T. Kamaté avait été incohérent dans ces déclarations. Mais cela ne suffisait pour établir sa culpabilité
Dans les affaires d’assises, certaines se révèlent d’une trompeuse simplicité. Relatés sur le papier, les faits paraissent faciles à interpréter, mais il suffit que les protagonistes ouvrent la bouche pour que l’on se rende compte que la réalité est beaucoup plus complexe que décrite. Il faut alors aux jurés le courage de prendre toutes les précautions possibles pour se forger une conviction et ne pas condamner un innocent. Ces précautions sont d’autant plus indispensables que la loi punit très sévèrement certains faits. En effet, les infractions relatives aux coups et blessures (c’est le cas qui nous intéresse aujourd’hui) sont prévus et punis par l’article 202 du Code pénal malien. En conséquence, elles peuvent donner lieu à l’application de peines criminelles. L’arrêt de mise en accusation N° 2259 du parquet général y était consacré hier à la cour d’assises de Bamako lors de la comparution du premier accusé du jour. C’était un jeune homme du nom de T. Kamaté. Il devait répondre d’accusations de coups et blessures ayant entrainé la mort d’un paisible citoyen.
Les faits, tels qu’ils ont été relatés devant l’accusé lui-même à la barre, face aux jurés, remontent à mai 2010. Ils se sont déroulés à Sienkun dans le cercle de Tominian. L’émotion a été très vive dans cette localité à la suite de la découverte macabre du corps sans vie d’un jeune garçon. Le cadavre en question avait été retrouvé au beau milieu de la route par un certain K. Théra. Celui-ci revenait d’un village voisin après une nuit de réjouissance populaire organisée à l’occasion d’un mariage dans cette localité. Le clou des réjouissances avait été une soirée dansante de balani. Comme la plupart des habitants du village dont il est originaire, K. Théra avait répondu sans hésiter à l’invitation faite par ses voisins de prendre part à ladite soirée de balani. Du début de la soirée jusqu’aux environs de quatre heures du matin, tout se passera très bien. Les organisateurs avaient mis les bouchées doubles pour satisfaire leurs invités et ces efforts avaient payé. Malheureusement cette soirée allait être celle du malheur pour le sieur T. Kamaté (l’accusé) qui faisait également partie des invités tout comme K. Théra qui a fait la découverte macabre du corps du jeune homme sur son chemin de retour. Comment cela lui est-il donc arrivé ?
DANS CET ÉTAT D’INCONSCIENCE. Après avoir assisté presque jusqu’au bout de la soirée de balani qui s’est achevée vers quatre heures du matin, K. Théra avait enfourché sa mobylette pour retourner dans son village. La distance séparant les deux localités étant relativement grande, il roula aussi vite qu’il le put pour arriver chez lui le plus tôt possible afin de récupérer un peu avant de commencer sa journée de travail. Pendant les premiers kilomètres de son parcours tout se passa bien. Mais à un moment donné, il fut pris d’une forte somnolence pendant qu’il était entrain de conduire son engin. Il payait alors la rançon d’une journée de travail très chargée à laquelle s’ajoutait le fait que notre homme se soit dépensé énormément sur le plan physique lors de la soirée de balani. K. Théra décida d’ignorer les signaux d’alarme que lui envoyait son cerveau. Au lieu de s’arrêter quelques minutes pour fermer les yeux comme on le dit, il s’obstina à poursuivre sa route. Mieux, il donna un coup d’accélérateur pour arriver plus vite à destination.
Mais il avait pris là une mauvaise décision. La fatigue fut la plus forte. Il s’endormit sans le savoir et continua à conduire sa moto dans cet état d’inconscience. Ce qui devait arriver arriva. Il perdit brusquement le contrôle de l’engin et retrouva projeté brutalement à terre. Il se releva et il alluma aussitôt la torche qu’il avait en poche. Il braqua la lumière de part et d’autre de la route pour s’assurer qu’il n’était pas menacé par un intrus. Le faisceau de la torche se posa alors sur un vélo couché sur le bas côté en travers de la voie. Juste à côté de la bicyclette, Théra aperçut le corps inanimé d’un jeune homme gisant dans une grande flaque de sang, et saignant de la bouche. Le mort sera identifié plus tard comme un certain F. Théra. K. Théra avoua que la vue du cadavre l’avait fortement secoué et que longues minutes se passèrent avant qu’il ne recouvre ses esprits.
