Le Pr. Younouss Hameye Dicko, est un allié du président IBK qu’il a soutenu lors de la présidentielle de juillet 2013. Dans cet entretien qu’il nous accorde sur le bilan d’IBK, le président du Rassemblement pour le développement et la solidarité (Rds), relève des avancées dans certains domaines comme la justice et l’éducation. Cependant, il estime que la situation au nord n’évolue pas de façon lisible. En plus, il dit ne pas se sentir totalement comptable du bilan d’un an du régime IBK, et lui attribue la note de 12/20. Interview.
L’Aube : Si vous devez évaluer la gestion du président Ibrahim Boubacar Keïta en une année, quelle note lui attribuerez-vous ?
Younouss Hamèye Dicko : Je suis un professeur, la note d’un professeur ne peut pas être une note qui n’a pas sa valeur objective. Je me souviens d’ailleurs qu’on m’a posé la même question il y a plus de 20 ans sur la gestion du président Alpha Oumar Konaré. Effectivement j’avais donné une note, mais à cette époque j’étais dans l’opposition. Aujourd’hui, je suis dans la mouvance présidentielle, je me suis battu objectivement et mon parti aussi pour l’avènement d’IBK. Et naturellement, nous sommes beaucoup plus exigeants dans la gestion d’IBK qu’à l’époque dont je parlé. Malgré tout, si je devais noter, en tant que professeur, je ne dépasserais pas 12/20.
Alors, sur la base de cette note, quel bilan tirez-vous de l’An I d’IBK ?
Sur la base de cette note, on est sûr qu’il n’y a pas d’échec ; que la personne a des ressources pour mieux faire ; que l’espoir est toujours permis et même la certitude de réussir est là. A ce titre, je pense que l’année d’IBK a été une année très difficile pour tout le monde. C’est une année qui est intervenue dans les grandes difficultés, indépendamment même des capacités d’IBK et de ses équipes pour gérer le pays. Je retiens que de 2013 à 2014, nous avons vécu une année relativement paisible. A part les évènements du 21 Mai dernier, qui ont été très durs pour l’honneur des Maliens, nous n’avons pas vécu de grandes catastrophes et de grandes humiliations pendant cette période. Nous n’étions pas dans la peur d’être envahis par des djihadistes.
Aussi, pour la première fois dans l’histoire de notre République, nous avons eu à faire une justice qui se bat. Pour une fois, j’ai de l’espoir dans le cadre de la justice et de l’équité.
On a aussi vécu les péripéties des examens qui se sont déroulés dans des conditions très difficiles. Et pour la première fois, on a vu les réactions contre la corruption dans le système éducatif. Je trouve que la réaction du ministre a été salutaire. Elle a eu raison de ne pas refaire les examens. Ce qui est mauvais se corrige, ce qui est bon se garde. Cet assainissement dans le domaine de l’éducation a été bien engagé. On ne sait pas ce qui va revenir, mais un proverbe bambara dit : « lorsque la fête doit être bonne, c’est depuis le crépuscule qu’on le voit ».
Il y a autre chose qu’il faut remarquer, c’est le grand problème qui nous préoccupe tous : le nord. Depuis l’arrivée d’IBK, on a assisté à beaucoup de mouvements dans le sens de trouver une solution. Ces mouvements n’ont pas toujours été efficaces, mais la volonté est là. Aujourd’hui, tout le monde a compris qu’il faut négocier, quoi qu’il arrive. C’est une intelligence qui semble s’imposer à tout le monde. Mais il y a quelque mois, il y en a qui ne voulaient même pas en entendre parler. Si vous parlez, vous êtes un apatride, un antinational, vous êtes rebelles du sud…Mais ce n’est pas ça, l’intelligence veut que quand il y a un affrontement, les gens négocient. Si vous ne négociez pas, vous ne saurez même pas ce que vous pouvez donner. Donc, le climat qu’il faut pour que l’on puisse sortir de l’état de guerre est là, même s’il a tardé à venir. Aujourd’hui, on peut dire que les choses se décantent.
Parlant des négociations, certains pensent qu’il y a une sorte de cacophonie autour du choix des intervenants. On implique à la fois des pays, notamment le Maroc et l’Algérie, qui ne s’entendent pas, puis on enlève le Maroc. Vous ne pensez pas que cela peut poser un problème ?
