La nouvelle Cour constitutionnelle inconstitutionnellement échafaudée est finalement née de son accouchement douloureux au travers du Décret n°2020-0342/P-RM du 7 août 2020 portant constatation de la nomination des membres comme stipulé à l’article 1er de la loi organique n°97-010 du 11 février 1997 modifiée relative à l’institution, selon lequel « un décret du Président de la République constate la nomination des membres de la Cour constitutionnelle ». Cette Cour nouvelle traficotée par le Président IBK, essentiellement composée de magistrats, sera-t- elle, à l’instar de sa devancière, une Cour en mode couché à plat ventre devant lui. Sera-t-elle une Cour constitutionnelle qui va servir, comme sous Manassa DANIOKO, de paillasson à IBK pour s’essuyer les pieds ? Sur la foi de présomptions graves, précises et concordantes, s’impose d’office, une réponse affirmative à ces questionnements qui font craindre la perspective d’une nouvelle Cour constitutionnelle pire que celle de Manassa. DANIOKO
UNE COUR NEE D’UNE DECOMPOSITION ANTICONSTITUTIONNELLE
Pour parler de recomposition, il est bon au préalable de se rappeler comment la Cour avait-elle été décomposée. Elle avait au départ enregistré un décès et des démissions. Ces vacances auraient dû normalement ouvrir la procédure légale de leurs remplacements. IBK s’est royalement assis sur cette procédure. Pire, IBK va renvoyer comme des mal propres les trois Conseillers restants qui continuaient à lui résister. Pour ce faire, il va planifier et mettre en œuvre une véritable opération de casse par le truchement de l’inconstitutionnel et l’illégal Décret n°2020-0312/P-RM du 11 juillet 2020 abrogeant leur mandat. Un Décret triplement entaché d’irrégularités en tant qu’acte de violation de serment présidentiel, de forfaiture et de haute trahison. Au total, on retiendra que l’aventure de la recomposition de la Cour est d’abord celle d’une double violation constitutionnelle : – le refus du Président IBK de s’inscrire dans la procédure constitutionnelle de remplacement du Conseiller décédé et des Conseillers démissionnaires ; – la dissolution de facto de la Cour par le Président IBK à travers l’abrogation de mandat des trois Conseillers restants en son sein. Le recours gracieux en date du 15 juillet 2020 contre le Décret présidentiel n°2020-0312/P-RM du 11 juillet 2020 en dit long sur son irrégularité classée par les requérants au registre de violation de serment constitutif d’acte de haute trahison.
UNE RECOMPOSITION VICIEE A L’ORIGINE ET CONDUITE DANS L’INCONSTITUTIONNALITE
C’est la raison évidente pour laquelle le processus de recomposition de la Cour constitutionnelle est complètement viciée à l’origine. C’est justement parce qu’elle est viciée à l’origine que la recomposition elle-même est d’office frappée d’inconstitutionnalité. D’autant plus qu’elle n’a même pas respecté les règles constitutionnelles et légales applicables en la matière, notamment en ce qui concerne les nominations à effectuer par le Président de l’Assemblée nationale. Le Conseil supérieure de la magistrature en villégiature par rapport à ses missions constitutionnelles, avait notamment proposé, pour plaire à IBK et son ministre TAPO, que « l’Assemblée nationale choisisse parmi une liste de 6 à 7 personnes proposées par la société civile, les 3 membres qui doivent être désignés au titre de l’Assemblée nationale ». Cette liste aurait-elle été imposée au Président de l‘Assemblée nationale qui aurait ainsi validé par procuration contrainte, les trois membres que sont l’avocat Maliki IBRAHIM et les magistrats BA Haoua TOUMAGNON et Beyla BA ? En tout état de cause, les trois membres prétendument nommés au titre de l’Assemblée nationale