Les élections sénégalaises de 2019 bouillonnent tous les esprits. Elles sont sur toutes les lèvres. À moins d’une année, la bataille se fait de plus en plus rude. Hier, des arrestations dans le rang de l’opposition. Aujourd’hui, la nouvelle loi électorale est ce qui déchire les partis sénégalais voire la société civile. Le mercredi dernier, la situation a été alarmante. Des manifestations se sont multipliées pour protester contre celle-ci. Ces manifestations ont été soldées par de nombreuses arrestations. Pire, l’hémicycle était devenu un ring.
On a l’impression que les hommes politiques perdent de plus en plus conscience. Une fois au pouvoir, chacun ne voit que ses intérêts personnels. L’intérêt de la nation est ainsi sacrifié. Le peuple devient secondaire. Durant leur premier mandat, ils mettent des dispositifs en place leur permettant de briguer facilement un second mandat voire de s’éterniser au pouvoir. Dans la plupart des cas, cela passe par une révision constitutionnelle.
Jeudi 19 avril 2018, les tensions dans les rues ainsi que dans l’hémicycle dakarois étaient au summum. La nouvelle loi de l’Assemblée nationale sur le parrainage électoral bouillonne les esprits de l’opposition qui voit dans celle-ci une injustice. Elle cacherait en catimini un projet d’élimination de maints partis politiques aux élections présidentielles prochaines prévues pour 2019.
Cette révision jugée « antidémocratique », des manifestants ont pris les rues en assaut dans l’objectif d’empêcher le vote de cette loi par l’Assemblée. Plusieurs circulations ont été perturbées. Des pneus et des poubelles ont été brulés en pleine circulation. La manifestation a vite tourné en opposition entre forces de l’ordre et forces civiles. Ces derniers ont été victimes de jets de gaz lacrymogènes. Certains ont été faits prisonniers. Au rang de ceux-ci, on compte des partisans de l’opposition. À ce rang, nous avons le président du parti Rewmi, Idrissa Seck, Abdoul Mbaye, président de l’Alliance pour la citoyenneté et le travail, Malick Gakou, chef du Grand Parti ; Thierno Bocoum, président d’AGIR (Alliance générationnelle pour les intérêts de la République) ; Oumar Sarr, coordonnateur du Parti démocratique sénégalais ; et l’activiste Kilifeu, du mouvement citoyen Y en a marre.
Il faut noter que cette loi divisionniste a été votée par les députés de la majorité présidentielle. Ceux de l’opposition ayant refusé le vote de la loi avaient quitté la salle après avoir transformé l’hémicycle en ring. Certains ont dû se donner des coups de poing. Après une suspension temporaire du processus, les 120 députés de la majorité sur 165 parlementaires que compte l’hémicycle ont voté ladite loi.
Avec cette loi, l’acceptation de toute candidature reste tributaire à l’acquisition de 52 000 signatures dans la majorité des régions du pays auprès des électeurs. Cette loi, aux dires de la majorité présidentielle, est un moyen de réduire les dépenses liées à l’organisation des élections. D’après le ministre de la Justice, Ismaïla Madjor Fall, « Aucune démocratie n’organise une élection présidentielle sans filtrage. Quand on gouverne, on cherche à éviter ce qui bloque le système.» Il s’agit d’une mesure limitant la prolifération des partis politiques. Le Sénégal comptait déjà en 2016, 258 partis politiques.
Lors de sa visite à Paris le vendredi 20 avril au lendemain de la crise, le président sénégalais Macky Sall a souhaité s’exprimer face à la presse sur les tensions autour de cette loi électorale. Il a tenu à justifier le choix de cette réforme: « Il se trouve que l’on a eu 300 partis politiques aujourd’hui, et il y en a encore une vingtaine en dépôt, on pourrait aller à 500 voire 600.
Si l’on ne rationalise pas les candidatures, il arrivera un moment où nous serons bloqués dans l’élection. Imaginez l’élection présidentielle avec une cinquantaine de candidats. Le vote ne se passe pas bien. Le président finit son mandat, que se passera-t-il?
Un pays qui est dit stable, démocratique, va se retrouver en crise. Nous devons anticiper cela. Nous devons faire un filtre citoyen. Chaque citoyen est libre de parrainer. On avait dit 1% on a finalement baissé à 0,8%. »
Le président trouve les agitations qu’a été témoin le monde entier le jeudi dernier. « C’est normal que les gens qui ne sont pas d’accord ne soient pas contents, mais l’essentiel est que ce que l’on fait soit conforme à l’esprit démocratique», explique Macky Sall.
Par contre, l’opposition voit différemment cette loi. Elle porte atteinte à la diversité politique au Sénégal. À ce titre, il s’agit pour certains d’une technique pour éliminer les adversaires politiques du président au pouvoir qui voudrait coûte que coûte remporter ces élections. « Cette loi remet en cause des principes intangibles qui aujourd’hui fondent l’exercice d’une démocratie mûre. On ne peut pas mettre sur un même pied d’égalité les partis politiques et les indépendants », explique Madické Niang, président du groupe parlementaire Liberté et Démocratie.
La société civile s’est également prononcée en montrant toute son inquiétude et son doute quant à la sincérité de ses gouvernants dans ce processus qu’ils appellent ‘’rationalisation des candidatures’’. C’est dans cette optique que se situent ces propos de Fadel Barro, Porte-parole du collectif Y’en a marre : « Les signataires pour les parrainages doivent être répartis dans sept régions du Sénégal. Mais on dit que sept régions, c’est déjà saper la cohésion nationale parce qu’un candidat du sud peut s’affronter avec un candidat du nord.
On peut se retrouver dans des situations à la nigériane ou à chaque fois il y a un candidat du nord contre un du sud. Nous ne voulons pas de ça.» Il poursuit en faisant mention de tout son regret quant à « l’absence de dialogue sur le processus électoral de manière générale (…) On doute sur la sincérité du gouvernement à vouloir vraiment rationaliser les candidatures. Ou bien ils ne rationalisent que maintenant parce qu’ils ont un intérêt là-dedans. »
Ce qui est sûr, c’est que le président au pouvoir tient à son fauteuil comme à la prunelle de ses yeux. Il n’est pas prêt à se laisser faire en laissant échapper une nouvelle chance. Cela se voit par l’arrestation de ses principaux opposants politiques, les plus influents. Le fils d’Abdoulaye Wade, Karim Wade, se trouve en exil au Qatar depuis 2015. Khalifa Sall est incarcéré pour cinq ans depuis mars dernier. Enfin, Barthélemy Dias est également enfermé. Toute la machine politique marche désormais en faveur de Macky Sall.
Fousseni TOGOLA
Source: Le Pays