Négocier même pose un problème. La cacophonie dont vous parlez, c’est plus à l’intérieur qu’à l’extérieur. Vous avez vu que chacun s’est levé pour aller négocier à Alger. Les associations se créent pour aller négocier. Cette situation signifie que nous n’avons pas confiance en notre propre gouvernement. Mais peut être que le gouvernement n’a pas montré qu’on doit lui faire totalement confiance. A l’intérieur, il y a problème. Toutes les associations, tous les messieurs, toutes les dames, chacun se lève et dit qu’il va négocier à Alger. C’est peut être ça qu’il faut reprocher au gouvernement. Il appartient au gouvernement de réunir les Maliens ici, de débattre avec eux et de voir ce qu’il peut tirer de ce que les Maliens pensent. Il est clair que ce qu’on voit à l’intérieur est un manque de concertation à hauteur de souhait entre les Maliens eux-mêmes. Ce travail en amont aurait dû être fait par le gouvernement.
Que peut-on, au-delà de ce que vous venez de souligner, reprocher concrètement à la gestion du président IBK ?
On dit le président IBK, mais IBK a des ministres, une Assemblée nationale… On fait des reproches à un président dans ses orientations, dans sa coordination. Mais, on ne peut pas tout lui reprocher. Le président n’est pas un surveillant général. Il y a des choses qu’on peut lui reprocher et des choses dont il est indemne. Les orientations, les coordinations, les refus de débordement, tout ça lui incombe. Mais quand ça penche même dans l’armée, ce n’est pas lui. Il y a d’autres qui sont là. Ce qu’il faut à un président, c’est une grande culture pour gérer les hommes et les femmes qui travaillent pour lui. Au regard de tout ça, je ne peux pas dire que c’est IBK qui a fait ça ou non. Mais, il y a des domaines dans lesquels je dis il n’a pas fait. Par exemple : Il est clair que ce que je viens de souligner doit être gérer par le président. C’est-à-dire toute la cacophonie qui se trouve à l’intérieur dans le problème du nord. Il faut qu’il le gère. Mais pour le gérer, il faut écouter les gens. Le président a été élu par ses partisans. Toute la nation n’a pas voté pour lui. Cependant, il ne peut gérer le problème du nord avec ses partisans seulement. Et les gens qui n’ont pas voté pour lui et qui ont des intérêts énormes dans le nord là-bas, sont eux-aussi dans le jeu. De même que les partis de l’opposition. Il faut nécessairement que l’ensemble des Maliens soit concerné par le problème. Pas dans les discours politiques, mais par un travail en profondeur.
Beaucoup de Maliens sont aujourd’hui déçus par la gestion du dossier du nord. Qu’en pensez-vous ?
Effectivement, les choses n’évoluent pas de façon bien visible et lisible. Mais là aussi, je pense que nous étions en bonne position avant le 17 mai 2014. Pourquoi ? Nous avions un chef qui dit exactement ce que nous voulons qu’il dise : pas d’autonomie, pas de fédéralisme, pas d’indépendance. Ce discours nous a plu depuis les élections. Nous avons voté pour ça et le président a ré-martelé ces trois paramètres.
Pour tous ceux qui connaissent la situation, ce qui s’est passé le 17 mai n’était pas une surprise. Le 21 mai nous a achevés, c’est-à-dire toutes les certitudes du président, tous nos espoirs ont été anéantis par ces deux journées. Nous faisions peur. Aujourd’hui, nous ne faisons plus peur. Nous avons élu un président avec près de 78%. Tout le monde le sait, l’on ne l’a pas élu pour gouverner, mais pour combattre. Et c’est ça que tout le monde a retenu. Donc, tout le monde sait que nous sommes dangereux dans ce que nous préconisons. Mais malheureusement, comme par le fait de Dieu, nous avons été ridiculisés à bon marché.
Ensuite, il y a un autre phénomène dont on ne tient pas beaucoup compte. Les gens qui ont vu que le président de la République est décidé à aller jusqu’au bout lui ont créé des problèmes ailleurs. Par exemple ? Les relations avec Tomi. On lui a sorti tout ça pour qu’il ne puisse plus avancer.
Pensez-vous franchement que le nord, plus précisément Kidal, peut revenir dans le giron malien pour former l’Etat unifié d’avant le 17 mai 2014?
Je n’en doute pas, parce que je ne pense pas qu’il y a un gouvernement malien qui va aller négocier pour revenir nous dire que Kidal ne fait plus parti du Mali. Et puis, il faut dire que c’est nous-mêmes qui n’avions pas appliqué l’accord de Ouaga. Cet accord reconnaissait le Mali UN et indivisible. Il reconnaissait la laïcité de l’Etat… Mais l’accord a dit aussi que seule l’administration peut faire une visite à Kidal. Quelqu’un qui n’est pas de l’administration ne peut pas y aller. C’est écrit noir sur blanc. Après le 17 mai, on entendait les ministres dirent : ce n’était qu’une visite administrative. Un Premier ministre en visite administrative avec 10 ministres ! Un ministre n’est pas administratif, a plus forte raison un Premier ministre. Les administratifs, ce sont les chefs de services techniques des services généraux. L’accord de Ouaga dit aussi que les gens ne sont pas désarmés, ils sont désarmés dans l’accord global. L’accord global n’étant pas venu, il est clair qu’il y a toujours des gens en armes là-bas. Donc, on a pas bien lu l’accord de Ouaga,
En vue de renforcer l’action du président pour que Kidal reste malien, il faut qu’il s’assure de l’unité d’action autour de lui des partis politiques de la majorité et de l’opposition. Il faut aussi qu’on revienne aux fondamentaux de la démocratie.
