La salle d’audience de la Cour d’assises spéciale de Bamako a de nouveau vibré ce lundi 9 juin 2025 sous le poids d’une affaire qui hante les mémoires et alimente les discussions depuis près d’une décennie. Le procès de l’achat controversé de l’aéronef présidentiel et des équipements militaires sous le régime d’Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) s’est poursuivi avec intensité, révélant une fresque de décisions contestées, de pratiques administratives douteuses et de responsabilités diluées.
Bamada.net-Au cœur des débats : Mme Bouaré Fily Sissoko, ex-ministre de l’Économie et des Finances, et Mahamadou Camara, ancien ministre de la Communication et ex-directeur de cabinet du Président de la République. Face à une Cour déterminée, les deux anciens piliers du régime ont livré des versions parfois prudentes, parfois tranchées, sur des faits qui continuent de soulever des interrogations majeures sur la gestion des deniers publics.
Un paiement anticipé de 15 milliards FCFA : erreur de procédure ou manœuvre délibérée ?
La journée a été dominée par une question capitale : qui a autorisé le paiement de 15 milliards de FCFA, versés le 13 mars 2014, alors que l’autorisation écrite de Mme Bouaré Fily Sissoko n’est datée que du 21 mars ?
Face à ce décalage temporel, la Cour a longuement interrogé l’ex-ministre pour déterminer si sa lettre du 21 mars servait de couverture rétroactive à une transaction déjà effectuée. Mme Bouaré s’en est défendue avec calme et méthode. Elle affirme avoir signé dans le cadre strict de ses prérogatives, sans avoir connaissance de l’exécution préalable du paiement. Mieux encore, elle dit n’avoir appris l’anomalie qu’au moment de l’instruction judiciaire, plusieurs années après les faits.
Le président de la Cour, visiblement peu convaincu, a insisté : « Avez-vous été informée, à un quelconque moment, avant ou après, que les fonds avaient été décaissés ? » Mme Bouaré a répondu par la négative, invoquant le cloisonnement des informations au sein de l’exécutif à l’époque. La Cour, tout en prenant acte de ses déclarations, a poursuivi son travail d’éclairage, déterminée à ne laisser aucun angle mort.
Mahamadou Camara : le témoin devenu cible
La tension a atteint un nouveau sommet lors de la comparution de Mahamadou Camara, cité par la défense de Mme Bouaré pour attester de la tenue d’une réunion autour de l’achat de l’avion présidentiel. Si sa présence à la barre avait un objectif défensif, elle a déclenché une offensive inattendue du ministère public.
À Lire Aussi :Affaire de l’avion présidentiel : un scandale financier de 100 milliards FCFA devant la justice
Le procureur a requis l’inculpation immédiate de M. Camara pour complicité, estimant qu’il avait joué un rôle déterminant dans la chaîne de décision ayant conduit à l’achat de l’aéronef et à la délivrance d’un mandat douteux à l’entrepreneur Sidi Mohamed Kagnassi. Toutefois, la Cour a refusé de céder à cette requête, préférant maintenir le cadre initial de l’audience.
Dans sa déposition, Mahamadou Camara a assumé ses actes, affirmant avoir agi sur instructions du président Ibrahim Boubacar Keïta, notamment en délivrant un mandat à M. Kagnassi pour accompagner l’exécution de contrats militaires. Selon lui, ce mandat n’avait pas valeur de contrat, mais visait uniquement à faciliter des démarches. Une explication qui laisse néanmoins perplexe quant à la légalité de l’intervention d’un tel intermédiaire dans un dossier aussi sensible.
Les équipements militaires : entre surfacturation et dissimulation
Le second pan du procès, relatif aux équipements militaires, est tout aussi explosif. Mme Bouaré Fily Sissoko a reconnu avoir émis une garantie de 100 milliards de FCFA à la demande du ministère de la Défense, bien que les besoins initiaux aient été estimés à 65 milliards. L’écart, selon elle, visait à anticiper de futurs besoins logistiques dans un contexte d’urgence sécuritaire.
Mais cette justification n’a pas convaincu la Cour, qui a soulevé une incohérence majeure : le ministère de l’Économie n’a pas été associé à la négociation du contrat initial. Pire, une partie des 15 milliards décaissés aurait servi, selon des révélations de l’enquête, à acheter des armes de manière dissimulée, dans un contexte où le Mali était sous embargo sur les armes.
Mme Bouaré s’est dite elle-même surprise par cette réalité, affirmant qu’elle n’avait jamais reçu de facture claire ni d’explication sur la nature du paiement, autre que de simples mentions de « frais divers ». Ce flou, entretenu à tous les niveaux de la chaîne, illustre à quel point la gestion de ce dossier fut marquée par une absence de transparence.
Un rapport accablant du BVG
La Cour a également confronté Mme Bouaré à un rapport du Bureau du Vérificateur Général (BVG) révélant une possible surfacturation de 29 milliards de FCFA sur les équipements militaires. Interrogée sur sa part de responsabilité, l’ex-ministre a rappelé que les prix des équipements militaires ne sont pas réglementés au Mali depuis 1996. Elle a précisé que son rôle, une fois le protocole signé, était limité au suivi administratif.
Dans une posture de responsabilité mais de lucidité, elle a déclaré : « J’ai agi dans un contexte de guerre. Chaque retard pouvait coûter la vie à nos soldats. Mais j’aurais voulu plus de rigueur au sommet de l’État. »
Un procès révélateur d’un système défaillant
Ce procès ne se limite pas à la mise en cause d’individus. Il jette une lumière crue sur les carences structurelles de la gouvernance publique malienne. Confusion des rôles, absence de traçabilité, concentration des pouvoirs décisionnels, manque de contrôle indépendant : tout un système de gestion étatique est ici mis en accusation.
En toile de fond, la Cour tente de réconcilier deux impératifs : respect des droits de la défense et exigence de redevabilité des gestionnaires publics. Le climat est lourd, les enjeux considérables. Ce n’est pas seulement la justice d’un pays qui s’exprime ici, mais aussi sa capacité à tourner une page d’impunité dans la gestion des ressources publiques.
Et après ?
L’audience reprendra ce mardi 10 juin 2025 à 09h30, avec de nouveaux témoignages attendus, des pièces comptables à examiner, et peut-être d’autres noms à sortir de l’ombre. L’opinion publique, lassée des scandales étouffés et des dossiers classés sans suite, observe avec une vigilance accrue.
NB : Toute reproduction, intégrale ou partielle, sans une autorisation explicite de notre part est strictement interdite. Cette action constitue une violation de nos droits d’auteur, et nous prendrons toutes les mesures nécessaires pour faire respecter ces droits.
MLS
Source: Bamada.net