La deuxième semaine du procès dit de l’achat de l’avion présidentiel et des équipements militaires a été suffisamment consacrée aux auditions de Mahamadou Camara, Nouhoum Dabitao et de Moustapha Drabo en filigrane la comparution des témoins clés dans cette affaire.
Au cours de l’audition de l’ex-directeur de cabinet du président IBK, Mahamadou Camara mardi dernier, la Cour a jeté la lumière sur les zones d’ombre qui enferment la gestion des contrats de surfacturation des équipements militaires. Pour la Cour et le parquet général, c’est le fait que Mahamadou Camara a formalisé ce mandat avec sa signature qui a créé cette zizanie et qui par la suite a eu un impact négatif sur les finances publiques, voire un conflit d’intérêt parce que juste après Sidi Mohamed Kagnassy a été nommé conseiller spécial du président.
- Camara de son côté a rejeté l’idée avancée par la Cour et le parquet précisant que son rôle s’était limité à la signature et à la transmission dudit document à Sidi M. Kagnassy, conformément aux ordres du président de la République.
Après l’audition musclée de l’ex-directeur de cabinet de la présidence, l’ancien directeur du Commissariat des armées, le colonel-major Nouhoum Dabitao a été appelé à la barre pour expliquer le rôle qu’il a joué dans ces contrats militaires.
Le Vérificateur général dans son rapport a décelé que des équipements d’une valeur de 9,456 milliards de F CFA n’ont pas été fournis, bien que le paiement intégral au fournisseur soit sous les instructions de Nouhoum Dabitao. C’est lui qui a émis l’expression des besoins composés d’habillement, de couchage, de campement, et d’alimentation au ministre de la Défense.
A la barre, le colonel-major Dabitao a confirmé avoir attesté la livraison de tous les équipements, mais qu’il ne dispose pas des bordereaux de livraison nécessaires. Cette affirmation de Dabitao n’a pas rassuré le président de la Cour, les conseillers encore moins le parquet général et le contentieux de l’Etat. Ce qui a suscité ainsi un doute sur la conformité de ces livraisons.
Néanmoins, il a pu fournir à la Cour une dizaine de procès-verbaux et bordereaux d’ordres d’entrée et d’affectation des matériels militaires, documents jugés essentiels pour la traçabilité des livraisons.
“M. le président, d’août 2014 à juillet 2015, tous les matériels que nous avons commandés ont été livrés par le fournisseur. Si je ne me trompe pas c’était neuf livraisons. En 2014, les militaires ont été bien dotés, chaque militaire avait reçu trois tenues et d’autres accessoires. D’ailleurs c’était la première fois depuis le temps de Kissima Doukara qu’on dotait les Forces de défense et de sécurité en équipements. Pour votre information, c’est moi qui ai créé le logo des FAMa. Donc je ne reconnais pas les faits qui me sont reprochés”, a fait savoir le colonel-major Dabitao.
A la suite de l’interrogation de Nouhoum Dabitao, le général de brigade Moustapha Drabo, non moins ancien directeur du matériel, des hydrocarbures et du transport des armées (DMHT) a été entendu sur trois points ; à savoir : la réception de 281 véhicules, la formation et la maintenance, ainsi que les divergences entre les rapports des différents services.
Au cours de son interrogatoire sur la réception des matériels, le général Drabo a démenti les documents indiquant un double paiement pour le transport des équipements de la France au magasin, d’une somme de 939 millions de F CFA.
S’agissant de la formation, le contrat initialement prévu était de 14 millions de F CFA, mais le rapport du Vérificateur général a relevé une facturation de 23 millions de F CFA.
L’ancien directeur du magasin de l’armée a rejeté le montant donné par le Vérificateur. Il a ensuite présenté à la Cour la liste du personnel formé et le registre d’immatriculation de 281 véhicules reçus.
“M. le président, j’ai 35 ans de service et 8 ans en tant que directeur matériel des hydrocarbures et de transport des Armées. Je n’ai jamais été épinglé dans des magouilles financières. Dans le cadre du contrat Guo Star, il y a le volet de formation des formateurs. C’est moi qui ai signé l’attestation en fournissant les éléments qui doivent être formés en tant que directeur de la structure bénéficiaire de la formation. Je n’ai jamais signé aucun contrat, je n’ai jamais joué aucun rôle en ce sens, je ne sais pas pourquoi on m’accuse”, a martelé le général Drabo.
Le président de la Cour, Banassa Sissoko, avant de suspendre l’audience de la journée de mercredi dernier, a confirmé la réception d’un document du secrétaire général du ministère de la Défense et des Anciens combattants qui atteste la livraison de l’ensemble des 281 véhicules.
L’audience du jeudi 3 octobre 2024 a débuté par l’examen de certaines preuves fournies, notamment le tableau du secrétaire général du ministère de la Défense et des Anciens combattants qui certifie la livraison de l’ensemble des 281 véhicules.
Le ministère public et le contentieux de l’Etat ont émis un doute sur la véracité de ce tableau arguant que ce n’était pas une preuve suffisante pour attester la livraison effective de l’ensemble des équipements. Dans la foulée de l’examen de certaines preuves, le parquet général représenté par Koké Coulibaly a pris la parole en cascade pour faire un réquisitoire.
