Dans une allocution télévisée en ce lundi 3 juillet 2023, le président de la République du Sénégal, Macky Sall, a mis fin à un suspense qui durait depuis 2019. En effet, dès le lendemain de sa réélection pour un second mandat en février 2019, les rumeurs prêtaient au président Sall l’intention de briguer un troisième mandat en 2024.
Pour cause, le référendum de 2016 ayant réduit le mandat de sept à cinq, donne la possibilité, selon les partisans du président, de solliciter un deuxième quinquennat lors des élections de 2024. Argument bien entendu réfuté par les opposants au régime et une partie de la société civile ainsi que des élites intellectuelles. Dès lors, le pays entrait dans une période de soubresauts politiques.
L’ambiguïté discursive comme stratégie politique
Aux multiples questions posées tant par les médiaux locaux qu’internationaux sur un éventuel troisième mandat, le président Macky Sall ne répondait ni « oui » ni « non. » Selon ses explications, s’il annonçait sa non candidature pour 2024 alors qu’on était à l’aube de son deuxième mandat, cela ouvrirait la voie à des bastilles politiques au sein même de sa coalition. En effet, chaque ministre ou cadre de son parti, Alliance pour la République, pouvait considérer cette annonce comme une opportunité de se positionner. Selon Macky Sall, cela allait entraver le fonctionnement des actions entreprises par le gouvernement. En revanche, s’il avait annoncé depuis 2019 qu’il serait candidat, l’opposition mettrait tout en œuvre pour contrecarrer cette ambition en maintenant le pays dans des tensions permanentes.
Au-delà de ces explications, il faut dire que le président Macky Sall a toujours fait usage des procédés linguistiques qui rendaient ses allocutions floues et par ricochet alimentaient les rumeurs sur un éventuel troisième mandat. Parmi ces allocutions, celle tenue à Paris en juin 2023 a particulièrement attiré l’attention de l’opinion publique. Devant ses partisans, il déclare ceci : « Grâce à notre travail, nous nous maintiendrons au pouvoir. Nous allons nous battre pour vous assurer la victoire en 2024. » L’ambiguïté ici est produite par les pronoms personnels « nous » et « vous. » En effet, s’agit-il là du « nous de majesté » ?, donc une façon de dire « je » ? Dans cette hypothèse, le locuteur (Macky Sall) désigne lui-même. Ce qui voudrait dire qu’il serait candidat.
Sur un autre plan, il peut s’agir du « nous inclusif. » Dans ce cas, il désigne le président et sa coalition politique. On peut alors émettre l’hypothèse que la candidature à la présidentielle sera portée par une autre personnalité politique. Quant au « vous », il peut être analysé de deux façons selon l’éthos (l’image que l’orateur se donne à travers son discours) du président. En effet, lorsqu’on s’intéresse à la circonstance dans laquelle le discours est produit (devant des partisans réunis dans une salle), on peut penser que « vous » désigne les partisans de Macky Sall. Dans ce cas, il fait une prise de position partisane. Une autre hypothèse, également plausible de notre point de vue, est que « vous » désigne le peuple sénégalais dans son ensemble. Le président se placerait alors au-dessus de la mêlée. Une façon de prendre de la hauteur sur les querelles politiques.
Le discours du 3 juillet met donc fin à ce long suspense.
Maintenant qui pour succéder à Macky Sall ?
En politique, lorsqu’une fenêtre ferme une autre s’ouvre. La question de la succession du président Macky est désormais sur toutes les lèvres. D’abord au sein de sa coalition politique, des noms commencent à circuler. Naturellement, les yeux se tournent vers le Premier ministre Amadou Ba. Cependant, ce dernier est relativement peu connu du grand public bien qu’ayant été plusieurs fois ministres. A sept mois des élections, il faudrait une personnalité d’envergure nationale pour espérer remporter le scrutin. A ce niveau, on pourrait reprocher à Macky Sall de ne pas préparer sa succession. Une des qualités des grands leaders est leur capacité à assurer la postérité. Toutefois, il n’est pas trop tard. En effet, Macky Sall dispose d’un bilan jugé satisfaisant aux yeux de nombreux observateurs. Son soutien pour tel ou tel candidat peut avoir un poids politique non négligeable.
La non candidature du président sortant aura incontestablement des conséquences au sein de l’opposition. En effet, le dénominateur commun entre les différents leaders de l’opposition était le combat contre un éventuel troisième mandat. Maintenant que cette éventualité est écartée, les cartes sont rebattues. Rappelons qu’un dialogue national était organisé en fin mai, dialogue auquel des opposants, tel que Khalifa Sall, ancien maire de Dakar, ont participé mais pas Ousmane Sonko, le leader du parti Pastef, qui a décidé de boycotter. Dans les recommandations de ce dialogue national, est question de modifier notamment l’article 28 du code électoral qui a empêché Khalifa Sall et Karim Wade d’être candidats en 2019. Dans son allocution du 3 juillet, le président Macky Sall a annoncé que l’assemblée nationale se réunira dans les prochains jours pour modifier cet article.
Pour Ousmane Sonko, ce dialogue national est plutôt un « deal » entre le président sortant et ces leaders de l’opposition en vue de l’écarter. Il faut dire que Sonko pourrait être affaibli dans le jeu politique sénégalais. En effet, une grande partie de sa popularité reposait sur le combat contre le troisième mandat, désormais, il lui faut trouver un autre argument pour galvaniser ses troupes. Jusque-là, il avait réussi à rassembler l’opposition derrière lui et cristalliser les attentions. Dans la perspective de la réhabilitation de Khalifa Sall et Karim Wade, les voix de l’opposition seront forcément divisées. Sans oublier que Ousmane Sonko n’a pas encore fini avec ses ennuis judiciaires. Bref, le leader du PASTEF est pour l’instant en mauvaise posture. Va-t-il rebondir ? Tout est possible en politique !
Dans la longue tradition démocratique sénégalaise, ce sera la première fois qu’un président organise des élections pour lesquelles il n’est pas candidat. Un discours politique peut donc changer le cours de l’histoire d’une nation.
Brehima Sidibé
Doctorant en analyse de discours politiques à CY Cergy Paris Université
Source : Mali Tribune