La 7e édition du «Jazz Koum Ben Festival» (Festival international de Jazz à Bamako) a vécu. Il a eu lieu du 28 avril au 5 mai 2017 à l’Institut français de Bamako. Durant une semaine, l’Institut français a vibré au rythme du Jazz qui est un genre musical originaire du Sud des Etats-Unis et créé au début du XXe siècle au sein des communautés afro-américaines.
Organisé par l’association Nyonkonkoumbèn, le festival a débuté avec un concert animé par les orchestres du Français Fabrice Devienne et du Malien Cheick Tidiane Seck. Durant cette soirée inaugurale, les deux formations musicales ont impressionné le public par des sons hors communs. Composée de 4 musiciens, la bande à Fabrice Devienne a su combiner clavier, batterie, contrebasse, flute et clarinette pour donner de la bonne mélodie jazz. Surtout, leur morceau «Bamako» qui a été amplement applaudi. Et le chef d’orchestre s’est dit très heureux de se retrouver dans la capitale malienne où sa troupe a été accueillie en roi.
Accompagné par des étudiants du Conservatoire Balla Fasséké, Cheick Tidiane Seck a fait voyager le public avec des titres tirés du répertoire manding et des musiques des périodes Yéyé qui ont permis aux nostalgiques de revivre leur époque.
Le jazz est fondé pour une large part sur l’improvisation, un traitement original de la matière sonore et une mise en valeur spécifique du rythme. Cette musique, bien que venant d’Amérique, a ses origines en Afrique et un des maîtres au Mali, Cheick Tidiane Seck (un grand maître du jazz dont la notoriété internationale est connue partout dans le monde) a su combiner les instruments modernes à ceux traditionnels par le biais de l’électronique. Tout au long de son concert, Cheick Tidiane Seck a su prouver que la musique mandingue est du Jazz.
Problématique du financement du festival
Mais auparavant, à la cérémonie d’ouverture, la présidente de l’association Nyonkonkoumbèn, Zoé Dembélé, a tenu à remercier la directrice déléguée de l’Institut français pour les efforts qu’elle n’a cessé de déployer pour la tenue du festival dont le budget n’a pas pu être bouclé. Elle a espéré sur les sponsors pour que le festival puisse grandir. Car l’ambition de Zoé est de populariser le Jazz au Mali. Mais par l’insuffisance de financement, ce rêve de Zoé Dembélé tarde à se concrétiser. Son appel n’est pas tombé dans l’oreille d’un sourd car la directrice régionale de l’Action culturelle qui représentait la ministre de la Culture, a salué le courage et la persévérance de l’équipe d’organisation du festival. Elle a apprécié les Masters class annoncés par Zoé Dembélé qui permettra la formation des élèves et étudiants en vue d’assurer la relève.
Les jours suivants, le festival a continué avec des sonorités de la musique malienne et africaine comme Dias du Niger, Habib Koité (Mali), Majid Bekkas Trio du Maroc, Bassékou Kouyaté. Tous ces orchestres ont donné le meilleur d’eux-mêmes pour faire plaisir aux mélomanes.
Siaka Doumbia
Journée mondiale du jazz
En marge du festival «Jazz Koum Ben Festival» (Festival international de Jazz à Bamako), la Journée international du Jazz a été célébrée le 30 avril 2017 à travers une conférence-débat dont le thème portait sur le rôle actif des légendes musicales dans la transmission des savoirs. Cette conférence a été une occasion pour quatre maestros de la musique malienne de se prononcer sur cette problématique. Il s’agit de Sory Bamba du Kanaga de Mopti, Mama Sissoko du Super Biton de Ségou, Yaya Coulibaly du Chouala Band de Banamba et de l’orchestre de Taras et Cheick Tidiane Seck qui n’est plus à présenter.
La problématique de la transmission des savoirs débattue
Interrogé sur la constitution d’un orchestre de musique, le Maestro Sory Bamba, peu bavard, répondra qu’aujourd’hui cette composition est difficile parce que les enfants d’aujourd’hui aiment l’argent plus que la musique. «Pour constituer un bon orchestre, les membres du groupe doivent aimer la musique plus que l’argent. Quand nous commencions la musique, le Mali venait d’avoir son indépendance. Pour l’amour pour notre patrie, il fallait renforcer cette indépendance avec la musique. J’ai formé le Kanaga avec un noyau de jeunes dont Igofri (Koko Dembélé) autour duquel tournait l’orchestre», a-t-il précisé, avant de révéler que Koko Dembélé tient son nom Igofri d’un célèbre guitariste français. A ses dires, Koko Dembélé était très talentueux. Cela se voit aujourd’hui car il est parmi les meilleurs reggae men maliens.
Mama Sissoko révèle : « Nyélénin (symbole de la bravoure féminine) n’a jamais existé, c’est une pure invention de Karamoko Niang »
Mama Sissoko raconta qu’il a commencé la musique avec feu Harouna Barry (une autre légende de la musique malienne) à Kayes avant de poser ses valises à Ségou où il intégra le Super Biton par le biais de Barbu et Amadou Bah. Il dira que dans le temps, il était facile d’intégrer un orchestre. Parce que les musiciens jouaient par amour et ils étaient disciplinés. «C’est grâce à l’amour pour la musique et la discipline que le Super Biton a pu survivre malgré les difficultés. Il révélera de passage que Nyélénin (symbole de la bravoure féminine) chanté par le Super Biton n’aurait jamais existé. A ses dires, Nyélénin est une pure invention, une inspiration de Karamoko Niang et écrit par lui-même. Pour renforcer ses dires, il a mis à défi quiconque de prouver l’existence de Nyélénin».
