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Tribune : La reconstruction de l’armée malienne : un petit pas en avant et plusieurs géants pas en arrière avec la réintégration des déserteurs

Y’a-t-il crime plus grave au sein d’une armée que le fait qu’un militaire déserteur retourne son arme contre son propre frère d’armes ? Assurément non car la fraternité d’armes et la loyauté sont au cœur de toute armée. Et pourtant le gouvernement du Mali vient d’annoncer, tambour battant, la réintégration de plus de 400 militaires déserteurs dont certains ont retourné leurs armes contre l’armée malienne en rejoignant les groupes armées indépendantistes ou jahidistes du Nord du Mali. Circonstance aggravante : certains de ceux-là sont récidivistes voire multirécidivistes. Le retour au sein de l’armée malienne a fait l’objet d’une cérémonie solennelle d’accueil présidée par le Chef d’Etat-Major Général des Armées. Il est même fort probable que certains de ces déserteurs fassent partie du contingent de déserteurs de l’armée malienne qui ont pris part au crime de guerre commis par la coalition de groupes armées de jihadistes et de la rébellion touareg en 2012 à Aghelhoc : le massacre du capitaine Sékou Traoré dit Bad et son unité de 117 soldats après qu’ils se soient rendus après épuisement de leurs munitions. Nos dirigeants auraient-ils la mémoire aussi courte ? Nos soldats morts pour la défense de la patrie seraient-ils déjà passés en « pertes et profits » ?

A voir la mine serrée qu’ils affichaient, on est tenté de croire que le Chef d’Etat-Major des Armées, premier responsable de la mise en œuvre de cette décision prise par l’autorité politique, et les autres chefs militaires présents à la cérémonie n’adhèrent pas à cette décision. Evidemment que je peux me tromper à ce sujet, mais si jamais tel était le cas, pourquoi le Chef d’Etat-Major Général des Armées n’a-t-il pas présenter sa démission au Chef suprême des armées qu’est le Président de la République pour ne pas assumer cette responsabilité d’intégrer des soldats ayant fait « désertion à l’ennemi » et retourné leurs armes contre leurs propres frères d’armes ? Si au nom de la sacro-sainte soumission de l’autorité militaire à l’autorité politique en république il ne peut pas contester la décision de l’autorité politique, il a le droit de manifester sa désapprobation de cette décision en démissionnant. Il doit certes loyauté au Chef suprême des armées, mais pour paraphraser le Général de Villiers ancien Chef d’Etat-Major des Armées de France démissionnaire de son poste, « la loyauté n’est pas l’esprit de cour —-, le silence est parfois proche de la lâcheté. La loyauté perd de sa légitimité lorsque commence le légalisme » (in Servir, édition Fayard 2017).

Mais au fait qu’elle est le sort réservé au déserteur de l’armée malienne qui rejoint l’ennemi ? « Est puni de mort, tout militaire —- coupable de désertion à l’ennemi » (Article 117 Code de justice militaire). Au lieu de cela, ils reçoivent une véritable prime à « la désertion à l’ennemi » à travers cette réintégration dans l’armée malienne. Mieux, ils exigeraient une prime de bonification complémentaire: le paiement de salaires et l’avancement en grade au titre des années de désertion !!! Incroyable non ? Pas tant que ça quant on sait que le régime du Président IBK a payé des arriérés de salaires au titre des années de désertion à des députés qui avaient déserté l’Assemblée nationale pour créer et siéger dans les instances du fantomatique Etat de l’Azawad. Pour rappel le Président de l’Assemblée Nationale en 2013, l’Honorable Younoussi Touré, et l’ensemble des députés (dont IBK et moi-même à l’époque) ont opposé une fin de non-recevoir à cette odieuse revendication.

Imaginez simplement l’état d’âme du soldat resté loyal à l’armée malienne. Croyez-vous qu’il accordera la moindre confiance en ce déserteur passé un moment dans le camp de l’ennemi et qui peut rejoindre à nouveau ce camps à tout moment ? Non. Croyez-vous qu’il peut encore compter sur la solidarité de ce déserteur ? Non. Croyez-vous qu’il aura encore du respect pour cet officier « déserteur à l’ennemi » réintégré et qu’il exécutera ses instructions « sans hésitation, ni murmures » ? Non. Croyez-vous que son engagement à défendre son pays jusqu’au sacrifice suprême c’est-à dire la mort au combat, sera affecté par un tel acte ? Assurément oui !!!

