Pour le patient, c’est une révision presque totale de son mode de vie. Le dévouement des proches n’atténue que partiellement les états d’âme.
“Je suis sous dialyse depuis fin 2019 et je peux dire que c’est une situation épuisante aussi bien pour moi-même que pour mes proches. Car tout change. Depuis le boulot qu’il faut abandonner jusqu’aux nouvelles habitudes alimentaires qu’il faut prendre”, témoigne Adama Coulibaly.
Tout au long de notre entretien, c’est un défilé quasi ininterrompu de jeunes gens et de petits enfants qui viennent s’enquérir de sa santé. Notre interlocuteur nous explique que le rituel de solidarité s’est installé depuis quatre ans.
En fait, il réside à Koutiala qui n’est pas doté d’un centre de dialyse et fait deux fois dans la semaine le déplacement jusqu’à Sikasso où il est traité. “C’est ma sœur aînée, Sanata, qui m’héberge et qui m’accompagne la plupart du temps à l’hôpital, explique-t-il. Lorsqu’elle est avec moi, on me place en tête de liste pour être dialysé”.
Dès qu’il a su pour sa maladie, Adama a fait procéder à l’implantation sur sa main gauche du cathéter veineux central qui le relie à l’appareil de dialyse. Depuis il vit tant bien que mal la situation qui est désormais la sienne. Il dit même s’être habitué à sa nouvelle vie dans les moindres détails.
“Depuis quatre ans, je dois tenir compte des recommandations du néphrologue. Pendant la dialyse, je suis obligé de rester immobile sous la machine au risque de perdre beaucoup de sang si l’appareil était déplacé. Avant d’être branché, je suis pesé afin d’estimer mon poids sec c’est-à-dire mon poids normal. Je dois aussi me présenter à chaque séance les deux produits qui sont exigés de moi. C’est de l’Héparine, un anticoagulant qui fluidifie le sang et permet d’éviter la formation de caillots. L’autre produit est appelé rein artificiel. Les deux me font une dépense de 7000 F CFA à chaque séance. Et si vous venez sans les médicaments, il vous est impossible d’être branché”.
Le nombre de dialysés ne fait qu’augmenter, stimulé sans doute par la gratuité des séances dans les hôpitaux publics et dans les Centres de santé de référence. Par contre, les privés se font payer selon des tarifs variables. D’où le patient ne part qu’avec son drap ; et à l’hôpital confessionnel Mali Gavardo l’Etat paye selon Adama une somme et le patient uniquement 5000 F CFA.
Si les soucis financiers sont allégés pour les malades du public, il n’en est pas de même pour les autres aspects de leur existence. Tout leur mode de vie antérieur est bouleversé et cela va très souvent jusqu’à l’abandon de leur travail.
“Aujourd’hui, nous détaille Adama, j’ai ouvert une boutique pour pouvoir assurer les besoins de ma famille et les miens propres. Cela alors qu’auparavant j’étais conducteur de camion et je voyageais beaucoup. Maintenant, je suis malheureusement contraint de réduire mes déplacements. Mes rapports avec le reste de la famille restent bons, même si je me passe des services de certains qui le font souvent avec nonchalance. La vie d’une personne dialysée est très dure. On se résout difficilement à abandonner tout ce qu’on a toujours fait avec passion. Cette contrainte s’avère frustrante parfois. En plus, la dialyse me pompe toute mon énergie”.
Adama vit donc mal sa situation actuelle et sa sœur aînée partage beaucoup sa détresse. Elle est profondément peinée de voir son frère passer le clair de son temps sous une machine. Pourtant elle s’emploie du mieux qu’elle peut pour alléger les procédures à effectuer par son parent. “J’accompagne mon frère à ses séances afin de lui montrer par ma présence ma disponibilité. Cela ne l’empêche pas de s’énerver tout seul parfois. Je le comprends, lui qui aimait tellement son camion et qui avait la passion de voyager”.
Notre interlocutrice ne peut retenir un profond soupir. “Adama était quelqu’un de jovial, se souvient Sanata Coulibaly, mais en quatre ans il a complètement changé. Il est devenu grincheux, renfrogné. Pour ma part je l’entoure de toute l’attention dont je suis capable. J’essaie de le convaincre que sa maladie ne doit ni lui voler son sourire, ni lui ôter toute forme joie”.
Paroles fortes d’une femme admirable qui ne renonce pas à redonner à son cadet le goût de la vie.
