Un déploiement de Wagner au Mali continue de susciter des réactions dans la communauté internationale. Dans cette interview, Moussa Djombana, analyste géopolitique et sécuritaire, a livré son analyse sur la question. Comment comprendre la communauté internationale sur la question Wagner au Mali ?
La communauté internationale, concernant le projet de déploiement de l’entreprise de sécurité privée russe au Mali, parle de “milice privée” au service de l’expansionnisme russe en Afrique, pour condamner ce projet. Pris sous cet angle, cet argumentaire ne tient guère face à l’analyse objective dans la mesure où, ces mêmes pays abritent des sociétés de sécurité privée et y ont eu recours dans divers conflits à la surface du globe : on peut parler de Black Water en Irak pour épauler l’armée américaine. En substance, condamner Wagner sur la base du fait que c’est une société privée, donc une “milice”, relève de l’hypocrisie vue que ces mêmes pays font recours à ce genre de méthodes sur d’autres théâtres d’opérations. Il est clair que l’objection de la communauté internationale à la venue de Wagner au Mali ne vise pas l’intérêt du Mali, même si c’est cela qui est proclamé, cela vise plutôt a empêché qu’un rival, en l’occurrence la Russie, ne mette les pieds dans la chasse-gardée la communauté internationale symbolisée ici par la France. Cependant, l’incohérence de la communauté internationale ne suffit pas à rendre Wagner légitime pour intervenir dans l’imbroglio malien même en appui et à la demande de la partie malienne. Pourquoi le cas du Mali continue-t-il de susciter autant de réactions à travers le monde ? Le cas du Mali créé tout ce tintamarre purement et simplement pour des raisons d’intérêts géostratégiques, politiques et économiques. Le Mali occupe une place centrale en Afrique de l’ouest et c’est aussi un pays tampon entre l’Afrique noire et blanche : c’est une position géostratégique très importante. À cela s’ajoutent les richesses minières et les potentialités du sous-sol de la partie saharienne du pays. Ce qui, de façon évidente, met en exergue l’intérêt économique de ces pays pour le Mali. De plus, les pays africains francophones pèsent lourd dans le poids politique de la France sur la scène internationale, perdre certains de ces pays, c’est affaiblir le poids politique de la voix de la France dans le concert des nations. L’agitation de la communauté internationale s’explique donc par une tentative d’endiguement de l’influence russe, d’où ces efforts tout azimut pour ne pas perdre le Mali au profit du concurrent russe. Cela n’a rien à voir avec une quelconque préoccupation pour le salut du Mali, pourtant mis en avant. Un éventuel déploiement de Wagner donnera-t-il plus de résultats dans la lutte contre le terrorisme au Mali ? Le Mali a le droit de faire appel au partenaire de son choix si c’est ce qu’il souhaite, là n’est pas la question. Là où le bât blesse, c’est la pertinence pour le Mali de recourir à des acteurs de sécurité privée dans sa mission régalienne de défense et de sécurisation du territoire national en proie au terrorisme et au banditisme tout azimut. Seulement, le précédent fâcheux est que les sociétés privées militaires n’ont jamais permis de libérer un pays. L’exemple de Black Water aux côtés de la puissante armée américaine n’a pas permis à ce pays de pacifier l’Irak et tirer son épingle du jeu. En Centrafrique, l’hypothétique présence de Wagner dans le pays, malgré la propagande autour de cette question, n’a pas permis de pacifier ce pays même s’il a permis de sauver le régime du Président Faustin Archange Touadéra. D’ailleurs, ce dernier est en pourparlers avec les principaux chefs rebelles de son pays afin de trouver une issue heureuse à la guerre. Quant au cas syrien qui est brandi pour la campagne publicitaire pro-Wagner au Mali, les faits présentés ne sont pas en phase avec la réalité du terrain. En effet, en Syrie, il y’a eu une intervention militaire massive de l’armée russe, sur terre, sur l’eau et dans les airs en vue d’épauler l’allié syrien. Inutile de rappeler que la Russie dispose d’une base navale à Tartous, faisant de la Syrie un pays stratégique qu’il ne fallait perdre sous aucun prétexte. Or, au Mali, de ce que nous savons pour l’instant, il ne s’agit de rien de tout cela. Wagner au Mali, dans les conditions actuelles de chaos généralisé, va ajouter plus de désordre au désordre déjà ambiant. La solution n’est pas d’aller à une inflation d’acteurs mais plutôt vers une responsabilisation de la grande armée patriotique du Mali, son renforcement en effectifs, en matériels adéquats et en capacités: c’est ainsi que nous arriverons à bout de la nébuleuse terroriste. Propos recueillis par Mohamed Kenouvi
Source: Journal du Mali