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Boîtes à rythme : Béquilles pour musiciens sans talent

La piraterie, les téléchargements gratuits avec l’ère des téléphones portables, la crise sécuritaire et institutionnelle de 2012 et aujourd’hui la crise sanitaire liée au nouveau coronavirus… les contraintes ne manquent pas pour empêcher les artistes maliens de bien ou mieux vivre de leur art. Ce n’est pas tout. L’identité instrumentale de notre musique est compromise par la modernisation à outrance. Les boîtes à rythme ou musique assistée par ordinateur (MAO) sont en train de tuer la créativité au niveau de l’arrangement instrumental.

 

Quelle est aujourd’hui la plus grande menace pour la musique malienne ? à cette question, répondent différemment les artistes, les producteurs, les journalistes culturels… Dans les réponses, il est le plus souvent question de piraterie, des crises institutionnelle, sécuritaire et sanitaire avec la pandémie du nouveau coronavirus qui a entraîné l’annulation des festivals, des tournées et d’autres espaces d’expression artistique. Il est aussi question de l’usage des nouvelles technologies dans la modernisation à outrance. Ce dernier facteur est en train de tuer la créativité artistique.

Pour le maestro Idrissa Soumaoro, malgré la crise sécuritaire et les contraintes liées à la Covid-19, «l’avenir de notre musique n’est point désespérant. Le patrimoine connu est très riche et des jeunes talents ne manqueront pas de surgir au fil du temps. Il s’agira de les détecter, de les encadrer et de les aider à progresser».

Cet avis est partagé par Assane Koné. Ce journaliste culturel ne croit pas que ces crises vont faire disparaître la musique malienne. «Le pays regorge de talents insoupçonnés et qui ont la capacité de se révéler au monde», soutient-il avec un optimisme non feint. Mais, apporte-t-il comme bémol, «il faut espérer que le pays sortira rapidement de cette crise afin que tous les acteurs qui gravitent autour de cette activité de création puissent dignement vivre de leur travail». Car, avertit-il, «si la crise perdure, des acteurs iront faire autre chose pour nourrir leurs femmes et leurs enfants. Et ce sera des talents et des compétences perdues pour le Mali, pour son rayonnement culturel dans le monde».

Si la musique malienne a résisté à la piraterie, aux crises institutionnelle et sécuritaire, elle aura du mal à survivre à l’impact des nouvelles technologies se traduisant par une modernisation à outrance. «L’originalité de l’arrangement instrumental de notre musique qui est menacée», prévient Idrissa Soumaoro, ajoutant que le risque est grand pour les instruments traditionnels et les virtuoses qui en font des merveilles.

«L’utilisation des ordinateurs avec des logiciels de composition (Musique assistée par ordinateur-MAO) rend les musiciens de plus en plus paresseux quant à l’apprentissage des instruments de musique, surtout les instruments traditionnels. Les sons les plus sophistiqués sont aujourd’hui disponibles dans les studios d’enregistrement. Des sons bien sûr beaucoup moins vivants que ceux sortis des instruments de musique», constate l’artiste et professeur de musique.  De l’avis de nombreux artistes, les instruments traditionnels font partie de l’identité culturelle et artistique de notre pays, de l’ADN de notre musique, et ne doivent être aucunement sacrifiés sur l’autel de la modernisation.

«La jeune génération utilise ces boîtes à musique sans exception et sans modération. Il y a des gens qui chantent faux mais avec cet appareil là, les fausses notes sont effacées ! Donc, c’est un problème car on ne sait plus qui a vraiment une belle voix», critique Habib Koité.

Risques de disparition

Si rien n’est fait pour valoriser nos instruments traditionnels, ils risquent de disparaître avec un pan important de notre identité culturelle. Et cela d’autant plus que si la portée du message fait le charme et la beauté de la musique, l’arrangement instrumental est son âme. «Il y a le rythme, la mélodie et l’harmonie qui sont des éléments appréciables. L’arrangement est justement la bonne combinaison de ces différents éléments : les instruments en général, les voix. Si les voix n’ont rien sur quoi se poser, ça devient une musique purement vocale», explique Idrissa Soumaoro, le compositeur initial de «Ancien combattant», un tube très piraté.

