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Bourem : LE VIVRE ENSEMBLE EN BUTTE À LA MÉFIANCE

L’insécurité ambiante crée chez les populations une certaine paranoïa et complique la cohabitation entre les différentes communautés

base armee soldats français malienne bourem kidalGare routière de Gao, ce matin du 15 juillet à 7 heures. Nous embarquons dans un véhicule tout terrain pour Bourem. Au poste de contrôle à la sortie de Gao, la vigilance des forces de l’ordre s’exerce avec rigueur. Un des passagers tente de se soustraire au contrôle d’identité prétextant avoir oublié sa pièce d’identité. L’agent nous autorise quand même à reprendre la route.

Dans le véhicule, les passagers sont peu bavards. Le souhait d’arriver chez soi sain et sauf se lit sur les visages. A 10 heures, notre véhicule tombe en panne. Nous sommes à une trentaine de kilomètres de Bourem. L’inquiétude s’installe, car nous n’avons d’autres choix que d’attendre un autre véhicule qui amènerait le dépanneur. Certains passagers s’activent pour aider le chauffeur et son apprenti. D’autres se sont allongés sur le sable à quelques mètres de la voiture et espèrent trouver un autre véhicule pour entrer le plus tôt possible à Bourem. Un vent fort balaie les lieux, mais sans pouvoir atténuer la canicule.
Il est 13 heures quand le téléphone d’un passager se met à sonner. Après avoir écouté son correspondant, l’homme garde le silence. Son mutisme n’a rien de rassurant. Les passagers devinent une mauvaise nouvelle. Effectivement, celle-ci tombe. Des bandits armés viennent d’enlever l’ambulance du Centre de santé de référence de Bourem, la seule à la disposition de la localité. Dans le véhicule se trouvaient une femme malade sous sérum, une infirmière partant en congés, le conseiller du quartier Plateau et parent de la patiente, le médecin en charge de l’évacuation, deux soldats et le chauffeur. L’enlèvement a eu lieu au niveau du Cassis, passage obligé de tous les véhicules situé à une dizaine de kilomètres de Gao. Le chauffeur, les deux militaires dont l’un blessé légèrement par balle au bras et l’infirmière blessée grièvement ont pu s’échapper.
Une heure plus tard, notre véhicule est remis en marche. Personne ne commente l’attaque de peur qu’un complice des bandits ne se trouve à bord. Le silence qui s’est installé dans le véhicule est soudain rompu lorsqu’une dame révèle avoir vu passer un véhicule 4×4 bourré d’hommes en armes pendant que nous étions en panne. « J’ai peur. Ce sont eux peut-être qui ont informé leurs amis bandits que l’ambulance venait de les dépasser », ajoute la passagère. Les supputations lancées par la dame donnent le coup d’envoi d’une série d’accusations contre des individus qui serviraient d’indicateurs aux coupeurs de route. L’un des passagers croit savoir qu’un jeune Tamasheq vivant à Bourem serait un informateur des bandits.
NE PAS TOMBER DANS L’AMALGAME. Nous parvenons à Bourem, après un voyage harassant qui a duré 9 heures. Ici, se côtoient les communautés songhay, arma, tamasheq, bozo, arabe entre autres. Les rues semblent vides pour un visiteur qui vient de débarquer dans cette ville où la nouvelle de l’enlèvement de l’ambulance est le principal sujet des conversations. Bourem bruit aussi des informations concernant un inconnu qui aurait confié un sac contenant un engin explosif à une vieille dame. L’individu aurait ensuite quitté la case de la vieille en prétextant aller chercher du charbon dans les familles voisines. L’inconnu n’aurait plus été revu, mais le sac était toujours dans la case. La vieille dame s’était d’ailleurs bien gardée de passer la nuit chez elle. Ce n’est seulement que le lendemain matin que les gendarmes ont été contactés pour qu’ils viennent établir ce qu’il y avait exactement à l’intérieur du sac qui avait provoqué la panique dans les alentours. Le propriétaire de l’objet est resté introuvable. Mais quelques jours plus tard, un suspect avait été arrêté par les gendarmes. Après interrogatoire, l’individu en question qui serait un Burkinabé, a été transféré à Bamako.
La psychose de l’insécurité crée chez les populations une certaine paranoïa. On voit des bandits ou leurs informateurs partout. De quoi mettre à mal le vivre ensemble des différentes communautés. La peur est le sentiment le mieux partagé ici. Et l’incertitude chasse l’espoir des esprits. Pourtant Tamasheq comme Songhoy assurent tous vouloir vivre ensemble et en paix. Mais la méfiance rend la cohabitation difficile. Les Tamasheq, fréquemment accusés d’être à l’origine de l’insécurité, sont tentés par le repli sur soi. Les radios communautaires ajoutent à la discorde entre les communautés en diffusant toutes sortes de rumeurs très souvent sans fondements. Au risque d’accentuer les préventions réciproques.
Mais ce jeune Tamasheq que nous avons rencontré garde l’espoir. « Je ne connais que Bourem, nous a-t-il fait savoir. J’ai grandi ici et j’ai beaucoup d’amis. L’évolution des choses n’est pas très bonne, mais avec la signature de l’Accord de paix, je suis sûr que la situation va s’améliorer. C’est une question de temps. C’est pourquoi je demande à mes frères songhoy de rester solidaires avec nous et de ne pas tomber dans l’amalgame comme ils l’ont toujours fait. »
