Prendre des conseils et des orientations auprès des cadres de la région de Mopti à Bamako, mobiliser les jeunes pour la promotion de la paix entre Dogon et Peulh, inviter l’Etat à prendre ses responsabilités… Le vice-président de la Plateforme Dogon, Peulh et Voisins, Alasseny Barry revient dans cette interview qu’il a accordée à L’Observatoire sur les raisons qui ont prévalu à la création de leur mouvement. Pour lui, les jeunes ont un grand rôle à jouer pour le retour de la paix dans les cercles de Koro, Bandiagara, Bankass et Douentza, d’où l’idée de la Plateforme.
L’Observatoire : Vous êtes le vice-président de la plateforme Dogon, Peulh et Voisins, créée pour contribuer au retour de la paix dans le centre du pays. Parlez-nous de cette plateforme ?
Alasseny Barry: La plateforme Dogon, Peulh et Voisins regroupe les jeunes des quatre cercles de la région de Mopti. Il s’agit de Koro, Bandiagara, Bankass et Douentza. Ces jeunes de la plateforme ont été sélectionnés sur la base de leurs activités qui consistent à maintenir la paix et à travailler dans le sens du retour de la paix. Ce sont des jeunes qui n’ont pas appelé à la violence et qui n’ont pas de partie prise. Nous avons constaté effectivement que des gens mal intentionnés ont mis dos à dos nos parents qui cohabitaient ensemble au village, qui étaient même devenus une communauté. Conscient de cela, ici à Bamako, nous, les jeunes, nous nous sommes réunis pour travailler et contribuer au retour de la paix et de la cohésion sociale dans le centre du pays.
A Bamako, vous avez rencontré des cadres ressortissants des cercles (Koro, Bandiagara, Bankass et Douentza). Qu’est-ce que vous leur avez dit lors de vos différentes entrevues ?
Oui, c’est vrai. Comme on dit chez nous, ce qu’un vieux voit étant assis, un jeune debout ne peut le voir. La question de sécurité étant délicate et glissante, nous les jeunes, sommes dits qu’avant de mettre les pieds, il est bon de prendre des conseils pour ne pas commettre des erreurs. C’est pourquoi, nous avons fait des démarches pour prendre des conseils et des orientations auprès des parents. Nous avons commencé cette activité par notre père Imam Mahmoud Dicko. Car, c’est suite à son appel que nous avons fait un front commun. Parce qu’il existait des Associations Dogon et Peulh qui évoluaient séparément dans ce sens-là. L’appel de l’imam Dicko aux Dogon et aux Peulh à déposer les armes et à faire la paix, nous a motivés à se retrouver et à travailler pour le retour rapide de la paix. Après, nous sommes allés rencontrer M. Salif Kodio de l’OMH, les présidents des Associations des quatre cercles, Dr Aly Barry ; M. Aly Dolo et Pr. Aly Nouhoum Diallo. Nous avons rencontré beaucoup des personnalités. Tout cela pour prendre des conseils et des orientations.
Peut-on dire, aujourd’hui, vous êtes suffisamment armés pour mener à bon port la mission que vous vous êtes assignée ?
Effectivement, nous sommes bien armés. Nous avons eu des expériences, nous avons pris des connaissances sur des obstacles. Nous sommes informés aussi des réels problèmes qui ont freiné nos cadres qui ont mené des actions de façon isolée. Ils nous ont partagé leurs expériences pour nous permettre d’aller de l’avant. Maintenant, nous pensons que nous sommes outillés pour savoir où attaquer, comment et quand.
Des actions de réconciliation initiées par des cadres Dogon et Peulh, dans le passé, n’ont pas connu de grand succès. Comment comptez-vous faire pour réussir là où vos prédécesseurs ont presque échoué ?
Cette question est délicate. Je me rappelle bien quand nous étions chez Moumouni Guindo, président de l’OCLEI, lui, il a appelé à une synergie d’actions, puisqu’il y a beaucoup d’acteurs qui se vantent de travailler pour le retour de la paix. De façon isolée. Mais, concrètement, le résultat n’y ait pas. Cela demontre qu’il y a eu des actions parallèles voire isolées. A notre niveau, nous avons compris que c’est l’union qui fait la force. Il faut l’union de toutes les associations, de toutes les organisations et de toutes les personnalités pour faire réellement tâche d’huile pour le retour de la paix. Nous avons compris aussi qu’il faut obligatoirement l’implication de l’Etat. Car, tout part de l’Etat. Tant que l’Etat n’est pas impliqué, les actions des autres ne peuvent pas perdurer.
