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Au Mali, «si IBK passe au premier tour, on va tout casser»

Malgré la corruption, les opposants Soumaïla Cissé et Cheick Modibo Diarra espèrent empêcher une victoire facile du président sortant Ibrahim Boubacar Keïta.

Le silence s’est fait dans la salle sans fenêtre où sont assis sur des nattes tous les grands marabouts de Djenné, l’un des centres névralgiques de l’islam malien. Leurs visages sont tendus vers le petit homme aux lunettes brillantes, immobile dans un fauteuil face à eux. Celui qui est venu respectueusement demander le soutien de ces «grands électeurs»,selon son expression, est le candidat Soumaïla Cissé, 68 ans, l’opposant le plus en vue de la présidentielle malienne. La prière une fois récitée, ses gardes du corps en armes tirent les lourdes portes. La clameur de la foule rassemblée depuis des heures sous le soleil pénètre brusquement dans le sanctuaire des marabouts. «Soumi» est aspiré au dehors, les militaires repoussent les enfants qui se battent pour toucher ses habits, les calebasses de cadeaux s’accumulent, des danseurs peinturlurés tourbillonnent dans la poussière, les griots hurlent des louanges, les notables transpirent sous leurs boubous.

Sur la place principale de Djenné, ce jeudi, on applaudit le folklore et la visite du candidat, mais une autre actualité occupe les esprits. «C’est l’insécurité qui nous tourmente», dit un homme en gilet vert dans le public. Le matin même, des Peuls du village de Somena, à 15 kilomètres, ont été «égorgés et jetés dans un puits». Un acte de vengeance après l’explosion meurtrière, la veille, d’une mine artisanale.

Routier

Le meeting a duré quarante-cinq minutes, la voiture de Soumaïla Cissé se fraye un chemin vers la sortie de la ville historique. Sur le toit de son véhicule, le président de l’Union pour la république et la démocratie (URD) sourit et agite gentiment les mains. Puis se laisse retomber dans l’habitacle climatisé du 4×4, passant sans transition de la harangue à l’entretien en tête à tête. A-t-il évoqué les violences intererthniques dans son discours ? «Il faut faire très attention avec ces choses-là, c’est un exercice de corde raide, avoue le candidat. En parler publiquement dans un rassemblement comme celui-là, c’est risquer de souffler sur les braises, de blesser une communauté.»

Soumaïla Cissé, ingénieur-informaticien de formation, sans grand charisme, est plus à l’aise pour disserter développement et économie. Il a des accents de libéral quand il parle de «raccourcir les délais de création» d’une entreprise à cinq jours. Mais son programme, banal, compte finalement pour peu dans ses chances de succès. La force de ce vieux routier de la politique malienne (il a été ministre des Finances, président de la commission de l’Union économique et monétaire ouest-africaine) est ailleurs. Dans le statut de leader de l’opposition qu’il s’est forgé en devenant la figure de proue de la résistance au projet de révision constitutionnelle, l’an dernier, auquel l’exécutif a dû renoncer. Dans le soutien qu’il a reçu de l’activiste contestataire Ras Bath, très influent auprès de la jeunesse. Dans la puissance de sa campagne, la seule à rivaliser financièrement avec celle du président sortant Ibrahim Boubacar Keïta. Les deux hommes, qui se connaissent parfaitement, s’étaient déjà affrontés au second tour de 2013. Soumi avait été battu à plate couture. «Cette fois-ci, j’ai un bon pressentiment», dit-il en souriant.

La campagne présidentielle, qui a duré seulement trois semaines, a été intense. Les 24 prétendants ont dû sprinter à travers tout le pays pour toucher le maximum d’électeurs – avec un taux d’électrification de seulement 27 %, rien ne remplace une visite du candidat en chair et en os. En province, quand deux caravanes se croisent (les routes ne sont pas nombreuses), les équipes échangent des plaisanteries et jaugent l’apparence des convois respectifs. Rien de méchant. Dans la capitale, la fièvre est plus élevée. «Si IBK passe au premier tour, on va tout casser»,clament ouvertement des supporteurs de Cissé.

Depuis dix jours, ce dernier met en garde contre des risques de fraude à grande échelle en dénonçant un fichier électoral vérolé (il serait bourré d’électeurs et de bureaux de vote fantômes). Les autorités ont reconnu une erreur dans la mise en ligne de la base de données, mais jurent que le bon fichier a bien été utilisé pour l’impression des listes et pour la future compilation des résultats. Des négociations et des vérifications étaient encore en cours, quarante-huit heures avant le vote.

Nasa

A Mopti, dans le lobby de son hôtel sur les bords du fleuve Niger, Cheick Modibo Diarra, 66 ans, explique qu’il suffirait d’enregistrer les citoyens maliens automatiquement à leur majorité et de mettre en place un système de vote électronique pour empêcher toute manipulation. Cet ancien employé de la Nasa, qui fut président de Microsoft Afrique pendant cinq ans avant de diriger le gouvernement de transition après le putsch militaire de mars 2012, est également un poids lourd de la présidentielle. Certains sondages le donnent comme le troisième homme de l’élection. Le candidat termine régulièrement ses discours en tentant de convaincre les électeurs qu’ils ne sont pas «liés par les billets qu’on leur distribue pendant la campagne». Les valises font partie des tournées électorales, symboles de la corruption ordinaire du système politique malien. «C’est une partie de l’argent public qu’on redistribue tous les cinq ans ! répète Diarra. Prenez l’argent qu’ils vous donnent, il vous appartient, mais votez en votre âme et conscience.»

Célian Macé

SourceLiberation

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