Le voile se lève de jour en jour sur le mythe qu’a entouré l’opération militaire française au Mali. Grace à l’extraordinaire ouvrage de Jean-Christophe Notin, les mots nous permettent désormais de camper le décor de « la guerre sans images ».
Ingénieur des Mines, Jean-Christophe Notin, avec à son actif, une douzaine d’ouvrages, s’est reconverti avec succès et talent dans l’écriture. Dans son dernier livre intitulé « La guerre de la France au Mali », il dévoile les confidences obtenues à travers 228 interviews, du sous-officier jusqu’à l’état-major particulier du président de la République, en passant par tous les niveaux de la hiérarchie militaire, sans oublier les divers services de renseignement et le Quai d’Orsay. Bref, ils se sont tous livrés à cœur ouvert.
Un premier fait marquant : il n’a jamais été prouvé la déferlante de colonnes de djihadistes sur la capitale malienne. Hors ce prétexte a été le principal argument fourni par les autorités françaises pour justifier leur décision d’intervenir au Mali.
«Ce n’est pas sur la foi de preuves concrètes, mais sur un faisceau de présomptions que la France a déclenché l’opération» Serval. «Pas plus que les avions de reconnaissance, aucun satellite français comme américain n’a jamais pris de mouvement massif [de djihadistes – ndlr] en flagrant délit. Jamais un conseiller n’a déposé sur la table les clichés fatidiques». Par ailleurs «ni la DRM (Direction du renseignement militaire), ni la DGSE (Direction générale de sécurité extérieure) n’ont trace d’écoutes de l’un des chefs djihadistes, annonçant sa volonté d’aller prier le lendemain à la mosquée de Mopti»
C’est donc sur ces bases subjectives que le 11 janvier 2013, François Hollande déclare la guerre, en donnant une liberté d’action jamais vue de mémoire de militaires français. Lors du Conseil de défense qui se tient ce matin-là à l’Elysée, le chef de l’Etat déclare que dans la zone où se trouvent les groupes armés, « vous avez tir libre et j’assume » (Tir libre, selon Jean-Christophe Notin, c’est la possibilité pour les militaires français d’ouvrir le feu dès qu’ils ont repérés un véhicule suspect).
Autre révélation importante, on apprend dans l’ouvrage que les services secrets français étaient présents au Sahel depuis 2003, à la fois pour les otages mais aussi pour mener des opérations anti-terroristes. A partir de 2012, la montée en puissance des groupes armés est telle la DGSE en vient à considérer que « le Mali est désormais hors de son contrôle ».
Jean-Christophe Notin nous rapporte, dans un subtil langage, quelques anecdotes sur Serval
Ainsi avons-nous découvert que les Américains ont perdu un drone Predator le 9 avril vers Tigharghar et que l’armée française a dû monter un raid héliporté pour aller détruire les restes de l’appareil, afin qu’il ne tombe pas dans de mauvaises mains. Ou que certaines unités ont dû utiliser des cartes de 1954 par absence de mise à jour malgré la longue présence des services secrets français dans le Sahel.
Encore plus surprenant, les militaires français sont tombés sur des combattants djihadistes totalement sous l’emprise de la drogue. Ne disposant plus de ses facultés mentales, «l’un d’eux est aperçu s’asseyant paisiblement en tailleur, en pleine mitraille, la Kalachnikov entre les jambes…» alors que la bataille battait son plein.
Lors d’une interview à propos de son livre, interrogé sur ce qui l’a le plus étonné dans ses découvertes sur Serval, Jean-Christophe Notin répond :
« La réactivité du COS m’a sidéré : en quelques heures seulement, des opérations peuvent être décidées à Paris, montées à Ouagadougou, exécutées au Mali, le tout dans une synergie inédite avec la DGSE. L’endurance des soldats français a également été remarquable. Ils ont dormi par terre pendant plusieurs semaines avec le strict nécessaire pour boire et manger. Ils ont crapahuté et se sont battus avec des températures épouvantables. Il fallait être jeune… Les combats dans les Adrars ont été également perturbants. Il fallait aller chercher l’ennemi dans les grottes, avec des combats à très courte distance… »
Selon Notin, la rapidité de la manœuvre française s’est payée au prix fort de la logistique
« Les Américains auraient bombardé pendant des semaines, le temps de tout casser en face (à condition d’avoir le renseignement dont disposaient les Français…) et de débarquer des divisions entières à Bamako. Mais les djihadistes en auraient profité pour fuir. La rapidité de la manœuvre française, qui n’a laissé aucun répit à l’adversaire, s’est payée au prix fort de la logistique. Ceux qui se sont retrouvés dans le nord du Mali, sans lit ni treillis de rechange ou dentifrice l’avaient un peu mauvaise. Mais c’était en réalité inhérent à la surprise quasi-totale qu’avait constituée la décision du président de la République d’intervenir le 11 janvier, alors que depuis des mois il garantissait que jamais un soldat français ne combattrait au sol au Mali. Tous les acteurs de la chaine logistique que j’ai rencontrés m’ont expliqué qu’ils pouvaient difficilement faire autrement : il leur fallait faire passer en priorité des munitions, du carburant et de l’eau. Or les moyens de transport français sont notoirement insuffisants … »