De retour de Ménaka, Ute Kollies, du Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l’ONU, dresse un sombre tableau de la situation humanitaire.
Depuis l’annonce de l’envoi de 600 soldats français supplémentaires dans la région « des trois frontières » entre le Mali, le Burkina Faso et le Niger, l’attention se focalise sur les défis sécuritaires dans cette zone difficile d’accès où sévit notamment l’Etat islamique au Grand Sahara (EIGS). Moins médiatisée, la situation humanitaire y est également préoccupante. En raison de la forte insécurité et de la faible présence de l’Etat – et donc des services sociaux de base –, les conditions d’existence des habitants sont régulièrement mises à mal.
Le 26 décembre, six ONG internationales actives dans la région de Ménaka, côté malien, décidaient de suspendre leurs activités pour une durée indéterminée à cause d’incidents répétés dont elles ont été victimes. Et la situation ne fait que se dégrader. Depuis l’attaque du poste militaire nigérien de Chinégodar, le 9 janvier, qui a fait 89 morts, les populations proches de la frontière se sont réfugiées dans la région de Ménaka. Cheffe du Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies (OCHA) au Mali, Ute Kollies s’y est rendue le 22 janvier.
Quelle est la situation dans la région de Ménaka ?
Avec le chef adjoint du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) au Mali, nous avons relevé, lors de notre dernière visite à Ménaka, qu’environ 2 000 ménages mixtes, composés de Nigériens et de Maliens, avaient traversé la frontière pour s’installer dans la région et notamment dans la localité d’Andéramboukane, à 100 km au sud-est de Ménaka.
C’est l’une des régions les plus pauvres d’un pays classé parmi les plus pauvres au monde, c’est-à-dire 184e sur 189 selon l’indicateur de développement humain. J’ai remarqué, en parlant aux femmes et aux jeunes, qu’il existe un réel manque d’accès à l’eau. Les déplacements de population peuvent d’ailleurs en être une conséquence. A cela s’ajoute un fonctionnement erratique des écoles et des centres de santé, dont près de 23 % ne sont pas fonctionnels ; et quand ils le sont, ils n’ont pas assez d’équipements ou de médicaments.
Mais c’est aussi une zone de conflit, avec une forte insécurité qui pousse les gens à fuir. Les ONG internationales y ont suspendu leurs activités en raison de la multiplication des incidents sécuritaires. Certaines organisations continuent néanmoins d’y travailler, à l’image du Comité international de la Croix-Rouge ou d’ONG nationales. La zone n’est donc pas totalement délaissée et nous travaillons à la résolution de cette situation. Il est nécessaire que la situation se stabilise.
Qu’est-ce qui a été mis en place pour accueillir ces 2 000 ménages venus du Niger ?
Le Programme alimentaire mondial (PAM) est intervenu auprès de ces populations, notamment en leur permettant d’avoir accès à des liquidités : environ 36 dollars ont été distribués à chaque ménage lors d’une première session. Et d’autres interventions sont planifiées pour faciliter leur installation, même à court terme, car il n’est pas exclu qu’elles souhaitent retourner chez elles. Pour le moment, la zone étant très instable, il est probable que de nouveaux déplacements aient lieu.
Nous avons également recensé des arrivées du Niger vers la ville de Gao, plus à l’ouest, il y a près d’un an. Ce sont des petits mouvements, dans des régions difficiles d’accès. Les agences onusiennes n’y sont pas présentes et travaillent à travers des partenaires. Mais nous sommes actuellement en discussion pour nous installer dans des villes comme Kidal ou Ménaka, afin de faciliter la gestion des interventions.
Vous avez déclaré à Genève que la solution militaire n’est pas la bonne. Que préconisez-vous à votre échelle ?
Nous avons besoin d’une approche beaucoup plus politique. Il faut regarder les causes profondes de la situation. Il y a malheureusement des facteurs différents selon les régions, quoique certains soient similaires. C’est le cas de l’impunité et de la justice. Cela invite certaines populations à se venger pour redresser le mal qui a été fait. Il y a également la problématique de la gestion des terres et de l’eau, qui concerne le nord comme le centre du pays, ou encore les intérêts des différents groupes de population. Et il n’y a qu’un espace à partager.
Dans un récent rapport, vous parlez de 4,3 millions de personnes qui ont besoin d’assistance humanitaire au Mali, et 1,1 million qui seront en insécurité alimentaire dans les mois à venir.
Et il faut ajouter à cela le nombre de déplacés internes qui a plus que doublé en un an. Nous en comptabilisions 80 000 il y a un an, ils sont plus de 200 000 aujourd’hui. On approche d’une situation comparable à celle de 2012, au plus fort de la crise, lorsqu’ils étaient 270 000. Nous avons besoin de plus de fonds pour agir. Car aujourd’hui, nous ne pouvons pas être présents partout où l’on aurait besoin de nous. Le PAM a déclaré le niveau d’urgence pour le Sahel et le Mali, et d’autres agences y réfléchissent.