Définies comme « tout acte préjudiciable commis contre la volonté d’une personne et fondé sur les rôles différents des hommes et des femmes que leur attribue la société », les Violences basées sur le genre (VBG) inquiètent de plus en plus les acteurs sociaux. À Bamako, au mois de juin, 2 cas de violences conjugales ayant conduit aux meurtres de deux épouses ont choqué l’opinion publique. Face au phénomène, les autorités ont entrepris la mise en place de certains dispositifs destinés à renforcer la lutte, en plus d’un processus de sensibilisation pour changer les comportements. Car ces violences, qui sont très peu dénoncées, sont très souvent bien tolérées, ce qui aboutit à leur banalisation.
« C’est l’application de la loi qui pose problème en matière de VBG. Surtout quand cela se passe en famille. C’est très difficile de sévir contre le chef de famille. C’est aussi une question culturelle, parce que le fait d’amener ces affaires devant les juridictions n’apaise pas la situation », explique Madame Bouaré Bintou Founé Samaké, Présidente de Wildaf Mali.
En effet, oser dénoncer ces violences au sein d’un foyer aggrave souvent le sort de la victime et crée une situation d’impasse. Et, malheureusement, « ce n’est que lorsque l’irréparable survient que tout le monde se mobilise », déplore Madame Bouaré.
C’est pourquoi, « il faut gérer le phénomène en amont », préconise-t-elle. Aussi bien au sein de la famille, de la société ou chez les personnes censées appliquer la loi, la vigilance doit être de mise et l’action immédiate. C’est pourquoi, lorsqu’il y a eu les premiers décès dus à des « féminicides », Wildaf Mali a alerté l’opinion et rencontré plusieurs autorités, y compris les leaders traditionnels et religieux. Cette « veille », indispensable, doit être menée par tous les acteurs sociaux et amener à agir et à dénoncer dès qu’un cas de violence est signalé, même s’il intervient dans une famille, « parce la violence ne doit pas être la norme ».
Ancré et consacré, le principe selon lequel les femmes doivent être soumises tend à rendre la violence normale. En effet, sous prétexte qu’elle fait ou ne fait pas quelque chose, une femme peut être battue. Pourtant, « il peut arriver que l’homme agisse mal ou qu’il ne s’acquitte pas par exemple de ses devoirs, mais ce n’est pas pour autant qu’il est battu », ajoute Madame Bouaré. La violence ne peut donc se justifier, mais plusieurs facteurs peuvent contribuer au phénomène.
Causes multiples
Ces violences basées sur le genre sont en réalité des « violences faites aux femmes (VFF) », explique Madame Marie-Thérèse Dansoko, Point focal genre au ministère de la Justice et des droits de l’Homme, et elles ont toujours existé. Dans certaines traditions, par exemple, le trousseau de la jeune mariée contenait un fouet, destiné à son mari pour « la corriger » au besoin. Cette acceptation du phénomène contribuait à banaliser les actes de violence « grâce à la supériorité des hommes », explique Madame Dansoko.
Mais ce qui a exacerbé le phénomène, selon elle, ce sont les assassinats, qui se sont multipliés. L’une des causes de cette violence latente est à rechercher dans « l’effritement » de notre éducation. Aussi bien celle des filles que des garçons. Ces derniers, appelés donc à se réunir pour former un foyer, ne peuvent le faire, car ni « préparés, ni formés » à cet effet. Les ravages des stupéfiants, dont la consommation connaît une progression fulgurante dans notre société, fait aussi partie des facteurs d’augmentation des cas de violence. Le stress et la pauvreté contribuent aussi à l’aggravation de ces violences.
Le phénomène, qui ne s’installe pas brusquement, est « un long processus qui naît de conflits mal gérés », note Madame Dansoko. Puisqu’il est demandé aux femmes de tout accepter, elles essayent de gérer la situation à leur niveau, jusqu’à ce que cela les dépasse.
Même si « les violences faites aux femmes se gèrent au cas par cas », « il faut alerter lorsque l’on se sent en insécurité », conseille Madame Dansoko.
Intensifier la lutte
La lutte contre ces actes, qui portent atteinte aux droits et souvent à la vie des femmes, peut s’avérer difficile dans un contexte social où les réticences sont grandes, mais les autorités ont « pris les devants, avec la mise en place de Points focaux genre au niveau de chaque unité de police », indique Madame Dansoko. Et la police a adopté un plan d’action stratégique 2018 – 2020 qui prévoit notamment le renforcement de la capacité organisationnelle et institutionnelle de la structure au plan national.
Mais la difficulté principale de la lutte réside dans le fait que les plaignantes risquent une réprobation de l’entourage et, au pire, un divorce, ce qui fait qu’elles hésitent, notent plusieurs acteurs. Le plus dur est que « l’entourage du mari peut même considérer cette dénonciation comme une humiliation. Or, il a le devoir de protéger la femme », déplore Madame Dansoko. C’est donc aux « femmes, qui sont les premières concernées », de dénoncer les faits pour être prises en charge.
« Les hommes, sans distinction de classe sociale, commettent des actes de violence. Il faut les sensibiliser aussi », relève pour sa part Madame Bouaré. D’autant que ces violences ont des conséquences néfastes sur les enfants, qui ne pourront être les citoyens modèles que nous souhaitons.
Même si ces actes ne doivent pas rester impunis, la répression n’est pas forcément la solution, ajoute Madame Dansoko. « Il faut un processus de plaidoyer, de sensibilisation et de formation pour faire comprendre aux hommes que ces violences ne sont pas banales et sont des violations de droits ».
Adapter les solutions
Actuellement en service, un numéro vert permet d’alerter les autorités compétentes, mais il faut qu’il « couvre le territoire entier et qu’on lui donne un certain pouvoir », suggère la présidente de Wildaf Mali. Afin que les agents, lorsqu’ils sont sollicités, ne se limitent pas à un constat. Ils doivent pouvoir prendre des mesures conservatoires, comme mettre la victime en sécurité. Une insuffisance également déplorée au niveau de la justice. « Les moyens doivent être renforcés pour garantir la protection de la victime », qui n’est pas souvent à l’abri, même après la sortie de prison de l’auteur des violences, selon Madame Samaké Oumou Niaré, magistrate, Point focal genre au Tribunal de Première Instance de la commune III.
Il faut aussi une amélioration dans la formation pour la prise en charge des victimes. « Il faut des lois spécifiques, comme c’est le cas pour la traite des personnes, dans laquelle on trouve des dispositions relatives aux VBG », note Madame Samaké. Ce dispositif, qui n’est pas formel, devrait « être institué au niveau de chaque juridiction », selon la magistrate, ce qui permettrait d’inscrire dans la durée la lutte, qui est un processus de longue haleine.
« La loi est dissuasive et protectrice », relève Madame Bouaré, c’est pourquoi l’adoption d’une loi spécifique, très attendue par les acteurs, peut renforcer l’arsenal juridique existant, qui s’appuie sur de textes généraux, comme le Code pénal, par exemple.
Même si les « VBG ne sont pas une question de statut social », l’autonomisation des femmes constitue l’une des pistes de solutions. En effet, selon Madame Dansoko, Point focal genre au ministère de la Justice, certaines études ont démontré que les femmes qui contribuent aux charges du ménage rencontrent moins de problèmes de violence.
En attendant la mise en place des Comités d’institutionnalisation genre, les Points focaux genre sont installés dans les départements ministériels. Leur objectif est de promouvoir la Politique nationale genre (PNG) dans leur structure. Ils s’occupent notamment des questions concernant l’égalité homme – femme et surtout de lutter contre les violences basées sur le genre.
Journal du mali