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Sur l’« Aquarius » : « La Libye est le pays de la mort ou du grand départ »

Alladi Fathi est un errant. Près de 900 jours qu’il traîne sur la route, de ville en ville, de pays en pays. Mercredi 6 juillet, il est sauvé dans un canot filant droit vers les rives nord de la Méditerranée, avant d’être pris en charge dans un second temps par l’Aquarius, le bateau de secours affrété par SOS Méditerranée et Médecins sans Frontières (MSF). Son exil vers une Europe pas vraiment choisie ressemble à bien d’autres récits d’Africains.

soldat militaire garde Tunisie frontiere Libye

Le 13 janvier 2014 est une date dont le jeune homme se souviendra toujours. Ce jour-là, à 18 ans, il décide de quitter la Gambie, petite enclave au cœur duSénégal. « Mon père est mort quand j’étais enfant. Mon unique sœur, beaucoup plus âgée est partie en France à ce moment-là. Moi, je suis resté jusqu’à la mort de ma mère, et une fois qu’elle n’était plus là, j’ai fait mon sac… », raconte-t-il. Depuis, Alladi Fathi cherche un endroit où arrêter sa course folle. Un lieu où il pourrait « gagner assez d’argent pour manger, se marier » et envoyer ses futurs enfants à l’école. Pour lui, ce serait le trio gagnant.

Le « piège » libyen

Sept étapes ont ponctué son errance africaine, d’après le récit qu’il en fait tranquillement sur le pont de l’Aquarius, pendant que le navire l’emmène vers sa nouvelle vie. D’abord, passage obligé pour tout Gambien, il entre au Sénégal. « Là j’ai travaillé pendant 3 mois et 10 jours dans la construction ; mais je n’ai pas eu envie de rester, parce que je ne m’y sentais pas très bien. Alors, j’ai repris ma route une fois que j’ai eu assez d’argent », ajoute-t-il avec un grand souci des dates et des durées de séjour.

L’homme errant file ensuite en direction de la Mauritanie où il tente de gagner son pain en renouant avec le métier de ses ancêtres : pêcheur. Sur les bords du fleuve Sénégal, il reste un mois, « mais là encore, ça ne m’allait pas vraiment et je suis reparti vers Bamako ». Dans la capitale du Mali, il fait ce qu’il sait le mieuxfaire et qui est le plus aisé à trouver : de la construction. C’est encore le secteur du bâtiment qui le nourrit au Burkina Faso puis à Agadez, au Niger. Alladi aime bien rappeler au passage qu’« il y a toujours du travail pour les courageux, mais qu’on a le droit aussi d’aller voir plus loin si la vie n’est pas un peu plus douce ».

C’est poussé par cette quête qu’un jour de 2015, il entre en Libye. « Je ne savais pas comment était ce pays. On me disait qu’il y avait du travail. Si j’avais su, je n’y serais jamais allé », confie-t-il aujourd’hui. « C’est un piège et il faudrait dire aux Africains de ne pas y aller. C’est le pays de la mort ou du grand départ. »

« Toutes les routes semblent converger »

Sa première expérience donne le ton de son séjour. « J’ai commencé par travaillertrois mois dans le gardiennage à Sabah et au lieu d’être payé, je me suis retrouvé en prison pour six mois. Là, on m’a dit qu’il fallait que je donne de l’argent aux gardiens si je voulais sortir. Mais c’était impossible pour moi. D’abord je n’avais pas été payé de mon travail. Ensuite, comme je n’ai plus de famille, personne ne peut donner de l’argent pour moi. » Après cette première expérience, Alladi Fathi se retrouve deux fois encore dans les geôles du pays, mais cette fois à Tripoli. La dernière fois, il n’en peut plus et décide de quitter ce pays dès qu’il aura l’argent. Sur les rançons, comme les départs forcés pour l’Europe, son témoignage en recoupe beaucoup d’autres recueillis sur l’Aquarius.