De Bourem, nous décidons de gagner Bamba. Tôt le matin, nous prenons la route sur une moto Sanili, engin très fréquemment utilisé par les bandits. Le soleil dissipe la brume dans ce vaste no man’s land, faisant monter la température. Les pistes sont tantôt sablonneuses, tantôt rocheuses ou latéritiques. Nous avons ainsi parcouru 85 kilomètres. C’est la distance qui sépare Téméra de Bourem. Un petit poste de contrôle est tenu par un groupe appartenant au mouvement d’autodéfense Gandakoy. Nos cartes d’identité ne sont pas réclamées.
Un jeune combattant nous confie ses attentes dans le cadre de la mise en œuvre de l’Accord pour la paix et la réconciliation nationale. « Nous voulons l’assurance que nous serons bien intégrés et que les bandits ne vont plus troubler la quiétude de nos parents. Le constat est que quand on est noir, on se voit accorder moins d’importance. Cette fois, si on donne 5 Fcfa aux peaux claires, nous réclamerons aussi 5 Fcfa. Tant que tout le monde accepte la paix, on va l’accepter», souligne notre interlocuteur. Comme ce jeune combattant, tous nos interlocuteurs à Bamba comme à Téméra affichent un désir ardent de voir la paix et la concorde s’instaurer.
LE DÉSARMEMENT COMME SOLUTION. Néanmoins, le maire de la commune rurale de Téméra, Mahamar Boulel Touré, ne cache pas son inquiétude face à la situation. « La paix durable, c’est ce que nous recherchons. Mais nous vivons avec des gens qui peuvent déclencher les hostilités à tout moment. La confiance entre communautés n’est pas encore établie, mais cela ne veut pas dire que la cohabitation n’est plus possible. Elle reste bien possible mais elle demeure liée au rétablissement de la sécurité », soutient l’édile.
C’est dans la commune rurale de Téméra qu’a vu le jour le mouvement d’autodéfense Gandakoy, précisément dans le village de Fiya dans les années 1994-1995. « Nous résistons toujours aux envahisseurs, assure ce commerçant qui ne souhaite pas être cité. Notre souhait est que tous les combattants soient mis dans leurs droits et intégrés, surtout ceux qui brandissent le drapeau malien. »
Un autre interlocuteur qui se fait appeler « Bandit » se dit lui aussi dubitatif quant au retour rapide de la confiance entre les communautés nomades et sédentaires. « Vous savez, commente-t-il, j’ai assisté à beaucoup de rencontres intercommunautaires avec l’appui des partenaires comme ENDA-Mali. Toutes les communautés affirment être ouvertes à la réconciliation, mais les actes posés ne vont pas dans ce sens. J’ai vu que des amis de teints différents se méfient les uns des autres. La solution, c’est le désarmement de tout le monde comme prévu dans l’Accord ».
Sur le chemin du retour de Bamba, la piste est arrosée par des traces de pluie. Entre Téméra et Bourem-centre, se trouve le village Kourmina. Ici, les maisons sont presque vides. « Arey nda wayey koy farey ra » (« les hommes et les femmes sont au champ », en songhoy), dit laconiquement une fillette visiblement effrayée par notre présence. Sans attendre nos questions, elle referme la porte de la case. Il faut continuer sur Bourem en longeant la berge du fleuve. Quand nous arrivons à destination, une bonne nouvelle nous attend. Le médecin et le conseiller du quartier Plateau qui était dans l’ambulance enlevée sont arrivés chez eux sains et saufs. Les deux hommes ont marché à pied pour chercher une charrette afin de transporter la malade. Abandonnée à plus de 15 kilomètres de la route principale, la patiente a malheureusement succombé.
Des mesures urgentes sont prises au niveau local. Une réunion hebdomadaire se tient sous la direction du préfet du cercle de Bourem, Issa Koné. Y participent les élus communaux, les membres de la société civile dont les autorités religieuses et coutumières, les représentants des femmes et des jeunes et les responsables des services techniques pour partager les stratégies et les renseignements.
Le commandant par intérim de la brigade de gendarmerie de Bourem, l’adjudant-chef Abdramane Ibrahim Maïga, en appelle à la collaboration des populations pour informer les forces de sécurité de toute présence suspecte dans les villages et hameaux. « Dans le cadre du renseignement, nous avons entamé des visites de proximité dans les villages, pour prendre contact avec les populations et renforcer nos relations. Mais nos déplacements sont limités à cause du manque de matériel roulant. Nous demandons encore beaucoup plus de moyens parce que la sécurité reste toujours très précaire », reconnaît le chef des pandores qui assure que des recherches avec l’appui de l’opération Barkhane, ont permis de localiser l’ambulance enlevée vers Tin Aouker, à plus de 70 kilomètres de Gao, dans un campement nomade occupé par un groupe armé.

Envoyé spécial
A. A. MAIGA

source : L’ Essor

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