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Au Mali, la difficile négociation avec les djihadistes

Négocier avec les islamistes est aujourd’hui au cœur de la réussite ou non du « gouvernement de transition » du colonel Asimi Goïta. Problème : les arcanes sont flous, et les acteurs nombreux à vouloir tirer les marrons d’un feu dangereux.

Annulée ! D’un commun accord, l’Élysée et les autorités maliennes ont tiré un trait sur la visite éclair qu’Emmanuel Macron devait effectuer ce lundi, d’abord à Bamako puis, lors d’un déjeuner avec les militaires français, sur la base de Gao. Prétexte officiel : les impératifs sanitaires liés à la progression de la pandémie en France. En réalité, de part et d’autre, on cache à peine l’ampleur des désaccords sur à peu près tous les sujets, y compris l’organisation même de la visite. Le président de la transition, le colonel Assimi Goïta réclamait un face-à-face avec son homologue, lequel plaidait pour une rencontre plurielle avec la présence d’un représentant de la CEDEAO et du G5 Sahel. Pour l’heure aucun autre rendez-vous entre les deux hommes n’a été arrêté*…et pendant ce temps, ce sont d’autres acteurs moins mis en lumière qui s’emparent des questions majeures.

Négocier avec les djihadistes ? Me Hassan Barry, un des plus célèbres avocats maliens l’a déjà fait. C’était en 2019, à un moment où au sommet de l’État, le président Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) se déclarait encore publiquement opposé à tout contact avec ceux « dont une mare de sang nous sépare ». Mais dans les coulisses, dès cette époque, la présidence s’était ralliée à l’idée qu’il faudrait en passer par là pour espérer mettre un terme à la guerre civile. Défenseur de plusieurs djihadistes présumés, Hassan Barry fut de ceux ayant pris langue avec Amadou Koufa, chef de la katiba Macina, et principal lieutenant du Touareg Iyad Ag Ghaly, l’émir du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM) lié à al-Qaida. Il agissait sous la supervision du commandant et futur colonel Malamine Konaré, fils de l’ancien président Alpha Konaré, chargé de plusieurs missions de ce genre ayant pour but d’obtenir la libération de membres des forces maliennes faits prisonniers. Avec, bien sûr, l’aval des autorités.

Médiateur avec les djihadistes : un métier dangereux

C’est du moins ce que Hassan Barry a expliqué à Marianne, tout en revenant sur sa rencontre avec Amadou Koufa, en juillet 2019, vraisemblablement près de la frontière avec la Mauritanie. « Il n’était pas opposé à la discussion, il nous disait d’ailleurs ne l’avoir jamais refusé. On avait bien déblayé le terrain, et nous en étions même à envisager la constitution de délégations pour aller de l’avant. Et puis, comme vous le savez, tout s’est arrêté. »

Le 22 novembre 2019, Hassan Barry est interpellé à son cabinet par les hommes de la Direction générale de la sécurité d’État (DGSE) malienne au prétexte de complicité active avec des terroristes. Il est détenu et entendu trois jours durant, le temps pour l’ordre des avocats et diverses associations de se mobiliser pour exiger sa libération. Est-il allé trop loin dans l’empathie manifestée à l’égard de Koufa ou de certains djihadistes l’ayant contacté par la suite ?

A-t-on voulu le salir pour discréditer par ricochet le processus et l’empêcher de se poursuivre ? Fin décembre 2019, les recommandations du « dialogue national inclusif » organisé tout au long de l’année vont pourtant dans ce sens, prônant ouvertement la discussion avec Iyad Ag Ghaly et Amadou Koufa.

Deux mois plus tard, en février 2020, c’est cette fois IBK en personne qui s’y déclare officiellement favorable. Il n’aura toutefois pas le loisir de tirer profit des tractations entreprises pour obtenir les libérations de la Française Sophie Pétronin, enlevée à Gao en 2016 et du leader d’opposition Soumaïla Cissé, kidnappé le 25 mars 2020 dans la région de Niafunké. Celles-ci sont effectives le 8 octobre 2020, deux mois à peine après la réddition en douceur d’IBK, chassé du pouvoir par une phalange d’officiers dirigés par le colonel Assimi Goïta.

Comment mieux débuter la transition que par un tel succès d’affichage ? Même si le prix à payer – notamment la libération simultanée de plusieurs centaines de djihadistes – ne ravit pas les militaires français engagés dans un combat meurtrier et de longue haleine contre le GSIM ? « La France ne veut toujours pas de ce dialogue. Elle ne le comprend pas souligne Hassan Barry. Mais elle ne peut pas imposer toujours sa volonté à un état souverain. Si les autorités de transition estiment que c’est la bonne voie pour trouver la paix à laquelle tous les Maliens aspirent, c’est leur droit et leur responsabilité ! » Soit. Mais l’avocat reprendrait-il pour autant son bâton de négociateur auprès de Kouffa ? « Uniquement si c’est dans un cadre officiel et très clair. » Chat échaudé…

Cadre flou si ce n’est confus

Or dans l’immédiat le cadre est pour le moins flou, si ce n’est confus. Le 23 octobre dernier, le Premier ministre Choguel Kokalla Maïga affirme « qu’aucune organisation nationale ou internationale n’a été mandatée officiellement » pour négocier avec Ghaly et Koufa… alors que quelques jours auparavant tous les médias locaux ont annoncé que le Haut conseil islamique du Mali (HCIM) était officiellement mandaté pour cette tâche. Pour le négociateur du HCIM, Moufa Haidara, l’objectif est clair : « trouver un compromis, entre Maliens, pour que la guerre cesse. »

Lors d’une conférence de presse tenue fin octobre dans sa mosquée de Banconi et à laquelle Marianne assistait, Chérif Ousmane Madani Haïdara, l’actuel président du HCIM s’est montré un tantinet agacé par les déclarations contradictoires du Premier ministre. « Que nous soyons mandatés ou délégués ou non, le gouvernement nous a trouvés dans notre œuvre de paix pour la stabilité du Mali. C’est de notre devoir de chercher les voies et moyens pour stabiliser notre pays et, cela doit être l’apport de tout bon Malien. Nous étions sur cette lancée bien avant la mise en place de ce gouvernement de transition… »

L’affaire aiguise en tout cas bien des appétits et des egos. Ancien héros des manifestations anti-IBK, avant d’être tenu à l’écart par les militaires, l’imam Mahmoud Dicko tente de revenir au premier plan. Qui mieux que lui connaît les chefs djihadistes ? Certainement pas les hommes du HCIM, a-t-il confié à Marianne. Sa certitude : « Ghaly ou Koufa ne négocieront jamais avec Haidara. Ils ne sont pas du même islam » Hassan Barry partage cette analyse. Mais ajoute aussitôt : « Dicko n’a jamais rencontré Koufa…. »

*En février 2022 un sommet Union Européenne-Union africaine est au programme

Source: marianne

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