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Bafoulabé : «Les nobles ont attaqué les esclaves, les ont attachés, frappés, filmés, placés en garde à vue… »

Dans un témoignage très émouvant, Mme Sacko Moussomakan Sakiliba, présidente locale de la Coordination des associations et ONG féminines (CAFO) et membre du Réseau régional pour la Défense du Droit des Femmes, que nous avons pu joindre au téléphone, lève le voile sur des cas d’esclavage dans les communes de Kontéla et de Tomora, cercle de Bafoulabé dans la région de Kayes. « …les nobles de la commune de Kontéla se sont donné rendez-vous dans la forêt où ils ont attaqué les esclaves en leur retirant leurs téléphones, leurs motos pour ensuite les attacher, les frapper et les filmer tout en les menaçant de les exterminer tous, si jamais ils refusaient de rester esclaves », nous a-t-elle confié.

C’est une vieille âgée de soixante-dix ans qui a accepté de se prêter à nos questions. Visiblement dépassée par les faits comme l’on pouvait le sentir dans sa voix qui tremblait par moments, lors de notre entretien, Mme Sacko a commencé par préciser : « Ma mère a été esclave, mais mon père, un noble, était un militaire qui a fait la guerre en France. Je suis avec les esclaves aujourd’hui parce qu’après le décès de mon père, sa famille a fait partir ma mère, pour pouvoir s’embarrer de ses biens. J’étais obligée de suivre ma mère chez ses parents. J’ai donc grandi dans cette famille esclave où mes oncles, mes tantes, mes cousins et cousines m’ont tout donné et du coup, je n’ai pas pu me séparer d’eux. C’est ce qui fait que je suis également considérée comme esclave. Tout simplement, parce que j’ai grandi dans la famille maternelle qui était esclave. »

Selon elle, la pratique est réelle à Bafoulabé. « Il y a l’esclave chez nous à Bafoulabé. La pratique est très répandue dans la commune rurale de Kontéla et celle de Tomora. Dans ces localités, il y a une association des esclaves appelée ‘’Keleya’’ et une autre créée par les nobles qui s’appelle ‘’Dambé’’. Chaque association travaille à défendre les droits de ses membres. Les faits que je vais vous raconter, se sont déroulés il y a juste un an et demi.», a-t-elle précisé.

Dans ses témoignages, Mme Sacko Moussomakan Sakiliba estime qu’avant la création de ces associations, les esclaves n’avaient droit à rien. « Ils ne pouvaient même pas fêter. Pendant la fête de la Tabaski ou d’autres évènements heureux comme les baptêmes ou les mariages, c’étaient ces esclaves qui faisaient l’abattage des moutons ou des bœufs pour les nobles et ils ne pouvaient même pas goûter à la sauce, à plus forte raison manger de la viande. Mais aujourd’hui, cette situation a évolué. Parce qu’un jour, les jeunes esclaves se sont révoltés en refusant tous les ordres, tout en disant que leurs grands-parents étaient peut-être des esclaves, mais pas eux d’autant plus que le Mali a aboli l’esclavage sur l’ensemble de son territoire », a-t-elle souligné.

C’est ainsi que, a-t-elle ajouté, un conflit a éclaté entre les deux associations (Keleya et Dambé). « Au départ, les esclaves étaient agressés par les nobles partout dans les communes de Kontéla et de Tomora ; leurs motos étaient arrachées de force. Pour calmer la situation, la gendarmerie a mis en prison trente-quatre personnes issues des deux associations pour sept mois », a-t-elle témoigné, avant de continuer : « Aussi tout récemment, les esclaves ont-ils décidé de fêter l’anniversaire de la création de leur association. Quand ils voulaient se rendre chez le président de l’association à Kontéla-Keniéba, pour parler du préparatif de cet anniversaire, les nobles de la commune de Kontéla se sont donné rendez-vous dans la forêt où ils ont attaqué les esclaves en leur retirant leurs téléphones, leurs motos pour ensuite les attacher, les frapper et les filmer, tout en les menaçant de les exterminer tous, si jamais ils refusaient de rester esclaves. »

Et Mme Sacko Moussomakan Sakiliba de poursuivre : « Ces esclaves ont été, par la suite, placés en garde à vue dans une école par les nobles. C’est ainsi que la gendarmerie est encore venue les embarquer tous, nobles comme esclaves, pour les enfermer pendant dix-huit jours. Ils étaient aux nombres de trente-deux du côté des esclaves et vingt-neuf du côté des nobles. Lorsqu’ils ont été libérés, les nobles ont encore menacé les esclaves en leur disant qu’ils n’avaient encore rien vu. »

Un affrontement à Kontéla-Camalé !

Selon elle, un affrontement a finalement eu lieu à Kontéla-Camalé. «A Kontéla-Camalé, le village où j’ai grandi, les nobles sont minoritaires. Sur cinquante concessions, seulement cinq sont nobles. C’est ainsi qu’ils ont demandé des renforts dans les autres villages de la commune. Quand j’ai appris cela, je suis allée voir le procureur pour le mettre au courant de ce qui se préparait dans ce village. Je lui ai dit de prendre toutes les dispositions, sinon il va y avoir mort d’hommes. Ils ont déployé des renforts pour sécuriser le village pendant quelques jours seulement. Un matin, alors que nous étions à un baptême, nous avons entendu des coups de feu et sur-le-champ, nos jeunes aussi ont pris des machettes. Et voilà qu’un affrontement a éclaté entre les nobles et les jeunes esclaves au cours duquel un jeune noble a été grièvement blessé, mais qui a pu être sauvé par les médecins », nous a-t-elle confié.

Mme Sacko Moussomakan Sakiliba a souligné aussi que le même soir, le chef de village a appelé les gendarmes. « Quand ils sont venus, ils se sont mis à bastonner les nobles. Aussi pendant la nuit, les mêmes gendarmes sont-ils encore revenus mater les chefs des familles esclaves avant de libérer les nobles qui ont fait l’attaque. Le lendemain, ces nobles ont passé toute la journée à crier victoire et à provoquer les esclaves. Il n’y a pas longtemps, un gamin a également provoqué un vieil esclave et l’a même blessé à la tête avec une pierre. Ces nobles une autre fois se sont rendus dans le champ d’un esclave ; ils y ont détruit toutes les plantes et ont attaché le chef de famille. Ils l’ont ensuite frappé et l’ont mis dans une charrette pour faire le tour du village. Heureusement que certains des auteurs de cet acte ont été arrêtés par la justice et sont toujours en prison. Voilà en gros ce qui se passe dans le cercle de Bafoulabé.»

Ces pratiques dans la région de Kayes, digne d’un autre siècle, ont toujours été critiquées et dénoncées par les défenseurs des droits d’homme et par des personnes sensibles au respect de l’honneur et de la dignité humaine. Aujourd’hui, ces populations exploitées et traitées comme des esclaves comptent sur les autorités compétentes pour mettre définitivement fin à ces pratiques qui constituent de graves violations des droits humains.

Ousmane BALLO

Source : Ziré

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