«C’est est un pan de notre musique qui est aujourd’hui menacé. De nos jours, il n’y a presque plus de section cuivre au Mali (trombone, trompette, saxophones alto et ténor même si ce dernier instrument est généralement en bois). Pour la section cuivre de certains albums, des artistes comme Salif Kéïta sont obligés d’aller chercher des instrumentistes en Europe», déplore Madou Sidiki Diabaté, un virtuose de la kora mandingue.

Idrissa Soumaoro confirme qu’il n’y a pas «de ventiste dans notre pays». Pour rappel, un instrument à vent est celui dont le son est produit grâce aux vibrations d’une colonne d’air provoquées par le souffle d’un instrumentiste (flûte, trompette), d’une soufflerie mécanique (orgue, accordéon) ou d’une poche d’air (cornemuse, veuze). Ils sont regroupés en deux grandes familles : les bois qui produisent le son par vibration d’une anche ou à travers un biseau ; et les cuivres dont le son est produit par les lèvres du musicien. à défaut, poursuit le maestro, «les musiciens utilisent des logiciels qui ne donnent pas la vraie sonorité du cuivre ».

Ils sont nombreux nos interlocuteurs qui pensent que la menace qui plane sur nos instruments traditionnels est liée en partie à la disparition des grands orchestres qui, en plus d’avoir contribué à la modernisation et au rayonnement de la musique malienne dans le monde, étaient de vraies écoles de formation vocale et instrumentale. D’où l’impérieuse nécessité de les ressusciter.

«C’est l’une des conséquences de la disparition de nos orchestres qui étaient des écoles de formation pour toutes les sections musicales… Dans mon groupe, je joue avec des instruments modernes, mais la kora est l’instrument dominant. C’est aussi le cas de mon aîné Toumani Diabaté», précise Madou Sidiki Diabaté.

Et naturellement, rappelle M. Soumaoro, «lorsque les écoles disparaissent, il n’y a plus de formation et, en conséquence, pas de niveau». Et d’ajouter : «apprendre un instrument est une perte de temps pour la nouvelle génération. Le son bien arrangé sort du studio et les interprètent y poses le chant dessus».

Des observateurs de la scène musicale estiment que si rien n’est fait, dans 5 ou 10 ans, il ne sera pas sûr de trouver des virtuoses du ‘sokou’, de la flûte, du ‘mbolon’… La musique étant aujourd’hui un métier à part entière, il est difficile de convaincre les jeunes d’apprendre à jouer un instrument s’ils savent que cela ne leur permet pasde gagner leur vie, de réaliser leurs ambitions.

Les potentialités de nos terroirs

Cette menace est d’autant à prendre au sérieux que, comme le défendait une fois le socio-anthropologue Facoh Donki Diarra (chroniqueur dans le quotidien Les Echos), pour le Malien en général, «la musique est la combinaison harmonieuse de la chanson avec les sons produits par les instruments de musique : tam-tam, balafon, ngoni, karignan, kora…», etc.

Que faut-il faire alors ? «Peut-on quelque chose contre le progrès technologique ?», s’interroge Idrissa Soumaoro, fataliste pour une fois. «Le fait est que nos jeunes artistes sont pressés de réussir, de vivre le succès… Sensibilisons et encourageons les jeunes à ne pas négliger nos instruments de musique», préconise ce monstre sacré de la musique tradi-moderne malienne voire africaine.

Pour Djélimady Tounkara (Rail Band), un virtuose de la guitare, il faut savoir s’ouvrir au monde sans se renier. «Nos terroirs sont très riches en instruments, en mélodies et en danses. Et les technologies modernes doivent nous aider à les mettre en valeur tout en préservant leur originalité», disait le célèbre guitariste dans un documentaire que l’ORTM lui a consacré.

«Nous devons démontrer aussi aux artistes de notre époque et des futures générations que le Mali est très riche dans le domaine des arts et de la culture. Dans ce domaine, ainsi que dans bien d’autres domaines, Dieu nous a tout donné. Nous n’avons pas encore exploité même les 20 % de potentialités artistiques de notre pays», soutient Madou Sidiki Diabaté alias Momo.

