Crime organisé : réponse ouest-africaine au trafic (OCWAR-T) a publié un rapport intitulé : «Trafic de main d’œuvre dans l’EMAPE : Étude des risques dans les sites d’orpaillage saharo-sahéliens». Ce rapport accable les groupes armés signataires de l’Accord pour la paix et la réconciliation ainsi que les groupes extrémistes violents qui tirent profit d’importantes sources de revenus provenant de l’or.
Coordonnée par Giz, l’initiative Crime organisé : réponse ouest-africaine au trafic (OCWAR-T) est mise en œuvre par l’Institut d’études de sécurité (ISS) et l’Initiative mondiale contre la criminalité transnationale organisée. Le rapport «Trafic de main d’œuvre dans l’Emape (Extraction minière artisanale et à petite échelle de l’or) : Étude des risques dans les sites d’orpaillage saharo-sahéliens » est l’œuvre de Mme Alice Fereday, analyste principale à l’Initiative mondiale contre la criminalité transnationale organisée.
Ce document de recherche disponible en ligne évalue les risques d’exploitation et de trafic de main d’œuvre dans les zones aurifères du nord du Niger et du Mali. «Il examine les modalités de recrutement et d’emploi, les risques que ceux-ci représentent pour les travailleurs et les facteurs structurels qui contribuent à la vulnérabilité des orpailleurs. Il recense également les principales possibilités qui s’offrent aux décideurs politiques de gérer ces risques tout en reconnaissant le rôle crucial de l’extraction de l’or comme moyen de subsistance et facteur de stabilité des populations locales», souligne son auteure.
Les recherches se sont déroulées de juillet à septembre 2022 sur les sites à Tchibarakaten et à Djado au Niger et N’Tahaka et N’Abaw au Mali. Pour des raisons de sécurité et d’accès, explique l’auteure du Rapport, le travail sur le terrain a été mené par des chercheurs locaux originaires des régions étudiées. «Les entretiens dans les zones d’orpaillage ont ciblé des orpailleurs, des patrons, des détenteurs de permis, des commerçants, des passeurs, des acteurs coutumiers, des militaires et des acteurs sécuritaires, des autorités locales et des acteurs de la société civile», clarifie Mme Alice Fereday. Au Mali, précise-t-elle, l’accès au site d’orpaillage était difficile pour des raisons sécuritaires. Ce qui a empêché l’équipe de recherche d’accéder aux sites dans la région de Kidal.
Présence limitée des pouvoirs publics, «taxation» lucrative des groupes armés
Selon elle, à la différence du Niger où la présence de l’Etat sur les sites d’orpaillage varie d’une zone à une autre, l’administration malienne est totalement absente. Au Mali, sur les sites étudiés, observe Mme Alice Fereday, ce sont les groupes armés qui profitent de la taxation. «Alors que la découverte de gisements aurifères a généré des opportunités économiques importantes, elle a également engendré d’importants défis d’ordre sécuritaire dans certaines régions désertiques périphériques, qui ont historiquement échappé au contrôle des forces de l’ordre. Les pouvoirs publics ont une présence limitée dans ces zones complexes et manquent de ressources humaines et techniques pour superviser cette activité informelle en plein essor. En outre, les autorités nationales manquent généralement de volonté politique pour réglementer efficacement l’orpaillage au-delà des stratégies clientélistes qui bénéficient aux élites locales ».
Selon le rapport, les zones d’orpaillage des régions de Kidal et de Gao ont été immédiatement prises pour cible par des groupes armés qui utilisent un mode potentiel de «taxation» lucratif. « Les groupes armés signataires tout comme les groupes extrémistes violents ont ainsi tiré profit de ces importantes sources de revenus. Les sites d’orpaillage dans le nord du Mali sont également un lieu de recrutement potentiel pour les groupes extrémistes violents. Lorsque l’orpaillage requiert l’usage d’explosifs, les sites miniers peuvent également servir de base d’approvisionnement pour les groupes armés et de formation à leur utilisation », rapporte le document.
Les recherches, selon Mme Alice Fereday, sont concernés deux sites d’orpaillage au Mali à savoir N’Tahaka et N’Abaw dans la région de Gao. Selon le rapport, N’Tahaka, situé à 90 kilomètres à l’ouest de la ville de Gao est la plus grande zone aurifère de la région. Ce site s’étend sur sept ou huit kilomètres avec des exploitations artisanales et semi-mécanisées. «Les estimations du nombre d’orpailleurs à N’Tahaka varient, mais plusieurs personnes interrogées estiment qu’en fin 2022 au moins 10 000 orpailleurs y travaillaient, en particulier des communautés de la région du Liptako Gourma (des Maliens, des Burkinabé et des Nigériens), mais aussi des travailleurs migrants originaires du Soudan, du Nigéria, du Tchad, du Libéria, du Ghana, de la Mauritanie, du Sénégal, de la Guinée, du Togo et d’Algérie».
