Le procès relatif à l’achat de l’avion présidentiel et des équipements militaires est entré dans sa troisième semaine ce lundi 16 juin 2025. Après les auditions de Mahamadou Camara ex-directeur de cabinet du président IBK, du général de brigade Moustapha Drabo et du colonel-major Nouhoum Dabitao, cette nouvelle semaine est consacrée aux témoignages.
Le vendredi 13 juin 2025, le nouveau code pénal est officiellement entré en vigueur, supprimant entièrement les Cours d’assises au profit des chambres criminelles au sein des tribunaux de grande instance.
Ce lundi matin, lors de la reprise du procès, les avocats de la défense ont déposé une requête pour désormais contester la compétence et l’existence même de la Cour d’Assises spéciale dans sa forme actuelle pour juger ce dossier. Ils ont demandé que l’affaire soit renvoyée devant une chambre criminelle de la Cour d’appel compétente, conformément aux dispositions du nouveau code pénal.
Cette démarche a provoqué de vives tensions entre le parquet général, dirigé par Koké Coulibaly, et les avocats de la défense, Me Dianguine Tounkara et Mamadou Balobo Diallo. Selon le parquet, ce procès constitue la suite logique de celui entamé le 22 mai 2025, lequel avait été renvoyé au 2 juin en raison des problèmes de santé de Mme Bouaré Fily Sissoko.
Le parquet s’appuie sur l’article 1371-1 du nouveau code pénal, qui précise que « en attendant la mise en place du collège des libertés et de la détention, les juges d’instruction et les procureurs de la République continuent à exercer la plénitude de leurs attributions en matière de justice ».
Interprétant cette disposition, le parquet estime que, malgré la suppression des Cours d’assises, la Cour d’Assises spéciale conserve toute sa légitimité pour juger cette affaire.
Me Dianguine Tounkara a balayé ces arguments d’un revers de main, rappelant qu’une décision judiciaire s’applique immédiatement. De son côté, Me Mamadou Balobo Diallo a affirmé que l’ancien code de procédure pénale est « mort de sa belle mort ».
Le parquet reste catégorique et considère ce débat comme une diversion. Il a demandé à la Cour de tirer toutes les conséquences juridiques nécessaires. Face à cet imbroglio judiciaire, la Cour s’est brièvement retirée pendant dix minutes avant de revenir en salle pour suspendre l’audience jusqu’au mardi 17 juin 2025.
Le mardi matin, lors de la reprise, la Cour a rejeté la requête des avocats concernant la suppression des Cours d’assises. Elle s’est appuyée sur l’article 56 de la Loi n° 2024-030 du 13 décembre 2024 portant organisation judiciaire en République du Mali.
Ce texte stipule que « les juridictions continuent à connaître des affaires qui leur sont dévolues dans leur organisation actuelle, en attendant la mise en œuvre progressive des dispositions de la présente loi. Elles conservent également leurs compétences dans leurs ressorts actuels ».
Sur cette base, le président de la Cour, Bamassa Sissoko, a jugé la demande des avocats irrecevable.
Ousmane Bouaré à la barre : un témoignage chaotique
À 10 heures, ce mardi 17 juin 2025, Ousmane Bouaré, assistant de la société Guo Star, est appelé à témoigner. Il affirme devant la Cour avoir été chargé de la réception et de la livraison des matériels aux magasins de la DMHTA et de la DCA à Kati.
Interrogé sur la conformité des livraisons, il soutient que l’ensemble des équipements a été livré intégralement, conformément au protocole d’accord signé avec Guo Star. Il précise également que le Trésor public a payé 69 milliards de F CFA comme convenu.
Cependant, au bout de trente minutes d’audition, la Cour relève des incohérences, notamment concernant l’avenant de 5,9 milliards de F CFA qu’il a lui-même signé au nom d’Amadou Kouma. Mis en difficulté, M. Bouaré admet avoir signé le document, tout en affirmant qu’il ignorait totalement son contenu.