Alors qu’il réfléchissait encore sur la meilleure décision à prendre, un autre jeune homme arriva sur les lieux. Mais le nouveau venu ne s’attarda pas sur place. Traumatisé lui également par le spectacle du mort, il s’en alla presqu’aussitôt en expliquant qu’il ne supportait pas de voir un cadavre dans un tel état. C’est ainsi que les parents de la victime seront informés du malheur qui les avait frappés. Ils apprirent cette mauvaise nouvelle pratiquement en même temps que la quasi totalité des habitants du village. Ces derniers prirent rapidement contact avec les autorités locales. La gendarmerie ouvrit une enquête dont les conclusions furent formulées sans équivoque. Le défunt avait été frappé à mort. Son corps portait encore des traces de coups provoquées soit par un objet contondant ou par un objet tranchant. De fil en aiguille, les enquêteurs mettront la main sur T. Kamaté qui était au balani au moment où le corps avait été découvert.
L’INCOHÉRENCE ET L’INCONSTANCE. C’est d’ailleurs cette participation à la fête qui attira l’attention sur lui. Il faut souligner qu’à aucun moment Kamaté n’a reconnu les faits qui lui étaient reprochés. Durant les enquêtes, il a constamment nié être l’auteur de la mort du malheureux F. Théra. Cependant ce qui l’a handicapé, c’est le fait que aussi bien durant l’enquête primaire que devant le juge d’instruction ses déclarations n’étaient pas du tout cohérentes. Il a soutenu avoir appris la nouvelle de la mort du jeune homme par des villageois, notamment par son propre jeune frère. Confronté à certains de ces villageois qui étaient supposés l’avoir informé, T. Kamaté est revenu sur ses propos, en prétendant qu’il avait reçu les informations de la mort du jeune homme dans le village où ils se trouvaient tous comme participants à la soirée balani. Ces déclarations contradictoires ont créé un préjugé défavorable à son égard et expliquent en partie son inculpation et sa comparution devant les juges.
Même à la barre, l’accusé a multiplié les déclarations incohérentes. Tantôt il a maintenu certaines déclarations faites lors des enquêtes. Tantôt il s’est complètement rétracté, expliquant avoir fait certaines déclarations à la gendarmerie par peur. Kamaté s’est toutefois défendu de mentir pour essayer de sauver sa tête.
Relevant l’incohérence et l’inconstance de l’accusé, énumérant certains points qui restent toujours à éclaircir, le ministère public a émis de sérieux doute sur la culpabilité de Kamité. Or, en droit pénal « le doute profite toujours à l’accusé ». Avec cette prise de position du ministère public, T. Kamaté a commencé à voir le bout du tunnel. Son avocat s’est empressé de s’engouffrer dans la brèche ainsi ouverte. Il a tenu à mettre l’accent sur deux points essentiels qui devaient jouer en faveur de son client. Le premier point, c’est le fait que l’accusé a tenu indiscutablement certains propos sous la peur des enquêteurs. En second lieu, au début de cette affaire, l’accusé avait été interrogé à plusieurs reprises. Mais seulement en qualité de témoin. Ce n’est que beaucoup plus tard qu’il a été inculpé sans que l’on comprenne très bien les raisons de ce revirement de statut. Au regard de ces deux faits qui pour lui ont pesé d’un poids décisif, Me Alifa Habib Koné s’en est remis à la sagesse de la cour. Les jurés, eux, devaient se prononcer sur deux questions. Elles portaient sur la culpabilité de l’accusé d’abord. Si celle-ci était avérée, T. Kamaté devrait-il bénéficier de circonstances atténuantes ?
En réponse, les jurés ont répondu en majorité par la négative. La réponse à la seconde question est donc automatiquement devenue sans objet. Faute de preuves suffisantes, la cour a déclaré T. Kamaté non coupable et a prononcé à son endroit une ordonnance d’acquittement. « Ce fut une décision noble de la part de juges », estimait-ton dans les couloirs du tribunal.
MH.TRAORÉ