s par Soumaïla Cissé et ses camarades du groupe Vigilance républicaine et démocratique (Vrd) révèle que le président Ibrahim Boubacar Kéïta a désormais à qui parler. A commencer par le chef de file, Soumaïla lui-même : « la relance de l’économie tarde à venir, les investisseurs ne sont pas en confiance ». Puis, le deuxième homme fort de l’opposition, Tiébilé Dramé : « il y a un manque de lignes directrices dans la gestion de la crise du Nord ». Enfin, le troisième larron, Modibo Sidibé : « Nous attendons des membres du gouvernement le respect de l’opposition ». Les présidents de l’Urd, du Parena et des Fare Anka wuli, conformément à leur choix politique et idéologique, ont aujourd’hui leur mot à dire sur toutes les questions qui touchent à la nation ». En témoignent les derniers développements de l’actualité nationale qui voient l’opposition se renforcer et les pratiques peu orthodoxes du régime dénoncées, avec des échos à l’échelle mondiale. IBK voit venir l’orage de toutes parts.
Le 8 février dernier, le président de l’Urd et du groupe Vrd faisait devant les élus de la nation une mise en garde qui ne semble pas avoir été comprise par le chef de l’Etat et son parti, le Rpm. « Notre pays, le Mali, n’a pas le droit à l’erreur dans sa gouvernance, n’a pas le droit à la suspicion envers ses institutions, n’a pas le droit à l’indécision dans sa reconstruction, n’a pas le droit à l’hésitation dans sa réhabilitation internationale », déclarait Soumaïla Cissé. Le chef de file de l’opposition entrait encore plus en détail :« L’heure, ni les enjeux ne sont à la distribution d’honneurs, de privilèges, de petits arrangements, de vaines discussions ou d’interminables tergiversations. L’heure et les enjeux sont à l’identification des urgences, au débat positif d’idées, à la recherche concrète de solutions, à l’action et l’investissement prioritaires ».
L’exemple du Chef
Aujourd’hui, le constat est amer et, surtout, regrettable pour le peuple malien. Les craintes de l’honorable Soumaïla Cissé sont érigées en règle de gestion du pouvoir. Le pays a sombré dans l’erreur en matière de gouvernance et y persiste. Les chantiers de la reconstruction, de la réconciliation, de la réhabilitation internationale et de la reconquête de l’intégrité du territoire national sont bloqués.
Soumaïla Cissé a promis au peuple malien que son groupe parlementaire entend pleinement, sereinement et loyalement exercer son mandat de sentinelle vigilante, tenir son rôle de force de propositions et agir dans le respect des règles d’un État de droit.
C’est pourquoi, chaque fois qu’il y a eu une dérive d’IBK, sur un problème d’intérêt national, le leader de l’opposition est monté au créneau, comme tout bon chef, pour montrer le chemin à suivre au président Ibrahim Boubacar Keïta. Il y a deux mois, il jugeait le bilan des six mois d’IBK d’extrêmement mitigé. Car, selon, les Maliens attendaient du président qu’il s’attaque au problème de la sécurité, qu’il règle la question de Kidal. Or, regrette-t-il (encore plus aujourd’hui ?), on assiste à une recrudescence de l’insécurité dans le Nord, à Gao, à Tombouctou. « Sa feuille de route pour négocier avec les groupes armés n’est pas suffisamment claire. En outre, la relance de l’économie tarde à venir, les investisseurs ne sont pas en confiance. Le président a effectué beaucoup de déplacements à l’extérieur dont nous attendons les retombées. En définitive, je qualifierais ces six premiers mois de besogneux. Le président semble avoir du mal à dégager des priorités », avait confié dans les médias Soumaïla Cissé. Pour qui, la situation économique, sociale et sécuritaire du pays reste toujours préoccupante.
Concernant les putschistes de Kati et l’affaire de la disparition des bérets rouges, le chef de l’opposition s’était félicité que la justice soit saisie et souhaité qu’il faille aller jusqu’au bout des enquêtes judiciaires. Car, « sans justice, on ne pourra pas réussir la réconciliation, ni consolider la paix ».
