L’Agence de cessions immobilières court irréversiblement vers la fin dramatique auquel la prédestinait une gestion très chaotique ces deux dernières années. C’est ce qu’on peut retenir, en tout cas, de son dernier Conseil d’administration, à l’issue duquel les administrateurs ont choisi de crever l’abcès par une reconnaissance sans ambages de l’agonie que connaît la société. Et ce ne sont pas les mesurettes chimériques du PDG Mamadou Tiéni qui pourront inverser la tendance.
En l’absence de bon nombre de cadres absents dudit Conseil sur simple pouvoir discrétionnaire du PDG, peu de détails ont pu filtrer de ce conclave, qui devait connaître logiquement du bilan administratif annuel ainsi que des états financiers de la structure naguère encore fleuron de l’immobilier au Mali. À en croire nos confidences, le directoire a beau tenter mais n’a pu masquer certaines évidences face aux administrateurs. On parle par exemple d’environ 21 milliards de dettes essentiellement constituées d’encours bancaires résultant de plusieurs exercices budgétaires, mais grevés ces dernières années par une irrégularité criante des remboursements aux institutions bancaires ainsi que par toute une montagne d’impayés. Il convient à ce sujet de distinguer ceux dus à des prestataires comme CIRA pour une somme de 400 millions indûment consommée, puis les dettes liées à des indélicatesses comme la vente avortée d’une ruelle cédés à la BNDA.
L’endettement exponentiel de l’ACI est par ailleurs accentué par une accumulation assez importante de reversements retenus au détriment du service des domaines sur la cession ou la vente de parcelles, entre autres.
Ce n’est pas tout. S’y ajoute un déficit cumulé de près de 3 milliards sur lequel le commissaire aux comptes avait tiré la sonnette d’alarme en 2018 avant que la tutelle ne lui emboîte le pas récemment. Le premier, dans un rapport tonitruant et sans complaisance, a interpellé les dirigeants de l’Agence sur une situation financière désastreuse, dont il ressort que «les capitaux propres» de l’entreprise s’élèvent» à un montant négatif de 815 millions environ. Et de rappeler, par la même occasion, les prescriptions de l’Acte uniforme de l’OHADA selon lesquelles si les capitaux propres d’une société «sont inférieurs à la moitié de son capital social, «le conseil d’administration ou l’administration générale, selon les cas, est tenu dans les quatre mois qui suivent l’approbation des comptes ayant fait apparaître cette perte, de convoquer l’assemblée générale extraordinaire à l’effet de décider si la dissolution anticipée de la société a lieu».
Le ministre de tutelle a quant à lui renchéri en prévenant pour sa part que l’accumulation des résultats négatifs d’années en années allait conduire inéluctablement vers un règlement judiciaire à défaut d’une dissolution, si des mesures appropriées ne sont prises.
Force est de constater que rien ne présage d’un destin meilleur pour l’Agence de Cessions Immobilières. Depuis son dernier Conseil d’administration, ces différents cris d’alerte ont atteint les proportions d’un cri de détresse avec en toile de fond l’urgence d’un sauvetage financier ouvertement réclamé par ses responsables. C’est en définitive le sauve-qui-peut avec un directoire désemparé et déboussolé qui va dans tous les sens. Nos sources indiquent que le besoin de perfusion a été notamment exprimé sous la forme d’une trouvaille que peu de gens ont réellement comprise : la suggestion faite aux hautes autorités de reconvertir en actions les montants dus à l’Etat, soit une bagatelle de 8 milliards de nos francs qui tire vers le bas les recettes domaniales. C’est la réponse trop simpliste que le PDG a trouvée à l’équation posée par une instruction de la tutelle l’intimant d’éviter une liquidation de la société au moyen d’un plan de redressement digne de ce nom.
Mais les mesurettes proposées par le PDG n’en sont pas et se trouvent sur toutes les lèvres dans les milieux huppés où les interrogations fusent de toutes parts sur leur pertinence. D’aucuns avaient subodoré une forme de recapitalisation consistant à céder lesdites actions à des repreneurs privés, mais il s’agit, selon toute évidence, d’un artifice pour réduire de moitié le fardeau de la dette sous laquelle croule la société.
Quoi qu’il en soit, nos sources confient que le schéma fera d’ores et déjà chou blanc chez tous les décideurs chargés de l’avaliser. Ces derniers ont officieusement répliqué par un refus catégorique qui intervient en pleine élaboration de la loi de Finances 2020, comme pour signifier que l’ACI est condamnée à ne point se relever de l’agonie cette année. Or les observateurs avertis conviennent que
le défaut d’un plan de redressement à la fin de ce mois est synonyme d’un dépôt de bilan inéluctable.
Si les hautes autorités ne sont ni réceptives ni disposées à s’aventurer dans le nouveau schéma proposé par le PDG, c’est sans doute parce qu’il provient d’une structure engluée dans une gouvernance peu enviable où la mauvaise gestion le dispute aux mesures scandaleuses porteuses d’onéreux contentieux judiciaires. En effet, les retraits indus de titres de propriété foncière et leur ré-attribution arbitraires (souvent peu désintéressées) sont à l’origine de nombreuses procédures judiciaires avec des implications financières non prises en compte dans les proportions d’endettement relevées par le dernier Conseil d’administration. Le cas litigieux le plus récent est un bras-de-fer latent avec une malienne de la diaspora qui pourrait porter devant la justice le détournement d’une parcelle sise à ACI Souleymanebougou pour laquelle elle verse constamment des mensualités. Mais la plus grande dérive a trait aux retraits drastiquement opérés sur les parcelles de la zone dite «Bande des 140 mètres de Sabalibougou» avec l’annulation de plusieurs dizaines d’attributions du Gouverneur du District revendues à d’autres repreneurs. Sur la question la tutelle est récemment sortie d’un long silence pour exprimer des inquiétudes et demander des comptes au PDG Mamadou Tiéni Konaté. Et face au refus de ce dernier de clarifier un sujet susceptible d’en rajouter aux nombreuses condamnations judiciaires avec astreintes,le ministre Alioune Berthé vient de se résoudre à soumettre la gestion du dossier à une vicieuse inspection. À en croire nos sources, la mission dévolue aux inspecteurs domaniaux consiste à vérifier la conformité de la liste des acquéreurs de parcelles avec les décisions du Gouverneur du District y afférentes, à vérifier l’exécution d’une précédente mesure de suspension des opérations de vente dans la zone, à tirer au clair les différents types de cessions faites par l’ACI ainsi que la véracité de toutes les informations fournies par le PDG Konaté à la tutelle sur ledit dossier.
A KEÏTA/Le TEMOIN