Le parquetier a réitéré sa demande d’insérer une nouvelle infraction à savoir “association de malfaiteurs” aux différentes charges qui pèsent à l’encontre des accusés, une proposition déjà rejetée par la Cour le lundi 30 septembre 2024.
“M. le président, il ressort clairement dans les débats que Bouaré Fily Sissoko et ses coaccusés se sont constitués en coalition de fonctionnaires en dehors de tout cadre légal pour rédiger et signer des contrats à hauteur de milliards de nos francs. Le processus tant dans la forme que dans le fond est frauduleux et corrompu. Cette aventure a fait saigner l’Etat. Nous vous demandons d’étendre votre compétence en acceptant notre requête”, a requis le parquet.
Tout comme lors du premier réquisitoire, les avocats des accusés ont riposté vigoureusement en qualifiant cette manœuvre du parquetier de “désinvolture”. Une tentative manifeste du parquet de jouer à la prolongation alors que ce procès relève d’une importance capitale pour l’opinion nationale et internationale.
“M. le président s’il y a une coalition de fonctionnaires, c’est entre le parquet général et le représentant du contentieux de l’Etat. Ce dossier n’aurait pas dû être judiciarisé ici. Depuis la mort de Soumeylou Boubèye Maïga (ancien ministre de la Défense et des Anciens combattants et Premier ministre [Ndlr]), on devrait abandonner ce dossier. Aujourd’hui il n’est pas là, personne ne parlera en son nom”, a plaidé Me Mamadou Bobo Diallo.
Pour le public, le ministère public, partie poursuivante dans ce procès, est en train de montrer que ce dossier est vide depuis le début. D’où l’instruction de nouvelle charge pour essayer de prouver la culpabilité des accusés. La Cour, dans sa délibération, a rejeté de nouveau la demande introduite par le parquet général pour vice de forme.
Témoignages
Juste après cet incident, la Cour a entamé la phase des témoignages. Tout d’abord c’est le secrétaire général du ministère de la Défense, le général Sidiki Samaké, qui a témoigné en premier. Il a corroboré tout ce que Dabitao et Drabo ont affirmé sur la réception des équipements militaires.
Le général Samaké a assuré que tous les matériels ont bel et bien été réceptionnés conformément aux protocoles. S’agissant de l’achat de l’avion présidentiel, il a fait savoir qu’aucune trace du contrat n’existe dans les archives du département de la Défense même une copie du contrat de l’aéronef.
Cette déclaration du secrétaire général du ministère de la Défense a suscité des débats dans la salle. Mais l’ex-ministre de l’Economie et des Finances Bouaré Fily Sissoko est restée formelle sur l’existence de ce contrat de l’achat de l’avion de commandement du président.
“M. le président, ce contrat existe bel et bien. Pour votre information, il a été établi à Philadelphie (Etats-Unis). S’il n’y a pas une copie au ministère de la Défense, cela ne veut pas dire que le contrat n’existe pas. Ils peuvent aller fouiller dans les archives nationales quand même ce contrat date depuis 10 ans”, a rétorqué l’ancienne patronne de l’Hôtel des Finances.
Le lieutenant-colonel Coumba Diarra qui a participé à six réceptions a témoigné que tous les matériels ont été réceptionnés. Au cours de sa déposition, la Cour a relevé des incohérences dans les deux tableaux de livraison qui présentaient des montants différents.
Le vendredi 4 octobre 2024 qui consacrait la dixième journée du procès dit de l’acquisition de l’avion présidentiel et d’équipements militaires, la Cour a poursuivi avec les témoignages. Parmi ceux qui ont témoigné, il y a Abou Berthé, ancien contrôleur financier à la direction des Finances et du Matériel du ministère de la Défense et des Anciens combattants et Seydou Dicko, du même service. Ces derniers ont apporté des précisions de taille sur leur rôle et les procédures suivies.
Abou Berthé dans son témoignage, a expliqué que deux mandats de 22 milliards de F CFA chacun avaient été exécutés au profit du trésorier payeur, sur décision du ministre de la Défense, courant 2014 et 2015.
Dans son récit, il a laissé entendre que les documents de paiement nécessaires, notamment les factures certifiées, avaient été dûment vérifiées par le contrôle financier. Néanmoins, il a révélé ne pas avoir eu connaissance des protocoles de partenariat avec la société Guo Star avant la publication du rapport du Vérificateur général.
Tout comme le secrétaire général du ministère de la Défense, M. Berthé a également indiqué qu’aucun document relatif à l’acquisition de l’avion présidentiel n’avait été signé par ses services.
Quant à Seydou Dicko, il a confirmé que tous les matériels mentionnés dans le contrat avaient été réceptionnés précisant que le contrôle de la qualité et de la quantité est du ressort de la commission de réception.
Les témoignages d’Abou Berthé et de et Seydou Dicko ont soulevé certaines incohérences sur la question de la lettre de confort et de la caution de garantie émises par le ministère de l’Economie des Finances pour le compte du ministère de la Défense.
Koké Coulibaly, le parquetier a évoqué un éventuel cas de “faux et usage de faux” concernant les factures pro-forma et définitives. Il a par ailleurs adjuré la suspension de la séance pour permettre au ministère public d’obtenir les factures manquantes.
Le président de la Cour leur a donné tout le week-end pour examiner les documents, fixant ainsi la reprise de ce procès au lundi 7 octobre 2024.
Ousmane Mahamane
Source: Mali Tribune