Soumaïla avait aussi dénoncé le poids de la famille présidentielle dans les hautes sphères de l’Etat. Lui, président, l’aurait évité. Tout comme il a dénoncé l’appartenance de députés de la majorité à des groupes rebelles armés. « Au prétexte de la réconciliation, on absout des gens qui se sont compromis avec les jihadistes. Ils ont fait l’objet de mandats d’arrêts internationaux, que le gouvernement a levé, et ensuite ils se sont retrouvés à l’Assemblée Nationale sous les couleurs du parti au pouvoir. On ne leur demande aucun compte. C’est l’impunité la plus totale », a-t-il condamné. Bref, le chef de file de l’opposition a toujours donné le ton au sein d’une opposition républicaine, mais jusque là muselée si l’on sait qu’elle n’a jamais été consultée, encore moins associée à un quelconque événement de portée nationale. Mais, Soumaïla Cissé dit avoir bon espoir que les choses évoluent quand un statut sera reconnu à l’opposition, comme le président lui-même l’a souhaité.
Le Mali dans l’impasse sous IBK
Le président du Parena, l’autre grand parti de l’opposition, Tiébilé Dramé, vient de prendre le relais des jugements de la gestion d’IBK. Le parti du Bélier blanc a carrément produit un document intitulé : «IBK, sept mois après : le Mali dans l’impasse ». Et dans lequel il étale sur la place publique toutes les dérives totalitaires du régime actuel. De la situation économique et financière à la menace de l’unité nationale, en passant par la cherté de la vie, le panier de la ménagère; la nouvelle gouvernance et les atteintes à la morale publique; la question du nord, la panne du processus politique; tout y passe avec des exemples concrets et des preuves irréfutables.
Mais tout d’abord, Tiébilé Dramé révèle comment, faute d’un programme connu, le président de la République avait frappé les esprits par des slogans simples (creux), mais parlants tels que : « Le Mali d’abord! », « Pour l’honneur du Mali, le bonheur des Maliens!», « la dignité du peuple!». Soit. Avec une légitimité de près de 78% des électeurs maliens et un passé politique et professionnel impressionnant, IBK disposait apparemment, pensait Dramé, d’atouts non négligeables pour conduire la sortie de crise et créer les conditions de la renaissance de la Nation malienne par l’occupation, l’effondrement de l’armée et de l’Etat à la suite de la rébellion du MNLA et du coup d’Etat du 22 mars 2012. Faux jugement. Car,« plus de sept mois après son entrée en fonction, le peuple malien vit une immense déception proportionnelle à l’étendue de l’espoir suscité par l’élection du Président IBK. De nombreuses difficultés l’assaillent au quotidien. Une dérive népotiste sans précédent a vu le jour dès les premiers jours du quinquennat. Les injustices se multiplient et l’horizon est loin de se dégager au Nord », regrette le président du Parena.
Tiébilé Dramé alerte le peuple malien sur le nouveau type de gouvernance qui est en train de gâcher les chances de redressement de notre pays. Cette nouvelle gouvernance a montré ses limites et risque de conduire le pays tout entier dans une impasse irrémédiable et dangereuse.
Exemples concrets. Tout d’abord, le président de la République a inauguré le quinquennat en dérogeant à son obligation constitutionnelle de déclaration publique de ses biens, note le Parena.
Ensuite, la caractéristique principale du nouveau quinquennat a été l’irruption de la famille dans les affaires de l’Etat. « A la présidence de la République (y compris à l’Etat-major particulier), au Gouvernement et à l’Assemblée Nationale, ce sont des pans entiers de la puissance publique qui ont été confiés aux membres du clan présidentiel. Les secteurs stratégiques de l’Economie et de l’Education Nationale sont pilotés par des membres de la famille présidentielle par ministres interposés », constate Tiébilé Dramé.
Le président du Parena enfonce le clou en dénonçant l’éclosion d’affaires de toute nature qui ébranlent la confiance des Maliens en leur pays et en ses institutions. Des contrats relatifs à des marchés de plusieurs dizaines de milliards de francs CFA sont signés en toute opacité avec des soupçons d’enrichissement personnel.
Le contrat de 108 milliards de FCFA entre GUO-STAR SARL et le ministère de la Défense (un Conseiller Spécial du président de la République et le Ministre de la Défense sont les signataires initiaux du contrat) ; la rénovation du Palais de Koulouba (de 2 milliards pendant la Transition, les travaux de rénovation du Palais présidentiel sont aujourd’hui portés à 10 milliards et supervisés par un beau frère du chef de l’Etat) ; les travaux à la résidence privée du Chef de l’Etat (Qui finance ces travaux ?) ; l’acquisition d’un nouvel avion présidentiel (un Boeing 737-700 dont le coût serait de 17 milliards de FCFA) ; l’affaire ZTE (un marché de 26 milliards de FCFA portant sur un projet relatif à un « réseau national de sécurité » de communication, soumis aux gouvernements précédents, et qui a été exhumé ces derniers temps dans des conditions de transparence qui laissent à désirer) ; les relations avec des hommes d’affaires étrangers (le prix négocié d’une suite présidentielle au Royal Monceau est de 12 millions de francs CFA, la nuitée) et la délivrance de passeports diplomatiques maliens aux mêmes hommes d’affaires ; sont autant de scandales relevés par le Parena et qui éclaboussent la République. « Les nouvelles autorités fonctionnent en vase clos, en toute opacité, comme si elles avaient acheté les Maliens et leurs votes », s’indigne le responsable de l’opposition.
