S’il y a une tare congénitale dans le pouvoir IBK, c’est de penser que ses propres limites sont celles du peuple malien. C’est son incapacité à parler au Mali et au Maliens. C’est cette prétention désespérée à ramener les questions vitales du Mali à la dimension de la seule volonté d’un homme. C’est aussi l’instauration d’un monologue à nulle autre pareille dans la gouvernance de notre pays.
Jamais le fossé du déficit de concertation et de participation effective n’a été aussi large que profond dans notre vie politique et sociale que sous le pouvoir IBK.
Le projet de découpage territorial (au propre comme au figuré) en est l’illustration la plus évidente.
Que la régionalisation soit une des réformes majeures dans notre pays, tout le monde en convient. Les Régions restent la dernière pièce de l’architecture administrative et politique dans la mise en œuvre en place des collectivités territoriales de notre pays dans sa marche vers une décentralisation effective.
Une telle démarche ne peut être réduite à une technique administrative, elle ne peut non plus s’accommoder d’un faire-valoir et d’un semblant de concertations dites régionales sans lendemain où les démarches d’affichage aux objectifs inavoués, sont tenues comme amorce de dialogue politique dans un pays où les institutions majeures sont frappées d’illégitimité.
Réformer le Mali, c’est entreprendre un processus politique global de dialogue national profond, avec la participation effective de toutes les sensibilités nationales, dans lequel tous les éléments de la reforme sont liés les uns aux autres. Un tel processus ne peut être conduit par des institutions qui sont moralement corrompues et ayant perdu toute crédibilité aux yeux des Maliens.
En lieu et place de cette démarche, nous assistons à un jeu puéril du gouvernement pour contourner l’intelligence collective des Maliens. Les prétendues concertations en cours, résonnent comme le reflet brouillé d’une participation locale, comme l’image trouble de celui qui s’apprête à boire dans une rivière. L’épuisement démocratique est tel dans notre pays, que c’est cette image déformée des concertations, du dialogue que le pouvoir IBK s’épuise à vouloir vendre aux Maliens. C’est dire que la démarche en cours est loin de l’esprit et de la lettre de la loi n°2012-017 du 12 mars 2012 portant création des circonscriptions administratives en République du Mali.
En effet cette loi dont l’application avait été étalée sur cinq ans, en tenant compte de la capacité de l’État, de la nécessaire concertation à l’intérieur des régions concernées, est invoquée dans une démarche aussi solitaire que stupide dans le but de distraire les Maliens des vrais enjeux du moment.
Tout pouvoir crédible pouvait s’apercevoir que l’opérationnalisation de toutes les régions dans le même temps pouvait avoir un effet déstabilisateur sur l’ensemble de la nation, d’autant plus qu’à travers la démarche actuelle plus d’un Malien pourrait confondre l’échelon cercle à une circonscription électorale. On voit tout le déséquilibre dans la représentation auquel une telle option pourrait conduire le pays.
La stupidité dans la démarche en cours tient au fait que le gouvernement ne voit pas le lien nécessaire entre la réforme administrative et politique et le nouveau système électoral à élaborer. Plus jamais dans le pays, le cercle ne pourrait tenir de circonscription électorale pour l’élection des députés. C’est dire que le saucissonnage des reformes politiques n’ont aucune chance de sortir le Mali de la crise.
Forcing administratif
Pour avoir été incapable de définir tout simplement le contenu du pouvoir régional nouveau, de faire le lien entre la réforme territoriale et le système électoral, et la révision constitutionnelle, le pouvoir de fait qui dirige le Mali, fortifie davantage l’impasse dans laquelle le pays se trouve. Cela parait tellement évident que le régime IBK n’a même plus de relais dans le pays pour se faire entendre d’où sa propension à recourir à de prétendus techniciens et, au forcing administratif.
En vérité, le constat qui s’impose en cette fin d’année, est que le pouvoir IBK n’a plus personne pour le défendre politiquement. La meute est particulièrement préoccupée à s’entredéchirer.
Alors, des clans en position de pouvoir pensent que les questions politiques majeures du pays ne peuvent avoir qu’un traitement technique.
La Cour Constitutionnelle accorde au président de l’Assemblée nationale ce qu’elle avait refusé au PM un mois plus tôt : un avis favorable à la prorogation du mandat des députés. Le plus dangereux des ministres de l’Administration territoriale que le pays n’ai jamais connu sort de son chapeau un découpage administratif du territoire qui remue la vase dans le pays. Pour cause, il donne un cercle à chacun des chefs politiques ou militaires de la CMA (la coordination des Mouvements armés).
Résultat toutes les régions sont en colère, les populations se regardent en chiens de faïence. Nous avons maintes fois souligné, comment l’Accord d’Alger, continue d’infecter le Mali, sous nos pieds tout se dérobent, à présent, il dresse les communautés les unes contre les autres. Les orgueils communautaires sont chatouillés, les esprits chauvins se réveillent, les dirigeants du jour n’ont rien anticipé, ce qui favorise la bête irrédentiste qui se cache derrière tous les prétextes possibles et suit sa marche inexorable, menaçant d’embrasser l’ensemble du pays. Le Mali se sent menacé dans ses fondements. Le péril IBK rentre dans la plénitude de sa capacité de destruction.