Si vous étiez président de la République, jusqu’où iriez-vous dans les concessions ou les compromis avec les groupes armés dans le cadre du statut à accorder au nord ?
Je ne suis pas président. Même si je l’étais, peut être qu’on m’aurait fait les même coups qu’on a fait à IBK, et même peut être plus. Mais, ce que je pense, c’est qu’on ne peut pas aller au-delà ou en deçà de l’intégrité territoriale du Mali. Ça, c’est le tabou. Tout ce qui ne contient pas l’intégrité territoriale du Mali ne nous intéresse pas. Et, si on s’en tient aux déclarations du président, c’est exactement sa position. L’intégrité territoriale ne peut pas être entamée. Personnellement, je n’ai pas d’inquiétudes. Parce que je sais que Kidal appartient au Mali, même les gens de Kidal le savent. Kidal est une partie de l’empire songhaï, donc une partie de l’empire du Mali. Kidal est une partie du Soudan français. Kidal est une partie de la République du Mali telle que proclamée le 22 septembre 1960.
Que pensez-vous des scandales qui ont éclaboussé la République pendant ces 12 derniers mois (achat de l’avion, affaire Tomi, contrat d’armement, débâcle de l’armée à Kidal…) ?
J’ai toujours pensé que le président peut acheter un avion. Cela fait partie des droits de l’Etat. Je ne dis pas les prérogatives. Parce qu’un avion pour l’Etat rentre dans le cadre du fonctionnement normal et moderne du travail du gouvernement. Mais dans ce cas, c’est au président de savoir le moment et comment l’acquérir. Imaginez vous que c’est dans la mouvance des affaires de Tomi que l’avion est sorti ? Tout ça, c’est pour le paralyser. Sinon en soi, ce n’est pas un problème. Maintenant, il est évident que nous avons des problèmes. Comment équiper notre armée ? Comment avoir un moyen de déplacement ? Qu’est-ce qui peut être fait avec l’ancien avion? Tout ça doit être réfléchi ensemble.
Par rapport au contrat, j’ai lu dans la presse des histoires de contrats de 60 milliards. Il appartient au président ou à son Premier ministre ou au ministre de la défense de donner des explications aux gens.
Quel est votre avis sur le gel des décaissements des bailleurs de fonds comme le Fmi, la Banque mondiale et l’Union européenne ?
C’est simple : je ne suis pas content. Je n’en sais pas plus. Lors des réunions de la majorité présidentielle, nous avons été informés que ces organisations ont fait des gels jusqu’en septembre. Donc, dès le lundi matin, 1er septembre (ndlr : l’interview a été réalisée le samedi 30 août dernier), nous allons demander aux organisations internationales de nous donner notre argent. C’est notre droit. Je crois que le calvaire va être bientôt fini, mais c’est dommage qu’on en arrive là.
Quelles solutions préconisez-vous pour une sortie définitive de la crise ?
On ne sortira pas de la crise si Kidal ne revient pas au Mali. Nous allons nous battre, puisque nous ne voulons pas voir nos frères de Kidal partir ailleurs. Pas seulement parce qu’on ne veut pas que le pays soit partagé, mais parce qu’ils sont nos parents. On n’a même pas besoin de guerre. Les vrais maliens n’ont pas besoin de guerre pour régler leurs problèmes. Les vrais maliens ne s’entretuent pas.
Vous sentez-vous comptable du bilan d’IBK en tant qu’allié?
C’est difficile de me sentir comptable, en ce qui concerne les opérations. Par contre sur le plan des idées, oui je me sens comptable ! Et c’est pourquoi je parle. Le jour où je ne me sentirais plus comptable, alors je ne parle pas. Et si je parle, c’est pour qu’on m’écoute. Dans ce sens là, je me sens comptable. Mais les actes, c’est difficile parce qu’il faut qu’on demande au moins votre avis pour vous sentir comptable de l’acte posé. Si on ne demande pas votre avis, on ne vous a pas fait agir, on n’a pas demandé votre avis pour agir, c’est difficile de se sentir comptable.
Réalisée Issa B. Dembélé
SOURCE: L’Aube