Liquidation des entreprises et sociétés d’Etat, jeunesse en manque de repères et livrée au chômage, mauvaise gouvernance, école en manque de compétitivité, sentiment de patriotisme mis en mal, corruption et népotisme en pleine expansion, souveraineté sous tutelle, intégrité territoriale violée, etc. Les pères de l’indépendance ont très peu de raisons d’être fiers du Mali qu’ils nous ont légué. Et en ce 22 septembre 2017, Modibo Kéita devrait retourner dans sa tombe. Explications.
Malgré le contexte très difficile de l’accession du pays à l’indépendance, marqué par la rupture d’avec le colon, en 1960 le Malien avait véritablement de quoi être fier. Fier d’une souveraineté nationale et internationale acquise, de ses dirigeants, de son armée et d’un système éducation dont les jalons venaient d’être posés.
La création d’une quarantaine d’entreprises et sociétés d’Etat a permis au pays d’amorcer un élan économique, malgré un contexte de durcissement des relations avec l’ex-colonie et la valeur sous-estimée de la monnaie nationale créée plus tard.
Les socles d’une nation unie et prospère ont été posés, le Mali, jaloux de sa souveraineté et de son indépendance était respecté à travers Modibo Kéita, dont les adversaires ont reconnu, en toute humilité, la stature d’homme d’Etat et intègre. Ce, jusqu’au jour où le rêve s’estompera un 19 novembre 1968, par l’action d’un groupe de jeunes militaires aventuriers (à sa tête un Moussa Traoré) au nom d’une certaine liberté. C’était parti pour la décadence.
Que reste-t-il aujourd’hui de l’héritage de feu président Modibo Kéita ? La célébration de ce 57e anniversaire de l’indépendance du Mali nous impose d’engager la réflexion sur la question. Lui avait rêvé d’un pays digne et prospère, respecté sur la scène internationale. Il avait rêvé d’une nation (au vrai sens du terme), un pays uni dans la diversité et dont les enfants serviront aussi l’Afrique. 57 ans après, la déception est grande !
Réhabiliter Modibo, c’est mettre en œuvre ses valeurs
On peut décider de baptiser l’aéroport international de Bamako en son nom (malgré l’incohérence et l’impertinence d’ajouter Sénou, en oublier qu’il s’agit d’un nom de famille tout comme Kéita), mais Modibo Kéita serait plus fier dans sa tombe si la gouvernance actuelle se traduisait par les valeurs pour lesquelles il s’était battu. Réhabiliter Modibo, c’est mettre en œuvre les valeurs qui ont fait l’essence de son combat.
Modibo Kéita ne se reconnaitrait pas dans la gestion de la crise actuelle qui a imposé au Mali d’être sous tutelle et d’être la risée du monde entier. Il ne se reconnaitrait pas non plus dans la médiocrité qui caractérise la gestion du pays, où la promotion du mérite a été reléguée au second.*
L’homme intègre qu’il fut (même selon ses adversaires politiques) aura véritablement du mal à se reconnaitre dans une gouvernance marquée par la légèreté, les scandales de corruption et de délinquance financière. Père d’une famille discrète, en marge des affaires publiques, Modibo Kéita ne serait pas favorable à l’intrusion du cercle familial au premier rang de la gouvernance.
Jetant les bases d’une jeunesse débout face aux défis du continent, le père de l’indépendance a eu raison dans sa vision de créer les premières écoles supérieures du Mali et permettre la formation de ressources humaines à l’extérieur grâce à la coopération internationale avec les pays alliés en son temps.
En manque de repères cette jeunesse n’a plus droit à l’école. Frappée par le chômage, elle doit affronter la mer et l’océan à la recherche d’un mieux-être ailleurs. Désabusée par les illégalités, elle ne croit plus en ses dirigeants, et le sentiment de patriotisme n’est plus son discours favori.
L’armée dont nous étions fiers sur le plan national et international (et dont nous continuons d’être fiers malgré les déboires), a été construite dans la vision de Modibo Kéita. La politisation de cette armée et sa mise aux ordres d’une bureaucratie et d’une bourgeoisie parasitaires, l’a complètement démantelée. Et elle doit se cantonner sur son propre territoire pour laisser son rôle à d’autres forces. L’absence de leadership et de vision de ses dirigeants ont fait du Mali un pays dont le sort se décide ailleurs et par d’autres.
La situation du Mali actuel est véritablement loin d’incarner les valeurs prônées par nos pères de l’indépendance. 57 ans après l’Indépendance (acquise dans la douleur et au prix de plusieurs combats), Modibo Kéita n’a nullement de raison d’être fier de nous. Et les adversaires qui l’ont combattu et qui l’ont renversé pour des prétextes de couloirs, peuvent s’en réjouir… en attendant…
Issa Fakaba Sissoko
Correspondance particulière
Par L’Indicateur du Renouveau