Oumou Fofana
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Médecin-Capitaine Sah dit Baba Coulibaly, Néphrologue :
“L’insuffisance rénale n’est pas une nouvelle maladie”
Dans l’interview ci-dessous, le médecin-capitaine Sah dit Baba Coulibaly, néphrologue au Centre médico-chirurgical des armées de Bamako, nous explique la dialyse et son processus d’admission.
Mali Tribune : Qu’est-ce exactement la dialyse ?
Médecin-capitaine Sah dit Baba Coulibaly : La dialyse est un procédé technique qui consiste à enlever du sang des toxines, c’est-à-dire des déchets qui doivent être éliminés du sang en temps normal par les reins. Ces toxines sont produites quand nous mangeons, buvons, prenons des médicaments ou autres substances.
Comme je vous l’ai indiqué, elles sont éliminées dans leur grande majorité par les reins. Lorsque ceux-ci sont défaillants, lorsqu’il y a une insuffisance rénale, alors nous sommes obligés de faire recours à la dialyse. Au cours de la dialyse, le sang du patient sort pour passer et être traité par la machine avant de revenir au malade. Le sang sort et rentre en boucle.
Mali Tribune : Quelle est la durée d’une séance de dialyse ?
M B. C. : Entre deux et quatre heures. Mais cette durée peut s’étendre jusqu’à à cinq heures. Tout dépend de la prescription du médecin néphrologue. Très souvent les premières séances de dialyse sont relativement de courte durée, de deux heures et demie à trois heures maximum. Mais au fur et à mesure que le traitement s’allonge, on peut atteindre jusqu’à quatre heures, voire cinq heures en fonction des indications par séance.
Mali Tribune : Pourquoi la dialyse ?
M B. C. : Comme je vous l’ai dit, la dialyse est pratiquée lorsqu’il y a insuffisance rénale. Cette dernière est engendrée par certaines maladies que nous allons évoquer un peu plus loin. Il y a deux types d’insuffisance rénale, l’aiguë et la chronique. L’aigüe se caractérise par le fait qu’elle est récente et survient chez un patient qui n’a pas d’antécédent médico-chirurgical connu.
Cela veut dire qu’il n’est ni diabétique, ni hypertendu, qu’il n’a pas d’anomalie au niveau urogénital ou au niveau de l’urètre ou la vessie. Ou quand chez la femme il n’y a pas d’obstruction. Ou encore quand il n’y a pas d’autre maladie générale connue chez la personne. Par exemple quand le patient a beaucoup saigné, a beaucoup vomi ou a pris un médicament toxique. Dans les contextes évoqués plus haut, les reins s’arrêtent subitement et nous parlerons d’une insuffisance rénale aiguë.
Ce type d’insuffisance survient majoritairement chez les femmes qui accouchent. Au cours de l’accouchement, elles peuvent saigner beaucoup. Il peut aussi survenir d’autres complications obstétricales qui peuvent aboutir à une insuffisance rénale. Cette insuffisance peut aussi concerner un accidenté de la voie publique qui a beaucoup saigné avant de recevoir des soins. Là également les reins subissent un choc. Nous classons ces cas comme insuffisance rénale aiguë et la personne peut être dialysée pour cela.
L’insuffisance rénale chronique survient sur un terrain déjà prédisposé et se manifeste chez un patient qui a des antécédents médico-chirurgicaux connus. Le patient peut être hypertendu ou alors diabétique connu de longue date. Ou bien il développe des maladies comme une tuberculose uro-génitale, une tumeur de vessie obstructive et beaucoup d’autres pathologies. A ce moment on détecte une insuffisance rénale chronique qui évolue depuis longtemps, en tout cas, depuis pas moins de trois mois. On met ces patients sous dialyse.
Il y a une très grande différence entre les deux types d’insuffisance rénale. Pour l’aiguë, la dialyse peut être transitoire. Après seulement quelques séances les reins récupèrent et on arrête le traitement. Par contre, l’insuffisance rénale chronique contraint celui qui en est atteint à la dialyse à vie. Sauf si la possibilité se présente à lui de bénéficier d’une greffe des reins.
Mali Tribune : Combien de centres de dialyse existe-t-il au Mali ?
M B. C. : Il existe pour le moment cinq centres publics fonctionnels : ceux du Point G, de Sikasso, de Sévaré, de Ségou et récemment de Kayes. Trois nouveaux centres publics sont en construction grâce à l’implication du président de la Transition dont un nouveau centre de dialyse au Centre de santé de référence (CS-Réf) de la Commune IV, ainsi qu’au CS-Réf de la Commune V. Et un centre de dialyse au Centre médico-chirurgical des armées de Bamako (CMCAB). Tous ces centres seront bientôt opérationnels et s’ajouteront à l’existant.
