Mali : le rapatriement des migrants de Tunisie a commencéCe départ précipité est provoqué par une vague d’attaques violentes et racistes perpétrées par des citoyens tunisiens à l’encontre de personnes noires. Une hostilité qui fait écho aux propos tenus par le président tunisien Kaïs Saïed. Le 21 février 2023, le dirigeant a dénoncé la présence en Tunisie d’une “horde de migrants clandestins” arrivés illégalement d’Afrique subsaharienne en Tunisie. Selon lui, cette vague migratoire a lieu dans le seul but de commettre des violences et des crimes ainsi que de changer volontairement la composition ethnique du pays.
Dans la foulée de ces déclarations, des centaines de personnes originaires d’Afrique subsaharienne ont dénoncé subir des persécutions. Insultes, coups, agressions physiques, licenciement ou même expulsion de leur logement : la situation est devenue intenable.
Tunisie : multiplication des agressions racistes
“C’est la psychose totale”
Bangaly Cissé, lui, est originaire de Guinée. Âgé de 29 ans, il est venu s’installer en Tunisie en 2018 après avoir obtenu une bourse de coopération. Futur ingénieur, il poursuit son cursus à l’université de Tunis El Manar. Selon lui, depuis les propos du président Saïed et les menaces qui planent sur les ressortissants de pays subsahariens, bon nombre d’étudiants subsahariens ont “pris la décision commune de quitter la Tunisie”. Mais pour l’instant, Bangaly Cissé, lui, entend rester dans le pays. “Même si quelques fois j’ai pensé à rentrer, je suis en dernière année de master, je dois absolument rester pour travailler sur mon mémoire. Après je pourrais partir et me dire que la mission est accomplie”.Rester, oui, mais à quel prix ? Depuis que les attaques ciblant les personnes noires en Tunisie se sont multipliées, Bangaly Cissé fait partie de celles et ceux qui n’arrivent plus à sortir de leur domicile. “C’est la psychose totale”, déclare l’étudiant, qui indique qu’il préfère désormais rester barricadé dans sa chambre universitaire rattachée à la faculté El Manar de Tunis. “On n’arrive pas à en sortir pour mettre un pied à la fac. On ne peut plus aller en cours. On ne sait pas ce qu’il peut se passer si on sort. On a l’impression que n’importe qui dans la population peut s’attaquer à nous”.
À l’Université El Manar de Tunis, les propos du président Kaïs Saïed sont vivement critiqués par le corps enseignant. Dans un communiqué daté du 1er mars, l’établissement public annonce son “rejet des pratiques à caractère raciste” et tient à réaffirmer son “adhésion aux principes de coexistence pacifique en combattant toute forme de discrimination, la haine et le racisme”. Partout dans le pays, d’autres mouvements en soutien aux personnes discriminées ont émergé. Des institutions ou des individus issus de la société civile manifestent leur opposition au racisme en participant par exemple à des rassemblement et marches. C’était notamment le cas dans les rues de la capitale le 25 février dernier. “L’appel à la haine à l’encontre nos frères et sœurs subsahariens ne représente pas la Tunisie ni les Tunisiens”, a déclaré notamment Raoudha Seibin, membre de l’association tunisienne de soutien des minorités, alors qu’elle participait à la manifestation.
Appels au boycott, fuite des cerveaux et indignation
À l’étranger, la colère gronde. Devant les ambassades tunisiennes du Sénégal ou de France, des rassemblements ont eu lieu. Certaines personnes demandent également la révocation de la participation de la Tunisie aux instances dirigeantes du continent.
L’Union africaine a d’ores et déjà condamné les propos tenus par le président tunisien dans un communiqué publié le 24 février. “Les États membres de l’Union africaine doivent honorer les obligations qui leur incombent en vertu du droit international (…) à savoir traiter tous les migrants avec dignité, d’où qu’ils viennent”, rappelle l’organisation. L’image de la Tunisie se retrouve sérieusement écornée. La situation pourrait avoir des répercussions sur certains secteurs de l’économie, par exemple sur le tourisme. Sur les réseaux sociaux, des appels au boycott de marques tunisiennes sont relayés.
Pour Bangaly Cissé, le départ contraint de milliers d’étudiants subsahariens de Tunisie peut aussi représenter un vrai risque pour le pays en matière de recherche scientifique et d’attractivité de son enseignement supérieur. “Il y des centaines d’universités tunisiennes privées qui vivent uniquement aux dépens des étudiants subsahariens. Chaque été, elles financent des voyages dans des pays subsahariens pour mener des campagnes d’inscriptions sur place. Si les étudiants commencent à refuser de venir étudier, je pense que cela va aboutir à la fermeture de certaines universités”, explique-t-il.
Lutter contre le racisme et la xénophobie en Tunisie
Pour autant, la stigmatisation des personnes noires n’est pas un phénomène nouveau en Tunisie. Avant cette vague de violences, le Guinéen Bangaly Cissé avait déjà été visé par des attaques à caractère raciste. Idem, selon lui, pour plusieurs de ses amis originaires du Burkina Faso ou de Guinée. “Quand on va au marché ou dans certains quartiers, ça arrivait déjà qu’on se fasse embêter ou insulter par des gamins”, raconte Bangaly Cissé.
Source : .tv5monde.