La corruption et la délinquance financière, phénomènes qui ont germé sous la Deuxième République, ont eu leur âge d’or sous la démocratie. D’exception, comme c’est le cas sous la plupart des cieux, la corruption est devenue la règle générale au Mali, l’affairisme, le népotisme et le favoritisme aidant.
Malick Coulibaly, le ministère de la Justice travaille à l’adoption d’une loi pour lutter contre la corruption
L’hydre s’est muée en un véritable cancer, qui a fini par gangréner tout le corps social. Les surfacturations, les fausses factures, les pots-de-vin et autres pratiques corruptrices sont devenus monnaie courante. Cette corruption, dans son grand format, passe surtout par la collusion entre les milieux d’affaires et la haute sphère politico-administrative.
On peut même affirmer, sans risque de se tromper, que la corruption, avec son lot de mal gouvernance, est loin d’être étrangère à la grave crise dans laquelle le pays se débat actuellement. En vérité, le Malien a développé un goût immodéré pour l’argent facile et est prêt à s’enrichir à tout prix, même s’il faut pour cela vendre son pays. Nos valeurs d’antan, telles que l’amour du travail bien fait, le sens de la dignité et de l’honneur, l’honnêteté et la rectitude, ont été sacrifiées sur l’autel de la réussite sociale vaille que vaille.
Pire, tout se passe comme s’il était désormais inscrit dans l’inconscient collectif des Maliens que voler l’Etat ou le bien public n’était pas voler. En réalité, tant que nous évoluerons avec une telle mentalité, tant que l’impunité prévaudra en la matière, jusqu’à la fin des temps nous n’allons jamais nous développer.
Au vu de ce tableau peu reluisant, il est heureux qu’il y ait un frémissement dans le sens d’une réactivation de la lutte contre la corruption et l’enrichissement illicite. En effet, sous l’impulsion du nouveau Garde des Sceaux, Malick Coulibaly, le ministère de la Justice travaille à l’adoption d’une loi pour lutter contre ces fléaux. Son adoption pourrait bien intervenir à la faveur de la session d’avril de l’Assemblée nationale. Pour imprimer une dynamique inclusive à sa démarche, le ministère de la Justice a rencontré la société civile et les partenaires techniques et financiers, qui, au demeurant, ont fait de cette lutte l’une des conditions essentielles de leur aide.
Mais il reste que nous sommes devant un défi gigantesque. Le risque est grand de retomber dans les mêmes écueils que lors des précédentes initiatives, où l’on a vu la lutte contre la corruption se transformer en un outil d’élimination d’adversaires politiques ou de règlement de comptes en tous genres.
L’autre écueil, c’est de voir la lutte anti-corruption ne s’intéresser qu’au seul menu fretin et que les requins de haute mer, autrement plus prédateurs, passent paradoxalement à travers les mailles du filet. Au début, il faudra traiter les cas emblématiques, dans lesquels la culpabilité des auteurs d’enrichissement illicite ou de délinquance financière ne souffre l’ombre d’aucun doute et pour lesquels les preuves crèvent les yeux.
La tâche est loin d’être mince, dans la mesure où «les mercenaires du statu quo» (ceux qui ont intérêt à perpétuer l’ordre établi) – et Dieu sait s’ils sont nombreux au Mali – ne resteront pas les bras croisés. Les acteurs chargés de cette répression doivent être au-dessus de tout soupçon et capables de résister à. l’appât du gain facile. Incorruptibles en somme. L’accent doit être mis sur le recouvrement des deniers de l’Etat.
Villas, châteaux, immeubles, au Mali comme à l’extérieur, véhicules, comptes bancaires des délinquants seront saisis et vendus, le cas échéant, et le produit reversé dans les caisses de l’Etat. L’argent récupéré pourra aller au renforcement du Fonds de garantie pour le secteur privé. Et, pourquoi pas, servir à la création d’une banque d’investissement pour le financement de l’initiative privée.
L’argent récupéré pourra aussi financer la construction d’écoles, de centres de santé, la réalisation de puits, de forages et autres équipements socio-économiques pour les couches les plus démunies. Il pourra également alimenter un Fonds dédié à la promotion de la cinématographie au Mali.
Qu’on soit clair : il ne s’agit pas de livrer une chasse aux riches ou de mener un combat qui opposerait les riches aux pauvres. Car nombre de riches au Mali méritent bien leur fortune, car ils ont bâti leurs empires brique par brique, à la sueur de leur front ou en ont hérité de leurs parents. Les riches incriminés sont ceux qui se sont enrichis à la vitesse de la lumière, en volant l’argent du contribuable d’une manière ou d’une autre. Leur boulimie n’a d’égale que celle des sautériaux.
Ceux qui seront en première ligne dans cette lutte contre la corruption et l’enrichissement illicite devront faire preuve de discernement, de professionnalisme, de patience et de lucidité. Les maîtres mots seront objectivité et discrétion. Sur le plan réglementaire et des textes, il n’y a rien à dire parce que, comme toujours au Mali, c’est l’application des textes qui pose problème.
En définitive, la lutte contre la corruption et l’enrichissement illicite est comme une planche de salut, ou tout au moins un passage obligé, pour le Mali pour prendre son envol vers le développement économique et social. Elle doit être comme une épée de Damoclès suspendue au-dessus de la tête de tout candidat au gain facile.
Yaya Sidibé