A la veille de la Première Guerre mondiale, l’Europe est au sommet de sa puissance. Toutes les conditions sont pourtant réunies pour que le continent bascule dans l’une des plus grandes tragédies de l’Histoire, que certains contemporains qualifieront de “suicide collectif”.
De l’Atlantique à la Russie, le 19e siècle semble jouer les prolongations. Des dynasties séculaires règnent sur les grands pays d’Europe, à l’exception notoire de la France. L’empereur Guillaume II d’Allemagne, le roi Georges V d’Angleterre et le tsar Nicolas II de Russie sont cousins.
En pleine révolution industrielle, les vieilles nations entrent pourtant dans la modernité. Avec plus de 450 millions d’habitants, l’Europe rassemble près de 30% de la population mondiale, et plus de la moitié avec ses empires.
L’Allemagne, la France et la Grande-Bretagne représentent à elles seules plus du tiers de la production industrielle de la planète, même si les Etats-Unis sont devenus la première puissance économique mondiale à la fin du 19e siècle. Et le continent est à la pointe de l’innovation, économique, technique, artistique et scientifique.
La concurrence entre les empires, alimentée par la volonté d’assurer puissance politique, sécurité et débouchés commerciaux, va cependant bousculer les équilibres.
– Deux blocs face à face –
Berlin inquiète Londres avec ses ambitions maritimes et coloniales affichées, qui vont également créer de graves tensions avec la France, notamment à propos du Maroc en 1905 et 1911.
La Russie et l’Autriche-Hongrie sont de leur côté en concurrence pour élargir leurs sphères d’influence dans les Balkans, aux dépens d’un empire ottoman en plein déclin.
C’est là que va se jouer le sort de l’Europe. Deux “guerres balkaniques” enflamment la région d’octobre 1912 au printemps 1913. Regroupés autour de la Serbie, la Bulgarie, la Grèce et le Montenegro arrachent aux Ottomans leurs derniers territoires en Europe, avant de se déchirer sur leur partage.
A l’exception de la Russie, proche de la Serbie au nom de la protection des Slaves, les grandes puissances ont observé la poudrière avec prudence et évité le pire. Mais le danger pour la paix s’enracine.
Car au fil des ans deux blocs se sont constitués : la Triple alliance rassemble les empires allemand et austro-hongrois et l’Italie. La France et le Royaume-Uni, à l’ouest, sont alliés à la Russie, à l’est, au sein de la Triple entente.
– Berlin hanté par l’encerclement –
Coincée entre les deux plus grandes puissances coloniales de l’époque et son immense voisin russe, Berlin vit dans la hantise de l’encerclement.
Or l’Allemagne considère que l’Autriche-Hongrie sort affaiblie des conflits balkaniques et que la Russie est au contraire renforcée. A Berlin, l’état-major, qui juge une guerre européenne inévitable à terme, obtient en 1913 une augmentation de 300.000 hommes de l’armée allemande. Cela pousse la France à étendre en retour son service militaire à trois ans pour conserver un relatif équilibre des forces.
Des deux côtés, “l’heure était au discours nationaliste, un discours pénétré d’une grande angoisse, la crainte d’être pris de court par l’autre”, résume l’historien allemand Gerd Krumeich, professeur à l’université Heinrich-Heine de Dusseldorf.
“Il y avait des éléments de tension, mais aussi des capacités à régler les crises”, tempère Nicolas Offenstadt, maître de Conférence à l’université de Paris-La Sorbonne.
Les courants pacifistes demeurent en effet très forts partout, et on est loin de l'”union sacrée”, qui en France comme en Allemagne, au Royaume-Uni ou en Russie, ralliera les dirigeants et les opinions publiques à la guerre un an plus tard.
L’année 1914 s’ouvre d’ailleurs dans un climat apaisé.
– L’étincelle de Sarajevo –
Mais le système d’alliances de bloc tissé au fil des ans est toujours là. Et il risque de tout faire basculer au moindre incident, les alliés se devant mécaniquement assistance en cas d’agression.
Dès lors, il ne manque plus que l’étincelle. En tirant, le 28 juin à Sarajevo, sur l’archiduc François-Ferdinand, l’héritier du trône d’Autriche-Hongrie, le Serbe Gavrilo Princip scelle le sort de l’Europe.
Les dirigeants européens penseront jusqu’au bout pouvoir éviter, comme en 1912 et 1913, un conflit qui prendra les peuples par surprise dans un monde où l’information n’atteignait qu’une fraction encore limitée de la population.
Mais, multipliant les erreurs d’analyse, ils enclenchent l’engrenage : l’Autriche encouragée par l’Allemagne intervient contre la Serbie en pensant rétablir son autorité dans la région. La Russie mobilise alors: elle espère aider son protégé slave en intimidant les Autrichiens. Mais elle ne fait que provoquer par contrecoup la mobilisation simultanée de son allié français et d’une Allemagne obsédée par l’idée d’un conflit inéluctable entre grandes puissances.
Rien ne peut plus empêcher la guerre qui éclate le 3 août, mais aucun stratège n’en imagine encore l’ampleur.
“Il faut se rappeler que les soldats ne s’attendaient pas à une guerre mondiale, souligne Nicolas Offenstadt. Ils ne pensaient pas aller à la mort dans les conditions qu’ils vont devoir affronter, et beaucoup croyaient être de retour après quelques semaines ou quelques mois”.
Les illusions voleront vite en éclats. Et c’est toute la planète qui sortira bouleversée du premier conflit mondial.
© 2014 AFP