Après plusieurs semaines d’audience riches en révélations et en tensions, le procès emblématique relatif à l’achat controversé de l’avion présidentiel et des équipements militaires sous le régime de feu le président Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) a connu son épilogue ce mardi. La Cour d’assises spéciale de Bamako a rendu son verdict dans cette affaire qui aura tenu en haleine l’opinion publique nationale et internationale. L’ancienne ministre de l’Économie et des Finances, Madame Bouaré Fily Sissoko, a été condamnée à dix ans de prison ferme et à une amende de 500 000 FCFA, bien que le ministère public ait requis vingt ans de réclusion criminelle à son encontre.
Une affaire d’État devenue symbole de lutte contre la corruption
Bamada.net-Le procès dit de « l’avion présidentiel et des équipements militaires » s’est tenu dans un contexte de forte attente citoyenne. Il a mis en cause une dizaine de hauts responsables de l’État et d’opérateurs économiques, accusés d’avoir participé à des montages financiers frauduleux ayant coûté des dizaines de milliards de francs CFA au Trésor public malien. Le parquet général avait évoqué de graves irrégularités, des surfacturations massives, des violations répétées du Code des marchés publics et un abus de position par des agents publics.
Focus sur les condamnations
Le verdict prononcé ce mardi 8 juillet 2025 par la Cour d’assises spéciale de Bamako se présente comme suit :
Condamnés :
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Bouaré Fily Sissoko, ancienne ministre de l’Économie et des Finances :
➤ 10 ans de prison ferme
➤ 500 000 FCFA d’amende
➤ Déjà quatre années passées en détention préventive, ce qui lui laisse six ans à purger. -
Colonel-major Nouhoum Dabitao, ancien directeur du Commissariat des armées :
➤ 7 ans de prison ferme
➤ 300 000 FCFA d’amende
➤ Selon ses déclarations, son rôle se limitait à la livraison des équipements HCCA dans le Lot n°1 du contrat GUO Star. -
Moustapha Ben Barka, ancien ministre et proche du clan présidentiel IBK, et
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Sidy Mohamed Kagnassy, homme d’affaires réputé proche de l’ancien régime :
➤ Condamnés par contumace à la réclusion criminelle à perpétuité -
Les frères Kouma, Amadou Baïba Kouma et Nouhoum Kouma, responsables de la société GUO Star SARL (au cœur de cette affaire) :
➤ Réclusion criminelle à perpétuité (également condamnés par contumace)
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Acquittés :
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Mahamadou Camara, ancien ministre et directeur de cabinet du président IBK en 2014
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Général de brigade Moustapha Drabo, ex-directeur du Matériel, des Hydrocarbures et des Transports des Armées (DMHTA)
Ces deux personnalités ont été blanchies par la Cour, celle-ci estimant qu’il n’existait pas d’éléments suffisants pour établir leur culpabilité.
Retour sur les réquisitions du parquet général
Lors de la 21ᵉ audience, le parquet général avait adopté une posture ferme, requérant de lourdes peines à l’encontre des principaux accusés. Bouaré Fily Sissoko s’était retrouvée dans le viseur des réquisitoires, accusée de porter une « responsabilité écrasante » dans les décisions ayant conduit aux irrégularités. Le ministère public avait requis 20 ans de réclusion criminelle à son encontre, considérant que les détournements de fonds étaient prémédités et systématiques.
Le colonel-major Dabitao, bien que n’ayant pas directement participé aux montages financiers, avait vu requis contre lui une peine de 10 ans de prison ferme. Son rôle, selon ses déclarations, se limitait à la supervision logistique des matériels réceptionnés, notamment les équipements relevant du lot n°1 du protocole signé avec GUO Star.
Le ministère public avait, en revanche, proposé l’acquittement de Mahamadou Camara et du général Moustapha Drabo, proposition finalement suivie par la Cour.
Une audience hautement médiatisée
La dernière phase du procès s’est déroulée dans une salle comble du palais de justice de Bamako, en présence de nombreux journalistes, avocats, diplomates, observateurs internationaux et membres de la société civile. Ce procès marque l’un des plus importants du genre depuis l’avènement de la Transition en août 2020, illustrant, selon certains, la volonté des autorités judiciaires maliennes de rompre avec l’impunité qui a longtemps caractérisé la gouvernance publique au Mali.
Une page judiciaire se tourne, une page politique s’ouvre
Le verdict rendu est déjà perçu dans certains cercles comme un message fort envoyé aux anciens et actuels gestionnaires des deniers publics. Il pourrait également être utilisé à des fins politiques, tant il polarise l’opinion. Tandis que les partisans de l’ancien régime dénoncent un procès politique, les défenseurs de la Transition y voient une opération mains propres salutaire.
Et maintenant ?
Il n’est pas exclu que les avocats de la défense fassent appel de certaines décisions, notamment dans le cas de Madame Bouaré Fily Sissoko, dont les proches dénoncent un jugement « sévère et injuste ». Toutefois, pour les observateurs de la vie politique malienne, le plus dur reste à venir : la traduction judiciaire d’autres dossiers emblématiques de corruption reste attendue.
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BEH COULIBALY
Source: Bamada.net