“Mon inquiétude, ma hantise, c’est comment je vais passer le reste de ma vie sans voir mon frère, sans lui parler”
La famille Gakou est en deuil. Maître Mamadou Gakou, ancien député de Banamba et célèbre avocat n’est plus. Hospitalisé suite à une maladie, il a rendu l’âme, le dimanche 26 juin 2022. Il a été conduit à sa dernière demeure au cimetière de Banamba par une foule de grands jours. Ayant fait la fierté de sa sœur Sokona Gakou, journaliste présentatrice à l’Ortm, celle-ci reste inconsolable. Voici le témoignage très émouvant de notre consœur Sokona Gakou sur son frère.
Maître Mamadou Gakou ou Papi pour certains et Papa pour d’autres parce qu’il était l’homonyme de notre grand père maternelle. C’est dur et très dur parce que la personne que je viens de perdre était mon ami, mon frère, mon confident, mon tout. Papi a été tout pour moi. Dès son jeune âge, il a été excellemment brillant. Je me rappelle quand j’étais petite, un inspecteur français est passé à Banamba parce que les inspecteurs passaient dans les écoles avant. Papi était tellement brillant, c’était un surdoué, il a sauté des classes, de la 3ème année, il s’est retrouvé en 6ème année. Ce jour-là, l’Inspecteur l’a appelé le “Petit dictionnaire vivant” et ce surnom lui est resté toute sa vie. Tous ceux qui ont fait Banamba le savent.
Après, il a fait des études et tout ce qu’il a eu à faire, il y a eu cette touche de brillance. Il faisait tout de façon parfaite. Il n’y a que Dieu qui est parfait, mais quand il donne une couleur parfaite à une personne, nous les humains, on ne fait pas attention, mais ça me faisait peur.
J’ai horreur de parler de lui au passé parce que c’est dur d’accepter sa mort. C’était une personne humble, malgré tout ce que Dieu lui a donné. Il était modeste et très timide.
Papi ne disait jamais non à quelqu’un. Je ne l’ai jamais entendu dire non. Une fois, je suis allée chez lui le soir parce qu’on était collé, c’était difficile pour moi je ne pouvais pas ne pas le voir. J’avais envie de le voir, j’ai pris un taxi je suis allée chez lui, mais je l’ai porté absent. Il n’était pas marié à l’époque et ce sont ses amis que j’ai trouvés chez lui.
Je suis restée pour causer un peu avec ceux-ci, après je suis repartie. Le lendemain, Papi est venu chez moi en riant et comme il aimait me taquiner, il dit : Toi là, comment tu as pu prendre le taxi la nuit pour aller chez moi ? Je dis c’est parce que j’avais envie de te voir. On a causé et en partant, lorsque je l’ai accompagné, il m’a tendu une clé. Je dis : c’est quoi ça ? Il me dit qu’il est venu me donner cette voiture. J’ai dit non, Papi, comment tu peux me donner ta voiture et toi tu fais comment ? Il me dit que pour lui ce n’est pas grave, que si moi j’ai une voiture, il est rassuré. Je lui ai dit de prendre la clé et que quand il aura une deuxième voiture, il va me l’offrir. Il dit : Non, c’est fini, cette voiture est à toi ! J’ai tout fait, mais il a refusé de prendre la clé. J’ai dit : Ok, attend que je te dépose à la maison et je reviens avec la voiture. Il m’a dit : Pas question ! Entre temps, il a fait arrêter un taxi et est monté en me laissant la voiture.
Papi a envoyé toutes les femmes de notre père à la Mecque et il a envoyé les autres avant notre maman. Il a envoyé notre maman trois fois de suite. Il a offert une mobylette à tous ceux qui portent le nom Gakou, ses frères, sœurs, neveux, nièces et c’était avant qu’il ne se marie. On devait s’inquiéter pour lui, mais on n’a pas vu venir ce qui allait se passer. Il était adorable, aimable et généreux. Ce n’est pas parce que c’est mon frère qui est parti que je le dis. Un griot, feu Mamadou Lamine Sissoko n°2, a dit de lui que si tous les hommes sur terre savaient la date de naissance de Me Gakou, ils allaient battre leurs femmes enceintes pour qu’elles accouchent à cette même date pour avoir des enfants comme lui. Il l’avait surnommé le maître des maîtres.
