Le 28ème sommet Afrique-Français, nouveau format, s’est tenu à Montpellier, en France, ce week-end. Ce n’est pas l’intervention de notre compatriote Maïga Adam Dicko qui a été impressionnant, puisqu’elle ne faisait que répéter au Président Macron ce qui se dit tout le temps dans les rues de Bamako, lors des manifestations anti-français.
Ce qui est choquant, c’est l’immense travail accompli en amont par d’éminents intellectuels africains comme le Camerounais Achille Mbembe, le Sénégalais Souleymane Bachir Diagne et le Togolais Kako Nubukpo. Hier comme aujourd’hui, la 5èmecolonne du colonialisme ou du néocolonialisme français a toujours été constituée par une partie de la crème de l’intelligentsia africaine. L’équipe d’Achille Mbembe a été financée par la France pour accomplir un travail scientifique dans l’intérêt de la France. Est-ce cela la rupture ? Est-ce cela la refondation ? « Aucune civilisation n’est détruite du dehors sans s’être tout d’abord ruinée elle-même, aucun empire n’est conquis de l’extérieur qu’il ne se soit préalablement suicidé », disait l’historien René Grousset.
Avec une intervention militaire par an pendant plus de soixante ans, c’est une situation unique au monde que la France fait subir à ses anciennes colonies francophones. En effet, la Grande Bretagne n’a jamais monté une opération dans son ex-empire colonial, sous prétexte de sauver tel ou tel pays de ses démons. On peut en dire de même du Portugal, de l’Espagne et de la Belgique. Toutes ces anciennes puissances européennes ont compris que le fait colonial a une fin et qu’il faut savoir en prendre acte. Cette exception française, le refus de décoloniser, devrait inciter les Français à se demander : “Pourquoi sommes-nous les seuls à agir de la sorte ?”
Que l’on ne nous dise surtout pas que nous sommes en train de me défausser sur la France : nous savons bien que nous sommes, nous intellectuels, hommes d’affaires et hommes politiques d’Afrique francophone, totalement responsables de ce qui nous arrive. La France n’ose pas piétiner la souveraineté de ses anciennes colonies d’Afrique du Nord ou d’Asie et si elle se comporte ainsi avec nous, c’est que nous la laissons faire.
On ne peut cependant nier le phénomène de la fuite des bras valides et des cerveaux. C’est en effet à partir de l’étranger que certains de nos meilleurs intellectuels, en tout cas les plus écoutés, parlent d’une Afrique qu’ils ont parfois quittée très jeunes ou parfois sous la contrainte.
Et c’est à des étrangers qu’ils en parlent, pas à leurs compatriotes. Il faut ajouter à tout cela une information sur l’Afrique si lacunaire et orientée que les discussions restent très superficielles et vagues. C’est par exemple via RFI et France 24 que nous savons ce qui se passe sur le continent, même dans les pays frontaliers. Et cela laisse forcément des traces. La balkanisation intellectuelle est telle que même si nous parlons toujours de l’Afrique comme d’un seul pays, vous ne verrez jamais un journal malien titrer sur Ousmane Sonko ou Maurice Kamto.
Nous déplorons surtout la faible capacité d’indignation de nos intellectuels. La mémoire des peuples sud-américains est riche des luttes de Sandino, de Bolivar, de Che Guevara, mais aussi des souffrances de ceux que l’on a torturés en Argentine ou du martyre d’Allende au Chili. Cette mémoire-là, elle continue à nourrir une résistance multiforme à l’impérialisme américain.
Or, qui se souvient en Afrique francophone des luttes du peuple camerounais et des terribles massacres de l’armée française en pays Bamiléké ? On parle bien sûr de Modibo Keita, de Thomas Sankara, d’Amilcar Cabral et de Lumumba, mais ils ne nous servent pas autant qu’il le faudrait de repères pour la réflexion et l’action.
Sambou Sissoko
Source : Le Démocrate