Vous interpelez l’Etat à s’impliquer dans le règlement du problème du centre. Est-ce que votre plateforme est reconnue par les autorités ?
Pour l’instant, on peut dire oui et non. Nous avons déposé une demande d’audience auprès du ministre de la réconciliation nationale. Il ne nous a pas appelés, d’abord. Mais, nous avons fait de nombreuses sorties médiatiques qui nous permettent de croire que nous sommes connus. Notre rôle, c’est d’informer l’opinion publique de la situation du centre et d’inviter l’Etat à prendre ses responsabilités. Nous avons estimé que, le fait de rencontrer les cadres des cercles pour leur expliquer nos préoccupations, et inviter les autorités à s’impliquer davantage était plus professionnel qu’organiser des marches de protestations.
Avez-vous un plan d’action ?
Nous avons démarché des personnalités. Nous avons fait des sensibilisations. Nous comptons descendre sur le terrain. Vu que la finalité même c’est le centre, toutes les actions entreprises concourent au retour de la paix. Nous comptons préparer des équipes qui descendront sur le terrain pour s’enquérir des réalités et sensibiliser les acteurs, qui, en majorité sont des jeunes. Nous avons compris aussi que la plupart des gens qui détiennent une arme sont des jeunes. Les vieux ne prennent pas des armes, les enfants non plus. Donc, qui pour mieux écouter un jeune qu’un autre jeune. Nous sommes là pour accompagner et sensibiliser nos parents.
Avez-vous de contact sur le terrain ?
Oui. La plateforme a environ 200 membres. Parmi ces membres, il y a des résidents à Bamako, mais d’autres dans les différents cercles. Nous avons déjà des représentants dans les quatre cercles. Une fois que les choses prendront la forme, nous allons les contacter. Et les gens continuent à adhérer sur le terrain. Ce sont nos points focaux, d’ailleurs.
Il n’y a pas longtemps, l’ex porte-parole de Dana Ambassagou, Marcelin Guengueré, et le chef de la milice peulh, Sekou Bolly, se sont donné la main pour travailler au retour de la paix. Est-ce que vous avez de contact avec eux ?
Nous n’avons pas de contact avec ceux-ci au nom de la plateforme. Mais, certains de nos membres ont l’habitude de travailler avec les deux. C’est un bon signal. Aujourd’hui, c’est Peulh et Dogon pour le retour de la paix.
Quelles sont vos principales recommandations, d’abord au gouvernement, et, ensuite, aux cadres ressortissants du centre ?
D’abord, au gouvernement, j’ai toujours dit, du début à la fin, la faute incombe au gouvernement. Quand nous prenons le problème du centre, c’est vrai que l’élément djihadisme a été déclencheur. Mais, il y avait l’injustice et la pauvreté. Ces facteurs ont été générés par le gouvernement dont ses représentants rendaient mal le jugement notamment sur les litiges fonciers entre agriculteur et éleveurs. Toute chose qui a amené des tensions entre les communautés. Au début des conflits à aujourd’hui, le gouvernement n’a posé aucune action concrète, nous voulions que le gouvernement, au lieu de sous-traiter la sécurité avec des milices prenne sa place. Etant donné que la sécurité, l’éducation, la santé incombent à lui. Nous appelons le gouvernement à tout mettre en place pour occuper le terrain. Il faut déployer l’administration et l’Armée pour sécuriser les personnes et leurs biens. Dans un second temps, nous appelons le gouvernement à désarmer toutes les milices. Une arme doit être détenue seulement par les militaires. Dans un troisième temps, le gouvernement doit mettre tout en œuvre pour le retour définitif des déplacés parce qu’il y a des villages tant qu’ils ne retournent pas leurs voisins ne peuvent pas avoir la paix. Tous les déplacés doivent regagner leur localité d’origine. Et ensuite, le gouvernement doit entreprendre des actions d’accompagnement.
Pour nos cadres, nous les invitons à une synergie d’actions pour le retour de la paix puisque nous avons constaté que dans ce conflit, il y a beaucoup qui entreprennent des actions solitaires et puis à des fins diverses. Nous devons dépasser tout ça. Le centre a souffert, le centre a besoin réellement des solutions concrètes et cela passe par la synergie d’actions de tous les cadres ressortissants du centre, vivants à Bamako.
Propos recueillis par Ousmane Morba
Source: L’Observatoire