Ce dimanche 7 novembre marque la Journée internationale de l’écrivain africain. C’est l’occasion pour nous d’évoquer un des personnages les plus importants de la littérature africaine : Amadou Hampathé Bâ. Ethnologue et diplomate malien, entre autres, cet article sera consacré à l’homme en tant qu’écrivain, sa tâche première.
Passé entre les mains de Thierno Bokar, celui qu’il nomme affectueusement « le Sage de Bandiagara », le natif de l’ancienne capitale de l’Empire toucouleur, Amadou Hampathé Bâ, a fortement marqué le 20e siècle. Ce, aussi bien à l’échelle africaine que mondiale.
Gardien de la tradition orale africaine
« En Afrique, un vieillard qui meurt, c’est une bibliothèque qui brûle » ! C’est à lui que nous devons cette expression devenue célèbre dans le monde entier. Cette phrase pourrait presque résumer l’essentiel de l’œuvre d’Amadou Hampathé Bâ : en l’absence de l’écrit, les anciens s’en vont avec une connaissance inestimable qu’ils n’ont pas pu transmettre entièrement.
Ironiquement, c’est par le biais de l’écriture que l’homme a œuvré pour la promotion de la tradition orale qui caractérise une bonne partie des cultures africaines.
En effet, comme il l’affirmait lui-même en 1981 dans une interview accordé au journal « Le Soleil » à Dakar, « ce n’est pas pour conserver des idées dans une bibliothèque que j’écris, mais au contraire pour assurer la plus large diffusion possible de nos valeurs traditionnelles, afin que chacun puisse s’y référer, méditer et, peut-être, ajouter et créer. En me livrant à ce travail de récolte et de fixation par réécriture, mon but a été également de servir d’exemple, afin que d’autres continuent dans la même voie. Je ne fais que jouer le rôle du devancier, dont le symbolisme se retrouve dans les danses sacrées : le vieux se met en avant, il danse, et tout le monde le suit au rythme de son pas ».
Devancier, c’est bien un adjectif qui rend, honorablement, hommage à cet homme dont l’œuvre continue des générations d’africains.
Un exemple du vivre-ensemble
De « l’Empire Peul du Macina » à « La Révolte des Bovidés » en passant par « L’Étrange Destin de Wangrin » et « Amkoullel l’Enfant Peul », la passion d’Ahmadou Hampaté Bâ pour le patrimoine culturel africain fait souvent oublier que l’homme était également un vrai exemple de vivre-ensemble.
Pour preuve, il a recueilli son œuvre, l’a transcrit et l’a traduit dès son plus jeune âge en français, peul, adjami, bambara ou encore en arabe. Humaniste, son ouverture d’esprit et sa volonté de réunir lui ont permis de rassembler, archiver et produire ce qui représente aujourd’hui un legs précieux aux jeunes africains. D’ailleurs, dans une lettre ouverte qu’il adresse à ces derniers en 1985, c’est bien à l’unité qu’il les appelait. Il leur disait alors :
« Certes, qu’il s’agisse des individus, des nations, des races ou des cultures, nous sommes tous différents les uns des autres ; mais nous avons tous quelque chose de semblable aussi, et c’est cela qu’il faut chercher pour pouvoir se reconnaître en l’autre et dialoguer avec lui. Alors nos différences, au lieu de nous séparer, deviendront complémentarité et source d’enrichissement mutuel. De même que la beauté d’un tapis tient à la variété de ses couleurs, la diversité des hommes, des cultures et des civilisations fait la beauté et la richesse du monde. […] À notre époque si grosse de menaces de toutes sortes, les hommes doivent mettre l’accent non plus sur ce qui les sépare, mais sur ce qu’ils ont de commun, dans le respect de l’identité de chacun. La rencontre et l’écoute de l’autre est toujours plus enrichissante, même pour l’épanouissement de sa propre identité, que les conflits ou les discussions stériles pour imposer son propre point de vue ».
Au vu de la situation sahélienne de nos jours, entre terrorisme et conflits inter-ethniques, il est possible d’affirmer que ces mots n’ont jamais été aussi actuels et leur vulgarisation, jamais aussi nécessaire.
Enfin, à l’occasion de cette journée spéciale dédiée aux écrivains de notre continent, il n’y a rien de plus pertinent que de répéter les mots d’Amadou Hampathé Bâ dans son ouvrage Vie et enseignement de Tierno Bokar, le sage de Bandiagara » lorsqu’il cite, lui-même, son maître spirituel : « N’aimer que ce qui nous ressemble, c’est s’aimer soi-même, ce n’est pas aimer ». Sans forcément tomber dans un monde de rêverie, cet amour entre les peuples auquel appellent Thierno Bokar et son disciple ne ferait que du bien à la population. Notamment au Mali où l’animosité entre ethnies reste présente. Que raisonnent, ainsi, ces mots !
Mamadou Bare