Pour la transmission des savoirs aux jeunes, Mama Sissoko dira que le Super Biton avait compris l’enjeu. C’est la raison pour laquelle ils avaient mis en place dans le temps l’orchestre le Balanzan pour encadrer les jeunes et leur permettre de s’épanouir. Il dira que les musiciens maliens étaient parmi les meilleurs de la sous-région. «Dans le temps, les autres musiciens venaient apprendre avec les musiciens maliens. Mais aujourd’hui, ce sont les Maliens qui apprennent avec les autres. Malheureusement, avec la révolution de mars 1991, les orchestres ont été laissés à eux-mêmes pour ensuite disparaître. C’est comme ça que le Biton, en tant qu’entité, a disparu. Il a fallu la persévérance, la solidarité de certains de ses musiciens pour qu’il puisse survivre», a-t-il regretté, avant de proposer la création des centres musicaux où les jeunes musiciens pourront être encadrés. Il s’est demandé s’il y a un ministère de la Culture au Mali. Car, selon lui, les cadres de ce département n’œuvrent pas pour le bonheur des artistes. Il révélera que le Biton ne reçoit comme droit d’auteur que 34 000 Fcfa par an.
Yaya Coulibaly : « Par faute de politique culturelle et de reconnaissance, nos musiciens se sont expatriés »
Membre fondateur de plusieurs orchestres, Yaya Coulibaly (un enseignant musicien), dans son intervention, dira que les premiers orchestres du Mali étaient formés par des enseignants, des pionniers talentueux qui aimaient la musique, qui avaient l’engouement de la musique. A ses dires, dans le temps, chaque cercle du Mali avait son orchestre, sauf Banamba. Après avoir constitué le premier orchestre régional de la région de Gao qui regroupait aussi Tombouctou et Kidal, il fut envoyé à Banamba pour créer le Chouala Band. Après cette aventure, il reviendra à Bamako pour intégrer le groupe de Taras avec qui il continue à jouer.
Selon lui, les orchestres régionaux ont disparu par faute de politique culturelle et sans reconnaissance envers les musiciens. «C’est ainsi que tous nos musiciens se sont expatriés, en Côte d’Ivoire, en France», a-t-il déploré, avant d’affirmer que la transmission des savoirs est impossible à cause du manque d’infrastructure. «Il faut créer des structures d’encadrement des jeunes pour canaliser leurs talents. Et le syndicat proposé par Cheick Tidiane Seck aura la vocation de surtout veiller sur ça», a-t-il affirmé.
Cheick Tidiane Seck : «Il faut un syndicat pour dire la vérité aux autorités afin qu’elles investissent dans la musique»
Pour Cheick Tidiane Seck qui n’a pas sa langue dans sa poche, c’est la corruption qui fait que les jeunes n’arrivent pas à marcher sur les pas des anciens. «C’est à nous artistes d’arriver à encadrer les jeunes musiciens qui souffrent beaucoup. Malheureusement, ce sont les gens qui ne font pas de musique qui se sont accaparés des structures. Amenons les jeunes à s’intéresser aux anciens répertoires. Je me sers toujours du livre de Sory Bamba pour enseigner dans des universités, pour parler des musiciens maliens. J’ai été toujours rebelle, mais je ne vais pas critiquer le système. Il faut arriver à ramener les jeunes à redire nos musiques traditionnelles dans le monde musical», a-t-il dit, avant de proposer la création d’un syndicat pour la défense des intérêts des musiciens. «J’ai 64 ans, la création d’une amicale n’arrange pas les artistes. Il faut un syndicat pour dire la vérité aux autorités afin qu’elles investissent dans la musique. Pourquoi je cherche ma retraite à partir de l’extérieur? Parce qu’il n’y a rien au Mali pour la protection des artistes. Je n’ai jamais voulu devenir français. Et pourtant, j’ai eu cette opportunité. Mon problème, c’est d’amener les autorités maliennes à investir dans l’art et la culture», a-t-il balancé avant d’ajouter qu’il n’y a pas d’amour entre les artistes maliens. «Sans cette solidarité, cet amour, il est impossible de créer une amicale. Il faut que les artistes soient unis. Ils doivent tirer dans le même sens pour que la gangrène du système n’entre pas entre les artistes. Les artistes doivent être matures, courageux, formés pour lutter contre les pirates qui sucent leur sang. Je suis rebelle, je ne militerai jamais dans une association d’artistes», a-t-il craché.
Pour la transmission du savoir, il dira que les jeunes musiciens doivent être encadrés. «Cet encadrement est le rôle des anciens. Et cela est notre devenir musical. Je me bats pour les anciens pour que les jeunes musiciens soient mieux encadrés, mieux formés afin qu’ils cessent de copier-coller car l’industrie de la musique ne fonctionne pas au Mali », a-t-il souligné, avant de donner raison à feu Fela du Nigeria qui est mort avec son intégrité. «Je ne veux pas qu’on fasse de moi n’importe qui ou n’importe quoi. Je suis écœuré car les autorités n’ont rien fait pour les anciens comme Madou Guitare qui sont morts dans le dénuement. Je ne jouerai jamais pour amuser la galerie», a-t-il lancé, catégorique, avant de conseiller aux musiciens maliens de parvenir à concilier l’électronique à la musique traditionnelle.
Rassemblés par Siaka Doumbia
Par Aujourd’hui-Mali