.

Nous sommes pratiquement à cinq mois de l’embargo imposé sur le Mali par la CEDEAO et l’UEMOA. Vous, en tant qu’acteur de la société civile, quel est le constat que vous faites de ces sanctions jugées illégales et illégitimes ?

D’abord, les choses sont en train de se clarifier. Parce que vous parlez de CEDEAO et UEMOA qui sont deux institutions qui n’ont pas les mêmes statures et qui n’ont pas non plus les mêmes membres. C’est vrai que tous les membres de l’UEMOA sont dans la CEDEAO, mais également dans la CEDEAO, il y a des pays lusophones et des pays anglophones qui ne sont pas liés par les banques centrales.

Ensuite, clarification aussi sur le plan économique. On pensait que quand on frappait le Mali avec des sanctions, le pays allait tomber dans dix ou quinze jours. C’est ignorer que nous, nos économies sont des économies informelles. Cela est valable pour les pays de l’intérieur. Quand je parle de pays de l’intérieur, il s’agit du Mali, du Burkina Faso et du Niger. Nos économies sont beaucoup plus informelles que formelles. Ce qui veut dire que les échanges financiers monétaires passent entre individus. C’est ce qui fait que le pays a pu tenir cinq mois et bientôt six mois. Aussi, vous aurez dû frapper un pays occidental où le formel est à 95%, il va s’écrouler en quelques jours. Ce qui n’est pas le cas pour les pays de l’intérieur.

Autre constat, je pense que les chefs d’État et de Gouvernement de la CEDEAO ont vu les réactions des peuples. Ça veut dire en réalité qu’il faudrait carrément revisiter l’UEMOA et la CEDEAO pour en faire des institutions du 21e siècle. C’est-à-dire des institutions qui vont répondre aux attentes et aux aspirations de leurs peuples respectifs. C’est-à-dire, passer d’une CEDEAO et une UEMOA des chefs d’Etat à des institutions pour les peuples de l’espace.

Quatrième constat, je pense que le fait d’avoir frappé le Mali par cet embargo, les chefs d’Etat en ont tiré également des leçons. Parce qu’on a vu qu’ils ont été très prudents quand il s’agissait du Burkina Faso et de la Guinée Conakry. Ensuite, je vois qu’ils ont pris pour le cas du Burkina, comme médiateur, un ancien président du Niger qui connait mieux la zone et ses réalités qu’un président Nigérian. GoodLuck Jonathan est un ancien président d’un État fédéral. Un pays anglo-saxon qui n’a pas les mêmes systèmes politiques, les mêmes réalités sociales et pas même le même type de gouvernance que le Mali.

Voilà pourquoi je pense que le président de la transition et son gouvernement ont bien fait d’aller chercher un facilitateur qui est le président togolais, le général Faure Gnassingbe, qui fut militaire puis politique et qui est de la zone UEMOA, mais aussi qui connaît le système politique de la région du Sahel. Je pense que ce choix de prendre un facilitateur est une très bonne chose. Faure n’est pas médiateur, mais facilitateur qui veut dire de chercher à lever les points de blocage avec les deux institutions.

Aujourd’hui, les Maliens se plaignent de la vie chère. Pensez-vous que cela a un lien avec l’embargo ?

Je dirais malheureusement que cette guerre entre la Russie et l’Ukraine arrive maintenant et cela trouve que nous nous avons notre crise, notamment les sanctions économiques de la CEDEAO. Cependant, il se trouve que l’Europe a abandonné les terres, c’est-à-dire la politique agricole commune européenne a été abandonnée, en pensant que c’était trop cher et en se focalisant sur d’autres stratégies. De l’autre côté, les Russes ont continué à travailler sur les terres. Vous comprenez ? Vous ne pouvez pas avoir de l’huile du soja ou tout autre produit si vous ne cultivez pas. Ce qui fait qu’aujourd’hui, la Russie contrôle le monde et ce qu’il ne faut pas oublier est que l’Ukraine était dans l’ancienne URSS. Donc, on ne peut pas du jour au lendemain dissocier l’Ukraine économiquement, socialement ou même sociologiquement de la Russie parce que ces pays sont liés depuis 30 à 40 ans. Maintenant, l’Ukraine est une grande productrice de blé, mais n’a pas accès au marché international parce qu’elle est en guerre et que rien ne peut sortir de là-bas.

Est-ce que cela revient à dire que nous subissons aussi les conséquences de cette guerre ?

Mais évidemment ! Prenez seulement le plan de Lagos qui a été adopté en 1980 par l’organisation de l’unité africaine. C’était Edem Kodjom, le secrétaire général de l’Union africaine en son temps. Notre ancien président, Moussa Traoré, avait fait une sortie remarquable parce qu’il avait un excellent ministre des Affaires étrangères, maître Alioune Blondin Bèye, qui disait pendant les discussions autour de ce plan : ‘’Nous produisons ce que nous ne consommons pas et nous consommons ce que nous ne produisons pas’’.

