Nous sommes là pour nous purifier des esprits maléfiques”: comme des milliers d’autres Marocains, “Madame Khayat” participe au festival de Sidi Ali, dans l’arrière-pays de Meknès, au Maroc, un rendez-vous insolite où la religion musulmane côtoie croyances populaires et sorcellerie.
A quelques dizaines de km de la capitale impériale, perdu en pleine campagne, Mghrassyine est une bourgade rurale comme il en existe des milliers. Inspiré du soufisme –une pratique de l’islam parmi les plus répandues au Maroc–, le moussem (“festival”) de Sidi Ali Ben Hamdouch qui s’y déroule chaque année en fait toutefois une terre sacrée pour les uns, impie pour les autres.
Les fidèles viennent y vénérer cette figure du XVIIe siècle essentiellement pour les vertus magiques qui lui sont prêtées. Outre Sidi Ali, venu selon la légende de Syrie, ils invoquent une autre figure mythique, Lalla Aïcha, fille présumée du roi du Soudan, qualifiée de “reine des génies” et qui serait dotée, elle aussi, de pouvoirs surnaturels.
Ce festival “est une sorte de pèlerinage”, explique à l’AFP une femme d’une soixantaine d’années originaire de Fès, se présentant sous le nom de Madame Khayat.
“Les gens vont à La Mecque (premier lieu saint de l’islam) pour se purifier de leurs pêchés. Ici, ils viennent se purifier des esprits maléfiques”, enchaîne-t-elle.
Si le Coran mentionne des génies, bons ou mauvais (les “djinn”), l’orthodoxie recommande de ne s’en remettre qu’à Dieu pour se protéger des esprits malveillants.
Aussi, “beaucoup de gens pensent que tout cela relève de la sauvagerie”, commente Madame Khayat. “Même mon mari n’aime pas que je vienne ici. Alors quand il ne prête pas attention, je monte dans la voiture et emmène avec moi les deux domestiques”, dit-elle.
Actes de sorcellerie, sacrifices d’animaux, danseurs en transe: le spectacle est parfois des plus surprenants.
Soufisme contre extrémisme
Un taureau, des coqs noirs et de boucs sont sacrifiés durant le moussem “afin de permettre aux génies de boire (leur) sang. C’est une manière d’apaiser les esprits”, explique le sociologue Aziz Hlaoua.
Tandis qu’au milieu d’un cercle, un homme jette une assiette en terre cuite qui vient -sous les vivats- se fracasser sur son crâne, des femmes allument bâtons d’encens et bougies dans la grotte de Lalla Aïcha, afin d’implorer son aide.
Le soir, des fidèles convergent en nombre pour une séance de méditation. Après des heures de chants, un homme se met soudainement à secouer violemment la tête avant de s’effondrer au sol, en transe.
Avec le temps, nombre de pèlerins ont aussi pris pour habitude de consulter des voyantes qui, en échange de quelques pièces, sont censées aider à trouver l’amour ou briser un sort.
Lors de la dernière décennie, le festival de Sidi Ali a par ailleurs créé la polémique en raison de sa propension à attirer la communauté homosexuelle vénérant Lalla Aïcha, dont une légende veut qu’elle se soit transformée en homme durant une tentative de viol.
Les esprits revêtent une grande importance au Maroc, et pas seulement dans les milieux pauvres et peu éduqués. Une étude réalisée en 2012 par le “Pew Research center”, un groupe d’experts américain, est venue rappeler la persistance des croyances populaires au Maroc, où 86% de la population dit croire aux esprits, plus que dans tous les pays ayant pris part à l’enquête.
Version mystique de l’islam apparue au VIIIe siècle et fortement imprégnée de rites et incantations, le soufisme connaît un renouveau sous le règne de Mohammed VI, selon M. Hlaoua.
Le roi a lui-même donné le signal d’une plus grande ouverture aux confréries soufies en nommant au poste de ministre des Affaires religieuses en 2002 Ahmed Toufiq, un proche du soufisme, une stratégie destinée à promouvoir “un islam modéré et tolérant” pour “faire barrage à l’extrémisme”, note le sociologue.
Au dernier jour du festival, des milliers de fidèles ont ainsi participé à la procession et au sacrifice du taureau offert, comme chaque année, par le souverain.
source : jeuneafrique.com