A côté des centres publics où le traitement est gratuit, il y a un centre au Luxembourg qui dialyse au tarif privé. Ensuite, le Centre confessionnel Mali Gavardo qui dialyse pour une somme forfaitaire de 5000 F CFA. Et à côté de ceux-ci, il y a quelques centres privés à Bamako qui dialysent régulièrement, mais aucun privé ne s’est installé pour le moment dans les régions. Et il n’y a qu’un centre de dialyse public dans chacune des quatre régions citées plus haut.
Mali Tribune : Combien de machines de dialyse il y a aujourd’hui au Mali ?
M B. C. : Selon les estimations des docteurs néphrologues, le Mali dispose d’à peu près une centaine de générateurs répartis entre les différents centres. La majorité de ces équipements est concentrée au Point G qui, à lui seul, dispose de 40 générateurs. Kayes vient en seconde position avec à peu près une vingtaine d’équipements. Les générateurs ne sont donc pas encore en nombre suffisant, mais avec l’élan pris, nous parviendrons progressivement à une situation plus satisfaisante.
Mali Tribune : Combien de patients sont sous dialyse au Mali ?
M B. C. : J’ai mené une étude sur ce point au mois d’août dernier. Nous traitons 600 patients uniquement dans les hôpitaux publics. Le Point G en accueille le plus grand nombre, 400 patients. Puis viennent Ségou (60), Sévaré (45) et Sikasso (40). En tout, on tourne autour de 500-600 patients dialysés au Mali, dans les structures publiques. Il y a malheureusement une très longue liste d’attente. Le Point G à lui seul dénombre 500 patients sur sa liste d’attente. On ne parle même pas de ceux que nous ne pouvons pas quantifier.
Cette longue liste est due au manque de places. Si un patient doit être dialysé et qu’il n’y a pas de place, il est mis en liste d’attente. Ce qui est épouvantable pour les concernés. Ceux qui peuvent se donner les moyens de soutenir les tarifs du privé l’ont fait. Ceux qui n’ont pas la chance d’avoir ces moyens-là vont attendre. Ils sont sous traitement conservateur, ce qui permet d’éviter que leur cas ne s’empire. Ils sont sous surveillance des médecins néphrologues en attendant que des places se libèrent.
Mali Tribune : Qu’est-ce qui explique l’augmentation du nombre de personnes sous dialyse ?
M B. C. : L’insuffisance rénale n’est pas une nouvelle maladie. Le problème est qu’elle était soit insuffisamment connue, soit peu prise en charge. Le nombre de patients traités est longtemps resté très modeste uniquement parce qu’il y avait très peu de centres de dialyse. Il serait donc erroné de penser que c’est la rareté des malades dans le passé qui expliquerait le nombre réduit des structures de traitement d’alors.
Ceci dit, il y a effectivement aujourd’hui plus de malades qu’autrefois et cela s’explique logiquement. Il y a tout d’abord la croissance démographique. Il y a plus d’habitants dans notre pays, donc plus de malades malheureusement. La deuxième cause d’augmentation des cas d’insuffisance rénale est amenée par les changements intervenus dans nos modes de vie et dans nos habitudes alimentaires.
Nous sommes de plus en plus sédentaires et nous sommes de plus en plus accros à ce qui est excessivement salé, très sucré ou trop gras. Cela se constate facilement avec les nombreuses personnes diabétiques ou hyper-tendues.
Tant que ces deux pathologies progresseront, il en sera de même pour l’insuffisance rénale qui fait partie de leur histoire naturelle. Il faut donc prendre toutes les précautions nécessaires pour que le diabète et l’hypertension n’amènent pas une situation plus compliquée. Que faire ? Tout d’abord, il faut avoir une bonne hygiène de vie, manger moins salé, moins sucré, moins gras. Aussi boire beaucoup d’eau et être actif. Ensuite pour ceux déjà atteints par l’une ou l’autre des deux pathologies évoquées plus haut, il faut être régulier dans le suivi, dans la prise en charge.
En outre, qu’on ait recours à la médecine moderne ou à celle traditionnelle, il convient d’éviter l’automédication. Toutes les précautions à prendre pour prévenir l’insuffisance rénale doivent faire l’objet d’une large communication afin que chacun à son niveau se donne les moyens d’éloigner le danger. L’effort individuel compte en effet énormément. L’insuffisance rénale est une vraie problématique au niveau de l’Etat qui est en train de s’en saisir à bras le corps pour une meilleure prise en charge de cette pathologie.
Propos recueillis par
Oumou Fofana
Mali Tribune