La chercheuse Marielle Debos pointe « l’aveuglement » des alliés occidentaux d’Idriss Déby et leur responsabilité dans « le désordre qui s’annonce » après sa mort.
Tribune. Idriss Déby, président du Tchad, vient de mourir sur le champ de bataille. Depuis son décès, l’« ami courageux » de la France a été salué pour ses qualités de militaire. Il était le premier à se mettre en scène comme un guerrier. En 2008, alors qu’il était menacé par une autre rébellion, il avait déjà annoncé qu’il était prêt à mourir les armes à la main. En août 2020, il s’était fait décerner le titre de maréchal. Cette mise en scène de soi s’adressait aux Tchadiens, à ses frères et à ses ennemis d’armes, mais aussi aux acteurs internationaux qui avaient vu en lui un allié dans la « guerre contre le terrorisme ».
Cette alliance est cependant plus ancienne. Idriss Déby était déjà soutenu par les Français quand il a renversé Hissène Habré, en 1990. Il avait bénéficié du soutien discret mais efficace de l’armée française lors des attaques rebelles sur la capitale, en 2006 et 2008. En février 2019, l’armée française était allée plus loin encore en menant des frappes aériennes contre une colonne rebelle. L’accord de coopération militaire conclu entre les deux pays en 1976 a toujours été interprété de façon large.
Un fin stratège, artisan de son succès comme de sa défaite
Derrière cet attachement à Idriss Déby, il y a des intérêts. Ces intérêts ne sont pas économiques, mais militaires. Le Tchad, qui a accueilli de façon quasi continue une succession d’opérations extérieures depuis son indépendance, est considéré comme un espace stratégique. Cette politique est sous-tendue par une idéologie : celle de l’homme fort, seul capable de dompter un pays de guerriers. Cette idéologie est problématique à plus d’un titre. Elle est paternaliste : les Français sauraient mieux que les Tchadiens eux-mêmes le système politique qui leur conviendrait. Elle est culturaliste et raciste : les Tchadiens formeraient un peuple turbulent qui devrait être commandé – plutôt que gouverné. Elle est enfin sexiste : seul un homme pourrait faire le job.
Source: Monde Afrique