En acceptant d’être dans une société démocratique, nous avons abandonné l’état de nature gouverné par la puissance de la force, mais plutôt pour être sujet de droit avec des prérogatives et des droits inhérents à notre condition humaine. En rompant ce pacte social, on met fin au consensus national que nous avons en commun, c’est dire la volonté d’accepter d’être gouverné par les règles préétablies.
Le 19 janvier 2007, le Peuple Guinéen et le monde entier ont appris à travers les médias que le président Guinéen feu Lassana Conté s’est rendu personnellement à la prison centrale de Conakry pour libérer lui-même son ami, l’homme d’affaire Mamadou Sylla, impliqué dans une affaire de détournements de denier public et qui avait été placé sous mandat de dépôt par un juge guinéen.
Qui l’eût cru ? Les maliens ont suivi cette scène ubuesque chez le voisin guinéen comme si cela n’arrivait qu’aux autres.
Mutatis mutandis, l’après-midi du vendredi 3 septembre 2021 restera à jamais marqué dans les annales de l’histoire malienne dont la postérité se souviendra toujours. Des centaines de policiers armés venus encercler la prison centrale de Bamako pour extraire par la force un des leurs, mon homonymes, Oumar SAMAKE, {la comparaison s’arrête là}, Commandant de la FORSAT (Force antiterroriste malienne).
Il avait été inculpé et placé sous mandat de dépôt par le juge d’instruction du Tribunal de Grande Instance de la Commune 3 du District de Bamako dans la journée pour des faits présumés « de meurtre, coups et blessures aggravés, coups mortels et complicité…» pendant les incidents des 10, 11, 12 juillet 2020 intervenus lors des manifestations organisées par le Mouvement du 5 Juin -Rassemblement des Forces Patriotiques (M5-RFP). Le tout sous le regard médusé des populations maliennes qui ont assisté à cette scène inédite.
Quelques instants plus tard, nous avons assisté à une tentative d’explication avec pitié et piteux donnée par certains responsables syndicaux de la police qui ont parlé in limine litis « de rupture de la légalité des citoyens devant la loi » comme si tous les présumés coupables devraient être arrêtés et écroués concomitamment pour justifier leur « rébellion » contre d’autres dépositaires de la puissance publique à savoir les autorités judiciaires plongeant toute l’opinion nationale dans une stupéfaction totale : l’Etat contre l’Etat, c’est-à-dire un dépositaire de la puissance publique contre un autre, prosaïquement qualifié par les chercheurs comme étant « les avatars de l’annihilation de l’Etat ».
Le Momentum choisi par les auteurs n’est pas anodin, il survient au moment où les autorités de la transition semblent être résolument engagées pour amorcer les prémisses d’une nouvelle gouvernance basée sur l’exemplarité, la lutte contre la corruption et l’impunité qui sont en réalité les causes profondes du déclin apparent ou de la fragilité de l’Etat malien. On se demanderait naturellement « à qui profite le crime » si ce n’est qu’aux nostalgiques du passé qui portent la grande partie de la responsabilité de notre faillite en tant qu’Etat-Nation. Il s’agit de stopper net le projet démocratique futur en gestation, je le dis non pas en rapport avec la légitimité des animateurs de la transition actuelle, mais plutôt en lien avec la pertinence des aspirations profondes portées par le peuple malien qui ont conduit aux évènements ayant précipité la « démission » d’un Président élu quoi que nous puissions discuter de la magnétique de cette réélection.
Max Weber, dans le « Savant et le Politique » 1919 avait dit que seul « l’Etat dispose du monopole de la violence légitime ». Mais il s’agit bien de la violence légitime, respectueuse de la loi. Les tentatives de dépècement l’Etat de droit n’ont certes pas commencé hier, mais un tournant a bien été franchi par certains responsables de l’application de la loi qui ont violé et mis à sac l’ensemble des dispositions nationales et internationales pertinentes notamment la Résolution 34/169 AG des Nations Unies en date du 17 décembre 1979 portant code de conduite pour les responsables de l’application des lois adopté par l’Assemblée générale des Nations Unies qui dit en substance « Article 8 : les responsables de l’application des lois doivent respecter la loi et le présent Code. De même, ils doivent empêcher toute violation de la loi ou du présent Code et s’y opposer vigoureusement au mieux de leurs capacités. Les responsables de l’application des lois qui ont des raisons de penser qu’une violation du présent Code s’est produite ou est sur le point de se produire signalent le cas à leurs supérieurs et, au besoin, à d’autres autorités ou instances de contrôle ou de recours compétentes ».
Ce qui s’est passé le 3 septembre 2021 devant les alentours de la maison d’arrêt centrale n’est autre chose qu’une rébellion armée et un attentat orchestrés par une partie de la police nationale contre l’Etat malien en plein cœur de Bamako.
Quel que soit le marmonnement et reproche formulés contre le pouvoir judiciaire, il revient seul à ce pouvoir judiciaire de dire le droit pour que nul ne plaide par procureur dans ce Pays. C’est bien cela « le consensus national ou le code du vivre ensemble ». On sort de la prison avec la même main qui a placé le suspect dedans. Tout autre procédé est une évasion de détenu avec circonstance aggravante.
Enfin, cet incident a ceci de positif, car il permet de mesurer pour ceux qui savent lire entre les lignes le niveau de l’abîme de l’Etat pour ce qui concerne l’ensemble de la reforme du secteur de la sécurité qui se trouve être sans nul doute au point mort.
Monsieur le Président de la Transition, Monsieur le premier Ministre, Chef du Gouvernement, qu’il me soit permis de porter à votre haute attention cette célèbre lettre que Frantz Fanon a envoyée peu de temps avant sa mort à son ami Roger Taïeb : « Nous ne sommes rien sur terre, si nous ne sommes pas d’abord l’esclave d’une cause, celle des peuples et celle de la justice et de la liberté. » Extraits des Damnés de la Terre (1961).
Le peuple vous regarde comment vous allez adresser cette agression fortuite et inopportune à l’institution judiciaire, j’allais dire à l’Etat dont nous (peuple malien) avons été témoins oculaires, la justice étant rendue au nom du peuple.
Soit, vous réussissez ou vous réussissez, vous avez une obligation de résultat, le Peuple vous observe !
Oumar SAMAKE,
Citoyen malien
Source : Info-Matin