l’ont été en violation flagrante de l’article 91 de la Constitution selon ils sont nommés par le Président de l’Assemblée nationale et non par l’Assemblée nationale ou même le bureau de l’Assemblée nationale. En définitive et en violation absolue de la Constitution, c’est une « société civile » fumeuse de l’ombre, qui aurait proposé six (6) noms au bureau de l’Assemblée nationale parmi lesquels celui-ci aurait choisi trois (3). Nul ne sait de quelle société civile s’agit-il, selon quelles modalités et sur quel fondement juridique cette soi-disant société civile était ainsi habilitée à s’ingérer dans la recomposition d’une institution de la République aussi prestigieuse que la Cour constitutionnelle. Ce mode de désignation entérine donc la proposition totalement anticonstitutionnelle du Conseil supérieur de la magistrature à sa session du 30 juillet 2020. Mais au-delà de cette inconstitutionnalité évidente, ledit mode de désignation laisse planer au passage un soupçon de faux et d’usage de faux en écriture sur le Décret n°2020-0342/P-RM du 7 août 2020 portant nomination des membres de la Cour constitutionnelle où il est question au point 2 de l’article 1er, de « Membres désignés par le Président de l’Assemblée nationale ». Et si lesdits membres étaient désignés en fait par le bureau de l’Assemblée nationale sur proposition de la « société civile » ? En somme et encore une fois de plus, IBK projette à la face des Maliens, l’image affreuse d’un Président de la République autocrate, décidant tout seul au mépris de la Constitution, des modalités d’exercice par le Président de l’Assemblée nationale de son pouvoir constitutionnel de nomination de ses trois membres à la Cour constitutionnelle. Encore une entorse gravissime de plus à la Constitution et à l’Etat de droit !
UNE COUR ANNEXEE A LA COUR SUPREME PAR LA « PRIVATISATION » DES MEMBRES
Pourquoi, à l’exclusion notamment des « Professeurs de droit » et autres « personnalités qualifiées qui ont honoré le service de l’Etat » comme prévu à l’article 91 de la Constitution, les magistrats détiennent-ils le monopole absolu de la nouvelle Cour constitutionnelle ? Est-ce parce que les magistrats paraissent plus obéissants et donc plus façonnables que le Président IBK les adulerait tant ? La question reste posée. Toujours est-il qu’en leurs qualités d’avocats et de magistrats, les nouveaux Conseillers sont essentiellement des juristes privatistes qu’on a fait accompagner d’une petite poignée de juges administratifs ne comptant que pour du beurre. De toute évidence, ces magistrats et avocats ne peuvent avoir qu’une connaissance approximative de la chose constitutionnelle qui n’est point la leur, juridiquement parlant. Nul ne saurait être à la fois spécialiste de droit privé, spécialiste de droit administratif et spécialiste de droit constitutionnel, ces différentes branches du droit ne participant pas de la même logique juridique. Le monopole de la Cour constitutionnelle par les juges et les avocats condamne ainsi d’avance sa jurisprudence à une logique privatiste d’interprétation de la Constitution. La Cour devient en quelque sorte une juridiction annexe de la Cour suprême, une sorte de Section de la Cour suprême nous renvoyant ainsi, par un recule formidable du point de vue démocratique, au bon vieux temps de la Section constitutionnelle en appendice de cette institution. Il est clair que la « privatisation » à outrance de la Cour constitutionnelle ne peut être que juridiquement pénalisante pour l’institution et contreproductive du point de vue de la qualité de ses œuvres jurisprudentielles au regard des missions constitutionnelles qui lui sont confiées. Les Maliens ne tarderont pas à s’en rendre compte.