Pour l’héritier des koras héros du Mandé, «c’est donc dommage de voir que de plus en plus nous envions d’autres, que les nouvelles générations sombrent de plus en plus dans le mimétisme artistique. Imaginez l’héritage que nous ont laissé les Sidiki Diabaté, Batrou Sékou, Nfa Diabaté, Djélimady Sissoko… Nous n’avons même pas fini d’explorer ce fabuleux héritage pour nous sentir orphelins au point de vouloir toujours copier chez les autres».

«Chaque fois que nous nous inspirons de ces œuvres gigantesques, nous surprenons le monde. Ce sont les autres qui doivent nous envier. Et certaines stars nous le prouvent déjà, notamment Youssou Ndour qui a connu un grand succès avec Djadjiri», conclut-il. Il est en tout cas du devoir de tout le monde de veiller à la sauvegarde de notre identité culturelle, car c’est ce qui fait aussi la grandeur d’une nation, le prestige d’un peuple !

Quand la technologie dispense des efforts

Computer music est une expression anglo-américaine souvent donnée comme l’équivalent de l’expression «informatique musicale». Elle désigne à la fois les applications musicales de l’ordinateur pour la création sonore, comme la synthèse sonore, la synthèse hybride (électronique contrôlée par ordinateur) ou la composition assistée par l’ordinateur et le répertoire musical produit avec l’ordinateur. La traduction littérale «musique d’ordinateur» est parfois employée pour souligner l’usage quasi instrumental de l’ordinateur ou pour éviter le terme «informatique» dans des textes relatifs à la période précédant la généralisation de ce mot en français (de 1957 aux années 1970).

L’apparition du synthétiseur matérialise la première étape de la musique numérique qui se distingue de celle que l’on produit de façon acoustique, par des actions mécaniques (souffler, pincer ou frotter des cordes, taper, etc.). Cette machine permet, à elle seule, de reproduire toutes sortes de sonorités. Ce qui évite d’apprendre chaque instrument pour obtenir une musique complète.

Cependant, on remarque très vite que le son du synthétiseur ne sonne pas par exemple comme un piano ou une guitare classique. Si certains placent cette invention au rang des hérésies musicales, d’autres décident au contraire d’en tirer parti. Le synthétiseur inspire une génération entière de musiciens, bien déterminée à s’approprier les sonorités pour placer des genres inédits sur le devant de la scène.

Par la suite, les formes de musique numérique se sont largement développées. On a ainsi vu apparaître de nouveaux types d’instruments électroniques (batterie, guitare…) et, bien sûr, des logiciels informatiques permettant également de créer. Désormais, dans certains concerts, on ne sollicite plus que la musique électronique. Tout comme des artistes choisissent de la mobiliser pour enrichir leur registre sur scène et en album. En bref, la musique assistée par ordinateur (MAO) s’est imposée dans le monde des professionnels et, par son accessibilité, elle séduit tout naturellement les amateurs souhaitant apprendre.

On peut composer une chanson tout entière par MAO. Si c’est généralement le cas en musique électronique, certains artistes traditionnels optent aussi pour cette méthode. Sur l’ordinateur, on trouve une large palette d’instruments «virtuels». En parallèle, certains se servent de logiciels MAO dans l’optique d’éditer leurs propres partitions ou tablatures. Il existe même des applications pour apprendre à rédiger, ouvrant ainsi la pratique aux néophytes.

L’enregistrement numérique représente lui aussi une méthode très connue. Les compositeurs la choisissent pour concevoir leurs maquettes afin de les envoyer en radio ou de les exporter sur des sites d’écoute. Il s’agit d’un excellent outil pour tous ceux qui envisagent une carrière dans la musique et qui ne disposent pas encore du confort d’un studio d’enregistrement. Enfin, la musique assistée par ordinateur permet de traiter les sons, d’ajouter des effets, de nuancer et moduler ses propres titres de manière à y apporter sa touche personnelle pour se démarquer des autres.

Avec très peu de matériel, on peut avoir un résultat quasi professionnel sur le plan sonore grâce à la musique assistée par ordinateur. Toutefois, afin de réussir à créer des sons qualitatifs, il faut prendre le temps d’apprendre à maîtriser les différents outils ainsi que les bases et les fondements de la composition.

En théorie, la MAO paraît très accessible puisqu’un simple ordinateur et quelques programmes informatiques suffisent pour se lancer. Toutefois, la musique reste un art dont la maîtrise nécessite du temps, de la patience et surtout de la motivation !

M.B

Source : L’ESSOR

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