Je n’ai pas de la peine, mais je suis morte à l’intérieur parce que je ne sais pas comment je vais passer le reste de ma vie en me disant que je ne verrai plus mon frère, que je ne lui parlerai plus. C’est terrible parce que pour un oui et pour un non, il trouvait un prétexte pour m’appeler. Sans compter les maisons qu’il nous a offertes et tout ce qu’il a fait pour nous. C’est sa bonté d’âme qui était importante pour nous. Tous les dimanches, il partait dans un restaurant pour acheter le meilleur plat et le plus cher.
Notre maman est très pieuse, mais elle dit qu’elle pensait que c’est son fils qui allait l’enterrer, mais que c’est elle qui enterre son fils. Elle dit que, cette fois-ci, Dieu ne lui a pas demandé, il l’a trahie et pourtant moi elle l’aime beaucoup, mais il lui a pris ce qu’elle a de plus précieux. Papi disait que notre maman est une princesse. Chaque dimanche, il remplissait le coffre de son véhicule et l’amenait. Il amenait tout ce dont une personne peut avoir besoin en termes de provision, sans compter ses visites quotidiennes. On aurait dû nous inquiéter, c’est terrible. Avant d’entrer dans le coma, j’étais à côté de lui à la clinique. Même étant malade, il n’arrêtait pas de me taquiner. Comme il aimait bien la courgette, j’en ai acheté avec les brocolis et du poivron rouge, je me disais que ce sont des choses qui sont bien pour lui et je les ai apportées à la clinique. Après avoir mangé, je lui ai nettoyé le visage et il m’a dit : Merci Maraka mousso et puis on a rigolé. Le lendemain, je reviens, je ne sais pas ce qui s’est passé réellement, mais j’estime qu’il y a une erreur médicale parce qu’ils l’ont pris et l’ont fait marcher jusqu’à la porte pour l’amener à la voiture afin d’aller faire un scanner, au lieu de le mettre dans une chaise roulante. Ils l’ont conduit dans un autre hôpital, loin, et je crois que c’est ce qu’il n’a pas supporté parce que, le lendemain quand je suis venue, je l’ai trouvé endormi et je l’ai réveillé en vain. Ils m’ont dit que c’est parce qu’il était fatigué, qu’on lui avait donné des somnifères. Je suis restée jusqu’aux environs de 22h, alors que les visites prennent fin à 21h.
Mes neveux et mes nièces sont restés et après ils l’ont amené à la réanimation à l’hôpital Gabriel Touré parce que son état s’était dégradé. Les médecins n’ont pas voulu nous laisser le voir, mais ils nous donnaient beaucoup d’espoir. En réalité, depuis qu’on m’a annoncé qu’on l’a amené à la réanimation, j’ai dit que c’était fini, Papi on allait le perdre. Il est resté là-bas deux jours. J’étais couchée le dimanche matin et j’ai eu un gros sursaut. J’ai sauté de mon lit et j’ai pleuré parce que c’est comme si quelqu’un avait pris un gros couteau et l’a planté dans mon cœur. J’ai mis ma main sur mon cœur et j’ai continué à pleurer. Entretemps, j’ai appelé à l’hôpital pour savoir ce qui s’y passait et là ma belle-sœur me demanda de venir vite, que la maladie de Papi n’a pas marché. J’ai dit ok, Dieu a fait son travail je le remercie. On m’a raconté que c’est là que j’ai poussé un grand cri et je me suis évanouie. On m’a amenée dans une clinique pour des soins et quand je me suis réveillée, j’ai réalisé qu’on m’avait annoncé le décès de mon frère. Les médecins m’ont demandé si j’allais mieux, je les ai suppliés de me faire une injection pour que je ne me réveille plus jamais, même s’il fallait que je signe un document.
Je suis musulmane, je suis croyante, je suis pieuse, je remercie Dieu parce que c’est lui qui a donné et il a repris. Mais jusqu’ici, mon inquiétude, ma hantise, c’est comment je vais passer le reste de ma vie sans voir mon frère, sans lui parler. Quand Papi se réveille le matin, il m’envoie les anciennes musiques et je lui dis : Toi là, j’en ai marre de tes vieilleries de musique, envoie-moi plutôt de l’argent. Il dit : Ne t’en fais pas, je vais t’en envoyer. Le reste de vie ne suffira pas pour dire tout ce qu’il a fait, c’est immense.