« J’ai été très choqué par le récit d’une femme ce printemps, raconte Andreas Tsigkanas, numéro 2 du navire. Paniquée, elle m’a raconté avoir été poussée de force dans un canot pneumatique et sommée d’envoyer chaque mois de l’argent, sinon un de ses enfants, retenu en otage, serait tué », rappelle le jeune Grec de 32 ans… Sauveteur sur l’Aquarius, Bertrand Thiébault a, lui, été marqué par l’histoire, récente aussi, d’un jeune Ghanéen de 16 ans. « Il s’occupait des bagages dans une compagnie de bus. Un jour, il est impliqué dans un accident de la route et doit quitter la ville pour éviter la vengeance des familles de victimes. Sa famille lui donne l’argent et sa fuite en avant commence », rapporte Bertrand Thiébault.

Burkina, Nigeria… « Toutes les routes qu’il emprunte semblent converger vers la Libye, comme si les flux étaient canalisés pour emmener vers ce lieu », analyse le sauveteur, observateur de ces drames. « Une nuit où le garçon dort sur une plage près de Tripoli, des coups de feux le réveillent. Pour se protéger il file vers la mer et se retrouve dans un canot avec beaucoup d’autres », raconte celui qui entendra ensuite le jeune garçon expliquer qu’il veut rentrer chez lui.

Les indésirables poussés vers la mer

Sur le même thème, c’est l’histoire d’un Guinéen prénommé Charles qui a le plus marqué Ruby Pratka, porte-parole SOS Méditerranée sur l’Aquarius. L’homme qui travaillait pour un call-center de la Croix-Rouge a dû fuir quelque temps au moment d’Ebola. Il s’est retrouvé emmené de force en Libye alors qu’il avait payé pour aller en Egypte. Finalement, lui aussi s’est retrouvé jeté contre son gré dans un canot pneumatique. Comme si le mouvement naturel en Libye aujourd’hui était de pousser vers la mer les indésirables, qu’ils aient ou non payé la traversée.

L’Europe non désirée, l’Europe comme moyen de quitter le chaos libyen est aussi une réalité de la migration africaine. « La Libye est un grand cercueil. Chaque jour, à chaque seconde un Noir peut y mourir sans savoir pourquoi et sans que son bourreau ne le sache non plus », rappelle Alladi Fathi. Quand on lui rappelle que la traversée de la Méditerranée est dangereuse, que 10 000 personnes y ont laissé leur vie depuis 2014, il sourit et répond invariablement que l’on meurt aussi beaucoup en Libye.

Son témoignage sur la prison et son arbitraire n’a rien de pire que ce qu’en disent tous les autres. Sur la trentaine de migrants interrogés par Le Monde sur l’Aquarius, moins de cinq ont échappé aux geôles et à leur calvaire quotidien : une portion unique et minimale de nourriture accompagnée d’un seul verre d’eau pour la journée. Le tout agrémenté de coups de fouet, de coups de pieds et de tabassages récurrents. La plupart des gens, hommes ou femmes, qui ont séjourné quelque temps en Libye montrent des cicatrices physiques et leurs récits révèlent des plaies à l’âme plus profondes encore.

Malmené par cette expérience, Alladi Fathi se disait « très heureux » d’être là, la veille de son débarquement dans le port de Messine en Sicile, le soir du 6 juillet. Même si l’Europe n’était pas son projet initial. « Je n’aurais jamais pensé qu’un jour je partirais pour l’Europe, moi, fils de pêcheur, sans argent. Je ne sais pas si ce sera mieux que l’Afrique. Je sais déjà que c’est dur aussi parce que ma sœur n’a pas de papier alors qu’elle est en France depuis dix ans… Je n’ai pas d’illusion. Mais il fallait que je parte de Libye, et c’est plus facile par la mer que par la terre. »Pour gagner le droit de monter dans le bateau, il a déboursé 1 200 dinars. Soit le salaire de 8 mois de travail, sept jours sur sept.

 

Source: lemonde

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