C’est cette dynamique qui continue. De 1980 jusqu’à maintenant, vous rentrez dans toutes les boutiques d’en face, vous ferez les mêmes remarques. Dans les boutiques, vous trouverez que 80 à 90% des produits qui sont vendus sont importés. Vous ne verrez presqu’aucun produit cultivé transformé et vendu au Mali, c’est très rare. On va vous dire que c’est venu soit de la Chine, de la Thaïlande, de Dubaï, etc.

Cela est valable pour les productions économiques aussi bien que politiques. Parce qu’en réalité, nous ne produisons rien en termes de réflexion. Autant, nous importons les produits d’ailleurs, mais aussi la réflexion. Cela a un grand impact sur ce que nous sommes. Donc à ce niveau aussi, il faut revoir nos réflexions pour nous attaquer aux problèmes agricoles de base et le secteur secondaire qui est la transformation. Cela va non seulement garantir la sécurité alimentaire, mais aussi créer le maximum d’emplois possibles pour la jeunesse, et les autres services, tels que le commerce, le transport, les assurances, les banques… vont suivre.

Dr Abdoulaye Sall, les Maliens espéraient la levée des sanctions samedi dernier, malheureusement elles ont été maintenues. Quel commentaire faites-vous sur cet énième échec de négociations entre le Mali et la CEDEAO ?

Mais, cher Kodio, vous connaissez ma position sur cette problématique (rire…) Que l’on se mette en tête que c’est un défi à relever, mais ce n’est pas la CEDEAO ou encore une autre organisation qui viendront développer le Mali, non ! Pour moi, les vraies questions qu’il faut se poser sont : Est-ce que les Maliens s’entendent autour de l’essentiel ? Est-ce que les Maliens s’entendent entre eux ?

Regardez tous les grands partis du Mali. Regardez tous les grands syndicats du pays comme le syndicat du Patronat qui est le Conseil national du Patronat du Mali. Prenez la chambre d’Agriculture du Mali. Mais, il en y a des divisions, des querelles et cela est valable pour tous les secteurs. Alors si à l’intérieur du pays, on n’arrive pas à s’entendre, cela devient extrêmement difficile. Alors que pour défendre la souveraineté intérieure, il faut s’entendre autour de l’essentiel.

Vous voulez dire de resserrer les lignes ?

Exactement ! Comme on le dit souvent, il faut se donner la main et non de se prendre les pieds et dire comment nous allons parler d’une seule voix. C’est ça le grand défi à relever. Ce n’est ni la CEDEAO, ni la France, ni les États-Unis ou qui d’autre qui vont nous sortir de la pauvreté. C’est nous-mêmes qui allons retrousser les manches pour nous attaquer à nos problèmes. Nous avons fini par nous assumer et c’est ce qui appelle au patriotisme intelligent.

Aujourd’hui, je me dis que nous avons une situation extrêmement difficile que je considère d’ailleurs comme conjoncturelle. Mais en dessous, en réalité, il y a des problèmes structurels parce qu’il faut remettre en cause la CEDEAO et l’UEMOA dans leurs formes actuelles, parce que pour moi, il faut les adapter à l’évolution du monde, tout comme l’Union africaine. On nous a toujours fait croire vers les années 85-86, vers la chute du mur de Berlin, qu’il n’y avait plus de guerre entre l’est et l’ouest. Ce qui est complètement faux. Parce que cette guerre, c’est sous d’autres formes. C’est sous la forme culturelle, économique et financière.

Il faut que nous, Africains au niveau de l’Union africaine, de la CEDEAO et des autres organisations régionales comme la CEMAC en Afrique centrale, travaillions pour faire de ces institutions, des institutions du 21e siècle qui doivent être là exclusivement pour la défense des intérêts de la démocratie et des peuples.

Quel est le message que vous adressez aux chefs d’Etat et de gouvernement de la CEDEAO pour une sortie rapide de cette crise ?

D’abord, quand je vois nos chefs d’Etat dire que c’est le Mali, c’est le Burkina ou c’est la Guinée Conakry, mais ce n’est pas vrai. Parce que quand on parle d’espace économique, ça veut dire que vous constituez un seul corps. Et si une partie du corps est malade, c’est tout le corps qui est malade. Pour moi, en voulant pénaliser le Mali, la CEDEAO s’est pénalisée elle-même. Est-ce que nos chefs d’Etat sont conscients de cela ? Il faut que nos chefs d’Etat et de gouvernement de la CEDEAO et de l’UEMOA sachent que la CEDEAO est un espace économique et que les intérêts des uns sont liés à ceux des autres.

Je pense que s’ils réfléchissent comme ça, ils vont savoir traiter même ces questions de coup d’Etat dans les trois pays par les mêmes mécanismes de suivis et peut-être même avec un même délai.

Entretien réalisé par Amadou Kodio / Afrikinfos-Mali

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