Le jour de son enterrement, il était étendu dans la chambre de feu notre père à Banamba. Je suis entrée, je lui ai beaucoup parlé, fait des bénédictions, mais il ne m’a pas répondu. C’est là que j’ai réalisé que je l’ai perdu pour de bon. Je remercie ma mère pour son courage et sa bravoure de voir son fils partir. Je remercie tous les membres de notre famille, tous ceux qui ont compati à notre douleur. Je remercie toute la population de Banamba. Papi repose désormais à côté de feu notre père à Banamba. Que Dieu les reçoive dans son Paradis éternel !
Je voudrais également remercier toutes les personnes qui ont connu Papi et l’ont aimé et qui nous ont soutenu dans cette épreuve. Je remercie le directeur général de l’Ortm, Hassan Diombélé ; le directeur de la télévision, Sidiki Dembélé ; le directeur de l’Information, Ibrahim Traoré et Sory Ibrahim Kéïta pour le soutien, en ce moment d’atrocité. Je remercie aussi le journal Aujourd’hui-Mali. Durant toute sa vie, ABH a été un frère car il a permis à Me Gakou de dire tout ce qu’il voulait dire. Merci à toi Marie, de savoir que j’avais besoin de parler de mon frère.
Priez pour moi pour que je puisse surmonter cette douleur inqualifiable.
Je remercie le Barreau malien et l’Ordre des avocats pour l’hommage rendu à mon frère. Entretien réalisé par
Marie Dembélé
ADJA FATOU THIAM, LA MAMAN DE ME GAKOU :
“Papi est un enfant béni. Je préférais être morte à sa place.”
Je remercie Papi pour tout le bien qu’il m’a fait. Un jour, il m’a montré une parcelle et m’a demandé de lui faire des bénédictions afin de pouvoir la construire pour moi. Je lui ai dit que cela n’était pas un problème qu’il avait ma bénédiction. Lorsque je suis rentrée, il m’a envoyé quelqu’un pour m’annoncer que j’irai à la Mecque et à mon retour de ce pèlerinage, il m’a remis les clés de la maison du terrain vide qu’il m’avait montré avant mon départ. J’ai ri et j’ai dansé et je lui ai fait des bénédictions. Je ne peux pas dire tout ce qu’il a fait pour moi. Moi, j’ai arrêté de boire l’eau du robinet il y a des années car il m’envoie trois cartons d’eau minérale chaque semaine. Je suis sénégalaise, mais ce sont les occidentaux qui ont envoyé mon père au Mali pour être le directeur d’une entreprise de production de papiers, cahiers, journaux, etc…Mon père, feu Mamadou Thiam, est ami de Achcar.
Papi est un enfant béni, je préférais être morte à sa place. Il m’a envoyée trois fois à la Mecque et il m’avait promis qu’on ira ensemble pour ma quatrième fois et Dieu en a décidé autrement “.
Bandjougou Gakou, l’aîné de la famille :
“Dès son jeune âge, Me Gakou a juré d’être avocat parce qu’il a vu Maître Demba Diallo plaider à Banamba”
Maître Mamadou Gakou a grandi dans mes bras. J’ai assuré son encadrement bien avant son instruction à l’école primaire de Banamba où il a sauté des classes parce qu’arrivé à l’école, il savait déjà écrire et lire. Ce qui lui a permis d’avancer très vite. Dès son jeune âge, il a juré d’être avocat parce qu’il a vu Maître Demba Diallo plaider à Banamba. Il a assisté à une scène qu’il a trouvée extraordinaire, un monsieur qui gesticule, qui crie sur le commandant de cercle à l’occasion d’une séance de plaidoirie. Il a grandi avec les bénédictions de la famille pour être un avocat.