Nous devons opposer une résistance farouche à la réintégration de militaires ayant fait « désertion à l’ennemi » et retourné leurs armes contre leurs propres frères d’armes de l’armée malienne parce que :

Le déserteur à l’ennemi a trahi son serment de défendre la patrie jusqu’au sacrifice suprême et s’est muté en ennemi et bourreau du peuple. Un crime d’une telle gravité ne doit pas rester impuni. Ne rien faire reviendrait à trahir la mémoire de tous nos soldats morts sur le champ d’honneur pour la défense de la patrie et à piétiner les droits des victimes.

En retournant son arme contre son frère d’armes, « le déserteur à l’ennemi » s’est muté en bourreau de celui-ci et a rompu le lien de fraternité d’armes. Or c’est cette fraternité d’armes qui « rend inconcevable l’abandon du camarade à son sort » (Général Pierre de Villiers) à fortiori lui tirer dessus en s’alliant à l’ennemi. La traduction de cette fraternité dans les faits est la solidarité indéfectible entre les militaires c’est-à dire « la certitude de pouvoir compter sur son camarade en cas de difficulté ou de péril à tout moment » (Général Pierre de Villiers). Celui qui fait donc « désertion à l’ennemi » cesse d’être un frère pour devenir un ennemi. En brisant cet « esprit de corps ou d’équipage » la « désertion à l’ennemi » brise une composante majeure la colonne vertébrale de l’armée. Elle brise la confiance et la solidarité entre militaires.

Elle entame sérieusement l’admiration et le respect du militaire pour sa hiérarchie et à ce titre sape la discipline au sein de l’armée et son « miroir inversé » l’autorité, car « L’autorité oblige tout autant celui qui l’exerce que celui sur qui elle s’exerce » et « la force de conviction du chef passe par l’estime qu’on ressent pour lui, donc par son exemplarité ». Or le « désertion à l’ennemi » est la négation même de l’exemplarité. L’acte de désertion ne sape pas seulement l’autorité du « déserteur à l’ennemi » réintégré, mais aussi celle de toute la chaîne de commandement militaire car l’impunité et mieux la faveur accordée au « déserteur à l’ennemi » réintégré affecte profondément l’état d’esprit de toute l’armée.

Le renouvellement pour la troisième fois de l’intégration de déserteurs à l’ennemi au sein de l’armée malienne (les deux premières fois ont eu lieu en 1996 et 2006) plombe la politique de reconstruction de l’armée malienne dans le « un petit en avant, plusieurs pas en arrière ».

C’est une erreur de croire que la formation, l’équipement et l’amélioration des conditions de vie des militaires suffiront à nous doter d’une armée capable d’assurer efficacement sa mission de protection de la patrie. Le premier problème de l’armée malienne d’aujourd’hui reste bien l’engagement du militaire à servir la patrie jusqu’au sacrifice.

Former les soldats, les équiper et améliorer leurs conditions de vie est certes fondamental pour la capacité d’une armée à accomplir sa mission avec efficacité et sachons gré au Président IBK pour les progrès faits à ce niveau depuis cinq ans. Mais redonner aux soldats le sens de l’engagement à servir la patrie jusqu’au sacrifice suprême est encore plus importante aujourd’hui et à ce niveau c’est zéro pointé pour le Président IBK, Chef suprême des armées, et la haute hiérarchie militaire. « Les défaites que nous avons connues dans notre histoire tenaient moins à l’insuffisance de nos forces qu’à l’incapacité, aux erreurs du pouvoir politique, et de l’Etat-major » selon le Général De Villiers à propos de la France, réfléchissons y pour le cas du Mali. La réintégration de déserteurs à l’ennemi est un désastre pour l’armée malienne à cet égard. Elle relève de ses pratiques généralisées de mauvaise gouvernance de la sécurité au profit d’une minorité d’élites (civils comme militaires) prédatrices de ressources publiques et est perçue comme telle au sein de l’armée.