UNE COUR NEE EN MODE COUCHE POUR CASSER L’ARRET DE PROCLAMATION DES RESULTATS DEFINITIFS DES LEGISLATIVES DE 2020
Les Maliens ne vont pas non plus tarder à se rendre compte également de la manipulation gigantesque qui se cache derrière ce qui est vendu à l’opinion comme une opération salvatrice de restauration de son indépendance à une Cour dont la version Manassa DANIOKO avait fini par perdre son âme par sa dévotion à IBK et son clan. Car les faits étant têtus et les manipulations grotesques, cette Cour constitutionnelle recomposée comparée à la version Manassa, paraît de loin en mode encore plus couchée à plat ventre devant le même IBK. Alors qu’elle n’était même pas née, elle présentait déjà tous les attributs d’une Cour constitutionnelle éclopée, sans âme aucune, dédiée au service des forfaitures du Présidents IBK. Souvenons-nous ! Déjà le 20 juin 2020, la CEDEAO recommandait la « reconsidération des résultats de toutes les circonscriptions ayant fait l’objet de réformation par l’Arrêt de la Cour constitutionnelle ». Elle s’est rétractée ensuite, optant finalement pour la solution des vacances artificielles de sièges par des démissions plus ou moins digérables constitutionnellement. IBK butté au refus poli des députés concernés, finit par faire faux bond à la CEDEAO en recyclant la vieille recette de sa méthode musclée de casse des arrêts de la Cour. Le Conseil supérieure de la magistrature instrumentalisé, est ainsi mis à contribution. Il promet à IBK qu’une fois que la nouvelle Cour sera installée, « on verra comment le problème du contentieux électoral va être résolu dans un second temps ». Le jeune Premier ministre Boubou CISSE enfourche cette préconisation saugrenue. Il lève définitivement le voile sur la preuve incontestable de la violation préméditée de l’article 94 de la Constitution attachée à sa proposition de « recomposition de l’Assemblée nationale suite aux travaux de la nouvelle Cour constitutionnelle ». Encore plus récemment, nous apprenons que l’un des premiers dossiers de la nouvelle Cour sera celui du traitement de la contestation de l’élection déjà définitivement validée des 30 députés dont le Président actuel de l’Assemblée nationale. Les nouveaux juges constitutionnels sont parfaitement au parfum de ce qui les attend. Ils savent pertinemment qu’ils ont été nommés pour porter des toges dans les poches desquelles on a déjà enfoncé le draft de la mouture d’un arrêt préfabriqué par IBK et son clan politique et au bas duquel il leur est d’ores et déjà demandé de s’apprêter à apposer leurs signatures afin de lui bricoler une apparence de constitutionnalité. De manière à peine voilé, il est exigé des nouveaux membres de la Cour de se couvrir de discrédit par du blanchiment d’Arrêt. Les pauvres nouveaux juges constitutionnels ! Ils sont quasiment condamnés d’office à se couvrir eux-mêmes d’avilissement total par cette basse besogne qui les attend et qui leur est exigée par IBK.
LES NOUVEAUX JUGES FACE A LA CONSTITUTION ET LA LOI ORGANIQUE POUR QUEL DEVOIR D’INGRATITUDE ?