Après son lycée, il s’est retrouvé au Besançon où je lui ai rendu visite pour voir si tout se passait bien pour lui. Ensuite, il s’est retrouvé à Toulouse, j’ai fait la même chose. Lorsqu’il est revenu au Mali, je l’ai pris par la main et je l’ai conduit chez Me Demba Diallo et j’ai dit à ce dernier que je t’ai apporté ton petit frère. Il dit qu’il est chez lui. C’est ainsi que j’ai dit à Papa qu’il a voulu être avocat et que le voici dans la cour des grands. Le peu qu’il a gagné dans ses premières avocatures, il a envoyé mes marâtres à la Mecque ainsi que sa maman, donc c’est quelqu’un qui a la bénédiction de toute la famille. C’est son vœu qui a été comblé parce qu’il a voulu être avocat, il l’a été et enfin il a voulu reposer auprès de son père et c’est le cas.
Mme Thiam Aïssata Fofana :
“Je ne peux rien dire de plus que de lui souhaiter le repos éternel dans le Paradis”
Je suis la tante de Mamadou Gackou, la femme à son oncle. On s’est connu il y a bien longtemps, depuis le lycée. On faisait la même classe, mais lui, il était au lycée Askia Mohamed et moi au lycée Prosper Camara. Notre professeur de philosophie, qui était un Italien, nous a donné une fois un devoir à domicile, mais j’avais la paresse de traiter le devoir et je l’ai donné à Me Gakou pour qu’il le traite pour moi. Le Professeur a donné les feuilles de tout le monde et en dernier lieu, il m’a appelé et m’a dit que ce n’était pas moi qui avais fait ce devoir, tellement que c’était bien traité. J’ai eu honte et je lui ai menti en disant que c’est mon oncle qui l’a traité. Je ne peux rien dire de plus que de lui souhaiter le repos éternel dans le paradis”.
Coumba Thiam :
“Avec Me Gakou, j’avais mon mouton à chaque fête de ramadan et de Tabaski”
Nous avons grandi ensemble. Nous étions très proches, mais il m’a beaucoup aimée et respectée, pas seulement comme une tante, mais comme une maman. Nous partons ensemble dans les restaurants, il était charitable et généreux. Quand il a commencé à travailler, j’avais mon mouton à chaque fête de ramadan et de Tabaski. On ne s’attendait pas à sa mort maintenant. C’est une mort subite, mais c’est la volonté de Dieu”.
Mamadou Kanté :
“Tout ce que j’ai pu réaliser dans ma vie, c’est grâce à Me Gakou”
Mamadou Gakou était un demi-frère, il est le premier fils de notre maman. Nous sommes profondément touchés par sa perte, mais ce que le Bon Dieu fait est bon. Nous ne pouvons que prier pour le repos de son âme. Il a été plus qu’un grand frère, il a joué un rôle de père pour nous en nous éduquant, en faisant tout son possible pour notre bien-être. Il a toujours été un exemple pour nous. Moi-même je ne suis pas au Mali, je suis là pour les vacances et voilà qu’il est parti devant moi. Tout ce que j’ai pu réaliser dans ma vie, c’est grâce à mon frère, il m’a beaucoup aidé et conseillé et j’espère pouvoir être à la hauteur de ses souhaits”.
Monsieur Traoré, contrôleur général de police à la retraite :
“J’ai perdu un ami, mais le Mali a perdu un grand cadre, un avocat”
J’avais des liens d’amitié avec Me Gakou. C’est quelqu’un avec qui j’ai collaboré, il y a plus de 30 ans. Il n’y avait que la confiance, la sympathie, la gentillesse venant de lui. Efficace, compétent, très intelligent et parmi les avocats il a fait ses preuves. Le dossier de Moussa Traoré n’a pas été le seul qu’il a défendu avec brio. J’ai quitté chez lui il n’y a même pas deux mois et nous avons beaucoup causé ce jour et quand j’ai appris qu’il était malade, j’ai couru à l’hôpital à la réanimation, mais je n’ai pas eu la chance de le voir. C’est un vrai choc, j’ai perdu un ami, mais le Mali a perdu un grand cadre, un avocat”.
Aliou Kanté : “Me Gakou fut un grand soutien pour moi”
J’ai été le collaborateur le plus proche de Maître Gakou parce que nous avons ouvert un cabinet ensemble. Je ne peux que regretter sa mort parce qu’il fut un grand soutien pour moi, pour tout le parcours de ma vie. J’ai immigré aux Etats-Unis et étant là-bas on était tout le temps en contact. Il y avait vraiment des liens francs entre nous. Il fut un homme exceptionnel”.
Source: Aujourd’hui-Mali