 

Député à l’assemblée nationale pendant la crise de 2012-2013, j’ai mis en garde le ministre de la défense d’alors et la haute hiérarchie militaire contre cette pratique au cours d’une séance d’audition à huit clos de cette institution quand IBK était encore député. Manifestement je n’ai pas été entendu. A l’époque en tant que l’un des Vice-Présidents de l’Assemblée nationale, j’ai eu l’honneur et le privilège d’échanger sur cette question avec certains officiers de l’armée malienne et d’armées étrangères actuellement présentes au Mali, aucun n’a remis en cause la pertinence des arguments avancés ici. J’ai demandé aux officiers étrangers de me citer dans l’histoire de leurs pays un seul cas de réintégration de militaires déserteurs passés à l’ennemi. Pas un seul cas n’a été cité. Pourquoi ce silence assourdissant de toute la communauté internationale dans le cas du Mali à un moment où des soldats étrangers meurent pour la défense de notre pays ? Nous avons conscience de la pression de pays étrangers sur les dirigeants maliens pour cette réintégration qui sonne comme un complot contre notre armée. Ce règlement « politique » de la rébellion armée sonne comme le «compromis à l’africaine » avancé par Mr Le Driant, ministre français des affaires étrangères, au sujet de l’acceptation par la France des résultats de la mascarade électorale des récentes présidentielles en RDC après les avoir contestés dans un premier temps. Pauvre Mali, pauvre Afrique !!!

Que le Président IBK, Chef suprême des armées du Mali, le sache : l’écrasante majorité du peuple malien sent une grande colère et une énorme frustration suite à cette mesure de réintégration de militaires déserteurs ayant retourné leurs armes contre leurs propres frères d’armes de l’armée malienne. Je ne suis pas sûr que la situation soit différente au sein de « la grande muette » qui n’a pas le droit de dire sa colère. La mesure creuse encore un peu plus le fossé entre les autorités civils et militaires en charge de la gouvernance de la sécurité d’un côté, et l’armée et le peuple malien de l’autre.

Les dirigeants maliens sont dans la fuite en avant depuis des décennies concernant le règlement de la rébellion touareg sous la pression de la communauté internationale. Elle est incapable de dire à la communauté internationale que telle solution inconcevable chez vous, l’est aussi chez nous, nous ne l’acceptons pas car elle ne marchera jamais. La solution à ce conflit est politique sans aucun doute, mais ne perdons jamais de vue qu’elle est aussi militaire. Nous ne bâtirons jamais une armée digne de ce nom sur la base de telles pratiques.

Pour terminer, je citerai encore le Général Pierre De Villiers : « La souveraineté est l’attribut essentiel d’une nation, —– ; elle s’exprime, avant tout, à travers l’autonomie de décision et d’action de l’Etat—–. Un Etat qui ne prendrait pas toutes les mesures pour garantir et protéger sa souveraineté face aux menaces s’exposerait inévitablement à perdre la maîtrise de son destin et à subir la volonté- possiblement violente- de l’étranger » Et parmi ces mesures figure au premier plan se doter d’une armée en capacité d’assurer efficacement sa mission de défense de la patrie. Les dirigeants de l’Etat malien ont-il bien conscience de cela en prenant une décision de réintégration destructrice pour notre armée. Tous les déserteurs, passés à l’ennemi ou non, doivent passer devant la justice militaire qui instruira chaque dossier et infligera la sanction adaptée à chaque cas. Ainsi les déserteurs qui n’ont pas rejoint le camp de l’ennemi et qui n’ont donc pas retourné leurs armes contre leurs frères d’armes de l’armée malienne pourront être réintégrés en toute transparence et bénéficieront de la considération et du respect de la part des soldats de l’armée malienne. La seule façon de lever tout équivoque, c’est s’en tenir au respect des Règlements militaires qui constituent la colonne vertébrale de toute armée.

Konimba Sidibé

Par La Dépêche

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