Au moment où le pays enregistre chaque jour des morts civils et militaires en l’absence d’un président de fait qui a déserté le pays, dans un tableau où de plus de 800 écoles sont fermées, parce que privées d’enseignants, des écoles en grève y comprises les privées, 4 millions de personnes menacées de famine, la démarche en cours donne plus de relief à la faillite du pouvoir en place.
Alors, pas étonnant que des compatriotes de l’extérieur agissent contre des voyages budgétivores, contre l’imposture et même la forfaiture. Le pouvoir de fait aurait voulu déstabiliser le pays, instaurer le chaos qu’il ne s’y prendrait pas autrement.
La déstabilisation du pays c’est quand ceux qui sont dans les charges publique violent la constitution pour imposer une assemblée nationale illégitime, sans concertation aucune, dans la nation.
La déstabilisation c’est quand on veut reformer le Mali, dans un cadre technocratique, en dehors de ses institutions légitimes, sa classe politique et ses populations et ses citoyens.
La déstabilisation c’est cette corruption généralisée, l’arrogance et le mépris des gouvernants illégitimes qui menacent la paix civile dans une tentative d’étouffement, libertés publiques, de toutes autres expressions démocratiques.
C’est aussi le sentiment de plus en plus acquis qu’il y a des Maliens de seconde zone face ceux qui ont droit à tous les privilèges y compris prendre les armes contre la nation en toute impunité et qui se voient récompensés par des régions ou des cercles et des communes.
La déstabilisation c’est la dilapidation des ressources publiques qu’on utilise pour prétendre s’acheter une paix sociale en jetant l’argent par la fenêtre.
La déstabilisation c’est ce système éducatif noyé par le délabrement et au sein duquel on initie nos enfants à la culture de la violence dans les universités.
La déstabilisation c’est l’entretien de la pauvreté qui a fini par pousser nombre de nos jeunes à fuir le pays quitte à mourir dans le Sahara ou en haute mer, ou offrir au terrorisme de potentielles chairs à canon.
Quand les élections conduisent à l’impasse
Elle est dans cette culture de fraude politique dans les procédures électorales et la gestion du régime par la corruption, le népotisme, le clientélisme.
Elle est dans l’abandon des populations, ce qui mène à la constitution des milices d’autodéfense, y compris dans la capitale, et aux affrontements intercommunautaires, devenue une fausse solution au climat d’insécurité. Elle est dans l’armement par l’État des citoyens prétendument contre le terrorisme dans certaines régions du pays.
Alors, face une telle situation comment ne pas s’interroger sur le silence des « personnalités patriotiques » du pays. On se demande ce qui paralyse ces personnalités de notre pays. Pourquoi se taisent elles au moment où le Mali est mis à mort ?
Certes, il y a de quoi être révolté parce que jamais le Mali n’a eu, une si grande opportunité de se débarrasser d’un régime qui a abimé la nation.
Au lieu de cela c’est la prédation et surtout la destruction du pays et du peuple volontairement programmé avec la tentative de neutralisation préliminaire de toute force patriotique donc… discordante. Il n’y a probablement pas de cas semblable dans le monde où la haute trahison a été ainsi maintenue au pouvoir par la complicité et le silence l’expression de notre lâcheté collective. Il faut sauver le Mali.
Quand les élections conduisent à l’impasse, quand ceux qui ont usurpé la volonté nationale restent sourds à toutes idées nouvelles pour le pays, le seul recours que la démocratie offre au peuple est prendre la rue.
Dans la phase actuelle, le pire c’est des réformettes sans lendemain et qui mettent le pays en danger. Chaque jour nous rapproche du terme fatal et du chaos. Pour sauver le Mali, il faut sans délais imposer au pouvoir de fait un véritable « plan national de sauvegarde ».
C’est pourquoi, présenter la nécessaire conférence, dialogue ou assises nationale à venir comme une opération cosmétique est une méprise incroyable sur la nature et l’ampleur de la crise que traverse le Mali. Elle ne servira ni d’exutoire encore moins « d’hygiène démocratique », mais elle a vocation à instaurer un débat sérieux, profond et à prendre des décisions qui s’imposent à tous y compris les pouvoirs futurs au moins dans les vingt ans à venir.
Le pays dispose des ressources humaines qualifiées capables de relever tous les défis. Nous en avons eu la certitude depuis cinq ans que le Mali se mobilise formidablement contre son asservissement. Pendant toute cette période des politiques et des acteurs de la société civile ont contribué à éclairer la marche du pays, et paradoxalement, malgré la situation alarmante, ils nous ont fait garder l’espérance.
Dans tous les cas il faut savoir exactement ce qu’il faut faire dans l’immédiat, dans le court, moyen et le long terme pour amortir le choc et éviter le chaos vers lequel on conduit le pays.
Cette solution n’est possible qu’avec la mobilisation du peuple qui ne sera obtenue que par la promotion de l’idée de rupture avec le système IBK et la mise en place d’un État de citoyenneté seul capable de redonner boussole et confiance.
Souleymane Koné
Ancien Ambassadeur
Source: L’ Aube