Les nouveaux juges constitutionnels sont face à deux défis contradictoires. Le premier défi est celui du contexte et de leurs conditions de désignation propre à les condamner à de la courtisanerie jurisprudentielle au service de IBK. Le second défi républicain est celui de leur capacité à s’arc-bouter sur le devoir d’ingratitude qui leur incombe. Le contexte et les conditions de désignation des nouveaux juges constitutionnels contribuent effectivement à les condamner à de la courtisanerie jurisprudentielle au service de IBK. IBK et son clan ont de facto dépossédé le Conseil supérieur de la magistrature et le Président de l’Assemblé nationale de leur pouvoir constitutionnel autonome de désignation de leurs trois membres respectifs à la Cour constitutionnelle. S’agissant du Conseil supérieur de la magistrature, il est de notoriété publique que cet organisme satellite reste avant tout et à double titre, la chose du pouvoir politique de l’exécution qui le tient par la gorge à son niveau le plus élevé à travers sa présidence « présidentialisée » et sa Vice-présidence « ministérialisée ». En vérité, le Président de la République et son ministre de la Justice tiennent complètement le Conseil supérieur de la magistrature en laisse. Ceci explique cela. Les trois membres désignés par le Conseil supérieur de la magistrature le sont en vérité par IBK et son clan. Il en est de même en ce qui concerne le Président de l’Assemblée nationale à l’égard duquel le même Conseil supérieure de la magistrature a affiché le mépris le plus total en proposant à IBK de le déposséder comme une institution mineure, de son pouvoir constitutionnel autonome de désignation de ses trois membres. Résultat : IBK a transféré du Président de l’Assemblée nationale au bureau de l’Assemblée nationale, le choix des trois membres parmi une liste de 6 à 7 personnes proposées par une soi-disant société civile. Ainsi le même clan présidentiel à l’origine de la désignation des trois membres au titre du Président de la République, est exactement le même qui aura pesé de tout son poids encombrant sur les choix effectués par les deux autres autorités constituées du Conseil supérieur de la magistrature et du Président de l’Assemblée nationale. Du coup, la nouvelle Cour constitutionnelle se trouve complètement viciée par son monolithisme présidentiel. Elle apparaît comme une institution artificielle sans âme, une Cour constitutionnelle verticale née dans des conditions d’inconstitutionnalité absolue, rien que pour s’adonner au blanchiment jurisprudentiel des forfaitures du Président IBK. Le seul défi républicain à relever contre ce monolithisme présidentiel antidémocratique, reste le devoir d’ingratitude qui incombe aux nouveaux Conseillers de la Cour constitutionnelle. En particulier, la Constitution et la loi organique relative à la Cour inspirent fortement ce devoir d’ingratitude qu’elles couvrent de leur portée obligatoire. A l’article 93 de la Constitution, le serment des Conseillers de la Cour est formulé ainsi qu’il suit : « Je jure de remplir consciencieusement les devoirs de ma charge, dans le strict respect des obligations de neutralité et de réserve, et de me conduire en digne et loyal magistrat ».Une question fondamentale interpelle au regard de cette disposition constitutionnelle. Quelle est la neutralité d’un juge constitutionnel auquel le Président IBK et son gouvernement entendent assigner la mission de remise en cause d’une décision définitive de la Cour constitutionnelle ? Quelle est la neutralité d’un juge constitutionnel auquel IBK et son gouvernement assignent une telle mission, alors que l’article 94 de la Constitution, formel et catégorique, dispose très clairement en son alinéa 1er : « Les décisions de la Cour Constitutionnelle ne sont susceptibles d’aucun recours. Elles s’imposent aux pouvoirs publics, à toutes les autorités administratives et juridictionnelles et à toutes les personnes physiques et morales ».A l’article 8 de la loi organique relative à la Cour constitutionnelle, il est stipulé que les Conseillers ont « l’obligation de s’abstenir de tout ce qui pourrait compromettre l’indépendance et la dignité de la fonction ». En quoi peut-on soutenir que l’indépendance et la dignité de la fonction de juge constitutionnel ne sont pas d’office compromises dès lors que ce juge accepte les charges de sa fonction tout en sachant pertinemment que lui sont faites d‘avance, des prescriptions jurisprudentielles anticipées relativement à un soi-disant traitement de contestation de l’élection déjà définitivement validée de 30 députés et dont le contentieux a également été définitivement et irrévocablement vidé par la Cour constitutionnelle ? Nous assistons donc à l’entrée en fonction d’une Cour constitutionnelle éclopée, dédiée à l’emballage des forfaitures
présidentielles dans un semblant de cachet officiel de constitutionnalité. Elle présente tous les signaux d’un Cour qui pourrait être pire que la défunte Cour constitutionnelle présidée par Manassa DANIOKIO.
Dr Brahima FOMBA, Université des Sciences Juridiques et Politiques de Bamako (USJP)