Instituée, depuis 1898, par l’empereur Sékou Amadou, et classé patrimoine mondial de l’UNESCO, depuis 2005, la dernière célébration grandiose du « yaaral », traversée du fleuve Niger par les troupeaux de retour de transhumance dans le delta central du Niger, remonte en 2014 sous la tutelle du ministre du développement rural, Bokary Tréta. Depuis deux ans, pour des raisons évidentes de sécurité, l’événement a tendance à disparaitre des écrans radars. Et pourquoi ?
Malgré l’important dispositif sécuritaire de la MINUSMA et son mandat robuste, l’appui de la force Barkhane, aux côtés des forces armées et de sécurité du Mali, les djihadistes continuent de menacer dangereusement la paix dans notre pays. Dans plusieurs localités du nord, la quiétude des populations reste une préoccupation majeure. Et pour cause ! Les djihadistes, qui vivent presque parmi les habitants des cités, continuent de dicter leur loi, comme une pavée dans la mare des autorités.
Le constat alarment est dressé à Difrabé, cercle de Ténenkou, dans le delta intérieur du Niger. Là-bas, on déplore, depuis deux ans, la non-tenue d’un rendez-vous culturel qui occupe désormais une place importante dans les mœurs du terroir, à savoir le Yaaral, un patrimoine mondial de l’UNESCO.
L’ombre de Kouffa
Dans cette zone, presque quotidiennement, sur fond de menace, les populations assistent à des prêches de la part des hommes se réclamant d’Hamadoun Kouffa, le tueur à sang-froid du Macina. Dans les localités, où également aucune présence de l’État n’est visible, ni services sociaux, ni école, ni poste de gendarmerie, les djihadistes se croient en terrains conquis.
« Si vous rouvrez l’école, on tuera tous les enseignants », menacent-ils avant de repartir sur leurs motos chinoises, avertit un élu local. Cette année, à la veille du Yaaral, des bergers auraient reçu des menaces au cas où ils participaient à cette festivité.
« Des bergers avaient reçu des menaces. Les djihadistes les avaient appelés sur leur propre téléphone pour leur dire de ne pas y participer. La plupart ont donc décidé de traverser plus tôt, sans dire quand, afin d’éviter les attaques », a rapporté le sociologue Bréma Ely Dicko.
Le delta intérieur du Niger, une zone difficile d’accès et inondée, pendant une bonne partie de l’année, est investi par les groupes djihadistes.
Rumeurs des mosquées
L’État, dans cette zone, indique-t-on, « ne contrôle plus rien ».
Plus au sud, dans le Hayré et le Seeno, près de la frontière avec le Burkina, des sources locales affirment que le discours des « gens de Kouffa » commence à gagner du terrain. « Ils viennent régulièrement prêcher dans les mosquées. Ils disent que le pouvoir de la Diina va bientôt arriver, que tout ira mieux. Et ça plait à certains », raconte un habitant de la zone de Mondoro. Un discours d’autant plus séduisant que l’armée, là aussi, est présente à temps partiel.
Selon un habitant de Boulikessi, les soldats ont installé un petit camp peu avant les élections locales (du 20 novembre), dans la localité. ‘’Puis, ils sont repartis dès le lendemain de l’élection. Un jour après, les panneaux solaires qui avaient été installés dans le village pour fournir de l’électricité étaient volés par des bandits’’, a-t-il déploré.
Dans cette zone d’accès difficile, il n’y a pas que Kouffa, selon des sources locales, il y a également des milices d’auto-défense, construites sur des bases communautaires (peules, Bambaras, Dogons), des bandits de grand chemin, mais aussi d’autres groupes djihadistes. D’anciens combattants du Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (Mujao) ont été repérés à quelques dizaines de kilomètres de Mondoro. Selon une source locale, ils pourraient être liés à Al-Mourabitoune, le groupe de Mokhtar Belmokhtar affilié à Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi).
Un patrimoine à préserver
Pour tous ces motifs, le Yaaral, qui réunit tous les indices pour être dans le collimateur des djihadistes, expressions culturelles, comme la danse et la musique, ou le concours du plus beau troupeau, n’a pu lieu, pour des raisons de sécurité.
La dernière manifestation grandiose de l’événement remonte en 2014 avec l’ancien ministre du développement rural, Bokary Tréta, alors représentant du président de la république à ces festivités. En effet, le départ d’IBK à ce rendez-culturel avait été annulé à la dernière minute, bousculé par l’agenda Ebola qui hantait les esprits, en ce temps-là. A ce rendez-vous annulé, le chef de l’État devait d’ailleurs rencontrer des délégations officielles de la France et des États-Unis sur la question.
Le Yaaral constitue un vaste trajet des bergers peulhs du delta intérieur du fleuve Niger. Il va de la plaine alluviale, située entre Ké-Macina et Tombouctou, à la plaine du Seno, en pays Dogon, en passant par les zones exondées du sahel, le Méma, Kareri et Farimaké. Sur toute l’année, les animaux partagent leur temps de pâturage entre les terres arides du sahel et les plaines inondables du bassin intérieur du fleuve Niger. Le Yaaral et le Degal sont les deux modes de transhumance de ces zones. Si le premier, qui se déroule à Diafarabé, marque la traversée du fleuve Niger et de son principal défluent, le Diaka ; le second, le Degal, consacre la descente des mêmes troupeaux dans les pâturages fertiles du bourgou du walado Debo à Dialloubé.
Plus de 100 ans de pratique
Instituée, depuis 1898, par l’empereur Sékou Amadou, la valeur historique et culturelle du Yaaral lui a valu d’être classée patrimoine immatériel par l’UNESCO, le 25 novembre 2005. Mais en plus, au fil des ans, la pratique a montré qu’elle est d’une haute portée économique et écologique. Et pour cause ? L’édition 2014 a regroupé pas moins de 300 troupeaux de bovins, 50 têtes en moyenne, soit 1500 bovins ayant participé à l’événement culturel alors que l’ensemble du mouvement des traversées concerne environ 1.000.000 de bovins et 2.000.000 de petits ruminants.
Selon le maire, Lamine Djiré, « La transhumance constitue un mode de gestion des ressources naturelles ». Mais, le facteur d’inquiétude, aggravé par la menace djihadiste dans la zone, constitue un véritable péril sur cette manifestation culturelle qui pourtant s’était forgé, au fil des ans, un destin économique pour les habitants.
Par Sidi Dao
Source: info-matin