Au Mali, les violences basées sur le genre sont de plus en plus récurrentes. Elles résultent certes des inégalités des genres, matérialisées dans nos communautés par le système patriarcal. La pandémie à coronavirus a-t-elle exacerbé le phénomène ?
Monsieur Ousmane Diarra (un pseudonyme volontairement choisi), a été poignardé par son épouse. Même s’il tient à garder l’anonymat, il a quand même porté plainte contre son épouse pour coups et blessures. « A mon réveil vers 7 heures ce vendredi 5 mai 2021, comme d’habitude, j’ai demandé à mon épouse, de me chercher de l’eau pour que je puisse me laver et me rendre à mon travail. Entre-temps, je me suis recouché sur mon fauteuil dans le salon. Soudain, elle s’est dirigée dans notre chambre à coucher au lieu de déposer le seau d’eau dans la toilette. Surpris par ce geste, je l’ai suivie. A peine entré dans la chambre, je l’ai vue avec un couteau, subitement, j’ai tenté de le lui retirer. Trop tard, elle m’a agressé avec le couteau et m’a blessé au dos. Ensuite, je lui ai retiré le couteau », a expliqué notre interlocuteur.
Il poursuit en ajoutant qu’il ignore les raisons réelles qui ont poussé sa femme à commettre un tel acte. « Il n’y a rien de fâcheux entre nous, on s’entend très bien à ma connaissance. C’est ce qui fait ma surprise », dit-il. Lie-t-il cet événement à la morosité engendrée par la Covid-19 ? « Je ne l’exclue pas. C’est vrai que j’ai perdu mon travail, que nous vivons de petits métiers que j’exerce depuis que cette pandémie a commencé ».
« Sinon, au-delà d’être ma femme, elle est ma petite sœur, car elle est ma cousine directe. Je n’ai pas porté plainte contre elle, pour beaucoup de raisons, non seulement, il y a un lien de parenté qui nous lie, mais également, elle est et reste mon épouse. En plus de cela, elle est enceinte de 4 mois. Je ne souhaiterai jamais qu’elle accouche en prison ».
La Covid-19 entre coépouses
« En fait, depuis quelques mois, il existait une tension entre ma coépouse et moi. Mon mari a perdu son emploi depuis que cette pandémie a commencé. Ça me stresse énormément, car on doit non seulement se serrer la ceinture, mais, suppléer le mari dans beaucoup de dépenses. Tout a commencé donc un soir pendant que je me sentais mal, juste après le dîner. J’avais très mal au ventre. J’ai commencé à vomir du sang. J’ai aussitôt informé ma belle-mère, qui m’a donné de la cola à mâcher. Comme notre mari était sorti, je l’ai informé pour lui faire part de la situation et une fois notre époux de retour à la maison, je lui ai montré ce que j’avais vomis. Mon mari très mécontent, est sorti avec moi pour voir ma coépouse ensemble pour en savoir plus sur ce qui s’est passé. Quelques heures après, à peine sortie de ma maison, elle s’est jetée sur moi pour me mordre à l’oreille gauche. Elle m’a arraché le lobe inférieur de mon oreille avec ses dents », témoigne une victime de violence conjugale de la part de sa coépouse.
« Justice and Dignity for Women of Sahel », (JDWS) est une organisation non gouvernementale sous régionale présente dans 5 pays du sahel dont le Mali. Elle intervient contre les violences basées sur le genre, qui sont une pratique accentuée par les crises politiques, « mais également par la Covid-19 ».
JDWS, s’est assignée comme mission d’adopter une approche holistique pour la promotion des droits de la femme comme champs d’interventions.
Avec la situation due à la Covid-19, JDWS a mené des campagnes de communication et mis en ligne une plateforme pour signaler les cas de VBG.
Cet outil, de l’avis de JDWS, va faciliter les dénonciations et les prises en charge spécialisées. Justement, (JDWS) a publié une étude sur l’impact de la pandémie de coronavirus sur les violences basées sur le genre (VBG) dans six pays sahéliens dont le Mali. Dans cette étude, l’ONG a alerté sur la hausse des violences basées sur le genre dans cette région en pleine crise sanitaire liée au coronavirus. Avec l’irruption de la Covid-19, on assiste à une flambée de cas de violences basées sur le genre (VBG) au Sahel. La situation pourrait s’aggraver à défaut d’une prise en charge adéquate. Souligne l’étude.
Sur 1056 femmes/filles enquêtées, 551 déclarent avoir subi des violences verbales ou physiques durant la crise sanitaire. Ces violences sont de nature diverse. De 40,63 % avant la pandémie à 52,18 %, soit 12 % d’augmentation. La présidente fondatrice de l’organisation non gouvernementale dédiée à la protection des sahéliennes contre les violences, Mme Aïda Hamahady Oualate, constate que face aux VBG, « États et ONG n’arrivent pas à coordonner leurs actions ».
Que dit la loi sur les VBG ?
Mariam Bocoum agent au Programme « Avocats sans frontière Canada » pense que « l’avant-projet de loi propose beaucoup de choses, qui viennent apporter des réponses à pas mal de manquements dans le cadre juridique à nos textes nationaux. C’est en 3 parties. Il y a un chapitre dédié à la prévention des VBG et avant cela, il y a toutes les dispositions préliminaires qui expliquent les concepts des VBG et d’autres notions que le Malien lambda ne comprend peut-être pas. Ensuite il y a la phase de sensibilisation. Dans ce sens, il y a tout un travail préliminaire qui est prévu pour sensibiliser au niveau des programmes scolaires comme inclure des modules dans le programme scolaire, et dans l’espace universitaire pour inclure le code d’éthique notamment chez les fonctionnaires pour pouvoir apporter aussi des sanctions disciplinaires lorsque les agents de l’Etat viendraient à commettre des actes de VBG».
« Et au-delà du service juridique et judiciaire dont elle peut bénéficier parce que la loi propose que toutes les victimes puissent ester en justice de façon gratuite et on sait qu’au Mali la justice a un coût et tout le monde ne peut pas se le permettre. Et en plus de cela la loi propose en terme de prise en charge aussi des mesures de réinsertion à travers énormément de choses, qui puissent permettre à la victime qu’elle soit homme ou femme de pouvoir être autonome financièrement et de pouvoir reprendre de nouveau la vie. C’est toute cette panoplie comme je le disais une prise en charge holistique qui a pensé à un peu tout pour pouvoir accompagner des victimes qui vivent une expérience plutôt difficile », dit-elle.
« Nous avons un centre au sein de la police nationale pour les victimes de VBG, confie le capitaine de police Ladji Cissé, chef section genre et violences basées sur le genre. C’est un centre d’accueil, d’écoute et d’orientation joignable à travers le 80 333, gratuit et dans le strict respect de l’anonymat ». Le Commissariat du 12ème arrondissement dispose d’une salle d’écoute appropriée.
Aminata Agaly Yattara
Cet article a été publié avec le soutien de JDH Journalistes pour les Droits Humains et Affaires Mondiales Canada.
Source : Mali Tribune