Il ressort du rapport que «la zone d’orpaillage est contrôlée par des groupes armés maliens signataires qui, en 2021, ont formé une coalition dénommée Cadre stratégique permanent pour la paix, la sécurité et le développement (Csp), réunissant la Coordination des mouvements de l’Azawad (Cma) et la Plateforme». Le Csp, précise le rapport, tire des revenus importants au-delà du contrôle de l’orpaillage. «Les orpailleurs ne sont généralement autorisés à vendre de l’or qu’à des taux fixés par les membres du Csp, et ce dernier bénéficie par ailleurs de la taxation des entrées et sorties des véhicules de la zone, ainsi que du contrôle des marchés auxiliaires, tels que le carburant, l’eau, la nourriture et l’équipement».
Conditions injustes et abusives imposées aux travailleurs
Le Csp justifie dans le rapport son action de sécurisation des sites par la défense du bien-être des communautés locales. Certains orpailleurs interrogés par les enquêteurs d’OCWAR-T jugent minimes. « Malgré la présence de groupes armés du Csp, les menaces sécuritaires demeurent répandues sur les sites d’orpaillage. Les groupes armés sont également impliqués dans les économies illicites et le crime organisé dans le la zone d’orpaillage». «Les activités illicites sont nombreuses et je pense que rien n’est licite ici sauf le repas que nous mangeons. Il y a des assassinats ciblés, des braquages, des vols à main armée, la vente et le trafic d’armes, le trafic d’or, et il y’a aussi le passage et la vente de drogue sur le site sauf lorsque les djihadistes sont sur le site », avoue un orpailleur interrogé par les enquêteurs.
Il est aussi évoqué des actes de prédation perpétrés par les groupes armés du Csp qui facilitent l’exploitation humaine. Selon un orpailleur cité par le rapport, les membres du Csp impliqués dans l’orpaillage abusent de leur position dominante pour imposer des conditions injustes et abusives aux travailleurs. Il est difficile de réunir les preuves de ce genre de pratiques, rapporte le document. Malgré de nombreux exemples d’abus, les orpailleurs ne sont pas prêts à dénoncer les conditions imposées par les membres du Csp par crainte de représailles. «Car c’est eux qui contrôlent la zone de bout en bout. Personne n’ose les critiquer car si tu le fais tu vas te retrouver sous la tombe dès le lendemain», déclare un orpailleur.
Selon le rapport, le site d’orpaillage à N’Abaw, proche de la frontière burkinabé, à 175 kilomètres au sud-ouest de Gao est entièrement contrôlé par le Jnim. «N’Abaw est une zone plus petite que N’Tahaka, d’une superficie d’environ quatre kilomètres carrés et rassemblant environ 2 000 orpailleurs. Le Jnim autoriserait les activités d’orpaillage à condition que les règles et pratiques religieuses soient respectées. Les dirigeants de ce groupe ne prélèveraient pas systématiquement la zakat (taxe religieuse) à N’Abaw, mais exigeraient qu’elle soit payée pour tout montant supérieur à 1 million de FCFA », précise-t-il. Le document mentionne que la sécurité des orpailleurs sur ce site est assurée par les combattants du Jnim qui intervient en cas de différends ou de conflits.
Etats appelés à formaliser l’orpaillage artisanal
Le rapport met aussi en évidence l’impact dévastateur des produits chimiques utilisés dans le traitement de l’or sur le bétail et la destruction partielle des zones de pâturage par les activités d’orpaillage. À N’Tahaka, les éleveurs ont été privés d’une superficie de plus de 10 kilomètres carrés avec le développement de l’orpaillage.
A l’en croire l’auteure, la majorité des activités n’est pas taxée à cause du caractère informel du secteur miné par le trafic des manœuvres et l’exploitation des orpailleurs.
Le rapport appelle les Etats à formaliser l’orpaillage artisanal qui représente des opportunités pour les gouvernements. «Les effets négatifs des mesures de répression de l’orpaillage, aggravés par le développement continu des économies illicites et du crime organisé dans les zones aurifères, ont soulevé des suggestions que les États devraient formaliser l’orpaillage artisanal plutôt que de le criminaliser. Outre les bienfaits de l’orpaillage jouant le rôle d’une «éponge» économique offrant des moyens de subsistance aux communautés et une alternative aux activités illicites ou aux groupes armés pour les personnes vulnérables au recrutement, la formalisation et la réglementation de l’orpaillage artisanal pourraient représenter des opportunités pour les gouvernements eux-mêmes. Il s’agit notamment d’opportunités en termes de revenus, tels que la taxation, et de points d’entrée pour renforcer la présence et la légitimité de l’État dans des zones autrement isolées. La formalisation pourrait également représenter une étape clé dans la lutte contre les risques liés à la traite des personnes dans l’orpaillage ».
Chiaka Doumbia
Le Challenger