Que pense Tiébilé Dramé de la gestion de la crise du nord ? Réponse : « Il se trouve que depuis sept mois, nous assistons à des déclarations contradictoires sur la question du Nord. Un jour, « nous ne négocierons pas avec les groupes armés », un autre jour, « on nous oblige à négocier avec des hommes qui ont pris des armes contre leur pays ». Et plus récemment, nous disons que nous sommes prêts à négocier et sept mois durant, nous n’avons vu que des déclarations qui se contredisent. Nous ne voulons presque plus de la médiation de la Cédéao. Nous voulons la facilitation de l’Algérie. Nous accueillons favorablement les bons offices du Maroc. Manifestement, il y a un manque de lignes directrices dans la gestion de la crise du Nord. C’est la question la plus grave du pays. Elle a besoin d’une stratégie clairement conçue et mise en œuvre avec la fermeté nécessaire. Nous donnons l’impression de traîner les pieds. Ce n’est pas acceptable ».
Par rapport à la difficile situation économique et financière, à la vie chère et à l’angoisse des ménages, Dramé parle sans langue de bois : « La vie est dure pour les Maliens…Les ménages tirent le diable par la queue. Les Maliens souffrent. Les prix de certains produits de première nécessité augmentent. Les activités économiques sont au ralenti. L’argent ne circule pas. Les marchandises ne se vendent pas. Sur tous les marchés du pays, la situation est morose. Les opérateurs économiques et les entreprises sont étouffés par une dette intérieure de plus en plus préoccupante (plus de 110 milliards de francs CFA) ».
Conclusion du Parena : Sept mois après l’investiture d’IBK, le pays est bloqué. Alors, le Parena propose : l’instauration d’une gouvernance moderne et prévisible ; le desserrement de l’étau de la famille sur l’Etat ; la relance du processus politique de récupération de Kidal ; l’adoption de mesures pour soulager les ménages ; la relance de l’économie nationale ; l’annulation de l’achat du nouvel avion présidentiel ; le respect de l’obligation de transparence faite au président de la République de s’expliquer devant le peuple sur ses relations avec les hommes d’affaires étrangers et sur les dépenses de prestige.
Le Parena lance un vibrant à tous pour stopper la dérive actuelle et remettre le Mali sur les rails.
Bienvenue au charbon
Cette bombe du Parena qui a secoué Koulouba et soufflé le hangar des tisserands intervient au moment où l’opposition accueille en son sein un nouvel adhérant et pas des moindres : les Fare Anka-Wuli, Modibo Sidibé. Avec cet autre mastodonte de la vie politique malienne, IBK ne dormira sans doute plus que d’un œil.
Mercredi 16 avril dernier, au terme de sa visite de courtoisie au chef de file de l’opposition, Soumaïla Cissé, au siège de l’Urd, Modibo Sidibé a donné le ton de ce à quoi peuvent ressembler ses déclarations et prises de position dans les jours à venir : « Je suis un social démocrate. Nous avons choisi d’être dans l’opposition républicaine et démocratique. C’est notre choix politique et idéologique afin que la pratique de l’opposition devienne naturelle parce que c’est indispensable». Cependant, pour lui, il ne s’agit pas pour l’opposition de paralyser la majorité gratuitement. Mais, poursuit-il, « il y a un minimum de choses qu’il faut faire et qu’on peut faire sur la base des règles républicaines et démocratiques. Nous attendons des membres du gouvernement le respect de l’opposition ».
Là, la conviction de Modibo cadre parfaitement avec l’image de l’opposition peinte par Soumaïla Cissé : « Il faut que l’opposition puisse se mouvoir dans ce pays. Son statut doit être reconnu par le gouvernement, ses droits et ses devoirs doivent être mis en avant. Et elle doit être confortée et acceptée dans le choix démocratique que le peuple malien a fait ».
Pour le bonheur du Mali, l’opposition parlementaire constitue une alternative à ce qui se passe aujourd’hui. Au président Ibrahim Boubacar Kéïta de le comprendre ainsi et de se le prendre pour dit.
Sékou Tamboura