Acculé par les questions, il les esquive systématiquement, se contentant de répondre : « Je ne sais pas » ou « Je n’en sais rien ».
Après cinq heures d’audition, M. Bouaré n’a pas éclairé la Cour sur plusieurs points cruciaux : la lettre de garantie émise par Bouaré Fily Sissoko, la traçabilité des fonds versés à la Banque Atlantique au compte de Guo Star, ou encore les détails des transactions.
Mamadou Makan Sidibé et son rôle dans l’affaire
L’ancien Directeur des Finances et du Matériel (DFM) du ministère de la Défense, Mamadou Makan Sidibé, est ensuite appelé. Il affirme avoir reçu une copie du contrat militaire des mains de la secrétaire particulière du ministre Boubèye, précisant toutefois qu’il n’a pas été impliqué dans sa rédaction, mais seulement dans une partie de son exécution.
Interrogé sur le rôle d’un DFM, il explique : « Un DFM assure la coordination. Lorsque le ministre exprime un besoin, il le transmet au DFM. Si une ligne de crédit est disponible, elle est exécutée ; sinon, le besoin est mis de côté ».
Concernant le contrat militaire, il atteste qu’il a été élaboré directement par le ministre de la Défense dans le cadre du protocole d’accord avec Guo Star. Il ajoute que Guo Star n’était pas un fournisseur habituel du ministère de la Défense et qu’il n’en avait jamais entendu parler avant que l’affaire éclate dans la presse.
Pourtant, le ministère public a produit des documents prouvant son implication, notamment des bons de commande comportant sa signature. Bien qu’il confirme l’authenticité de sa signature, il nie toute participation à l’élaboration du protocole.
Défilé des témoins : des confirmations et des pressions
Le mercredi 18 juin 2025, le général Aliou Badara Diop, ex-sous-directeur du transport de la DMHTA en 2013, confirme que l’intégralité des 281 matériels inscrits dans le protocole d’accord Guo Star a bien été livrée. Il produit des documents pour appuyer ses affirmations.
Seydou Dicko, délégué du contrôleur financier du ministère de la Défense et observateur de la commission de réception, déclare que les livraisons ont débuté le 11 août 2013 et se sont achevées le 9 juillet 2014. Il insiste sur le fait que la quantité et la qualité des matériels ont été respectées.
Lorsqu’un conseiller de la Cour l’interroge sur la traçabilité des livraisons, il explique : « À chaque réception, nous avons rédigé un rapport. En tout, nous avons produit 18 rapports pour les 281 matériels livrés ».
Sous la pression des questions incisives d’un conseiller, Seydou Dicko s’effondre à la barre, victime du stress.
Vidéoconférence contestée : Mme Bouaré s’oppose fermement
Le mardi 17 juin 2025, le président de la Cour informe Mme Bouaré Fily Sissoko et son avocat Me Tounkara que malgré tous les efforts déployés, Oumar Tatam Ly et Madani Touré n’ont pas pu se présenter en personne.
La Cour annonce que leur témoignage se fera par vidéoconférence, une décision que Mme Bouaré rejette catégoriquement. Elle argue que le Canada n’est qu’à 24 ou 48 heures de vol, tandis que Madani Touré se trouve à Moroni, une destination proche de Bamako.
Affaiblie par l’âge et la maladie, elle souligne les sacrifices qu’elle endure pour assister quotidiennement aux audiences.
« Chaque matin, je viens à la Cour sur une civière. Mes pieds sont gonflés après des heures d’audience. Pourtant, je ne dis rien. Cela fait plus de trois ans que je souffre. Oumar Tatam Ly et Madani sont jeunes, ils doivent faire un effort pour comparaître en présentiel », plaide-t-elle.
Malgré son opposition, la Cour maintient sa décision. La vidéoconférence a eu lieu hier jeudi.
Ousmane Mahamane