Les autorités maliennes vont-elles prendre des mesures pour freiner le pillage systématique instauré par la Direction générale de la Société d’Exploitation des Mines d’Or de Sadiola (SEMOS-SA)? En tout cas, le jeu en vaut la chandelle, rien que de part les pratiques d’outre-tombe en cours dans la gestion de l’administration de cette société minière au Mali.
Selon un rapport d’audit sur les exercices de 2005 à 2014 à la Mine de Sadiola, la mauvaise gestion des ressources humaines et financières et bien d’autres phénomènes jugés diffus sont devenus courants au niveau de la SEMOS-SA. Et si les autorités maliennes pouvaient ordonner, sans complaisance ni parti pris, la vérification de fonds en comble de la Mine de Sadiola-SA, on devrait, peut-être, découvrir un grand réseau de mafieux savamment monté en vue de saccager les fonds.
Témoignages bouleversants
Les travailleurs de cette société minière de renom dénoncent une « mauvaise gestion » de la Direction générale de la société. C’est dans ce sens qu’ils ont réalisé un mémorandum. Objectif : dénoncer un mal anonyme reçu par les travailleurs et des discriminations à l’encontre de certains responsables. Les travailleurs révèlent des « insuffisances » au niveau de la gouvernance de la direction de la SEMOS-SA qui se caractérisent, selon eux, par un « totalitarisme d’une autre époque » et expriment leur totale réprobation vis-à-vis des « disparités criardes » et du « régionalisme » constatés au sein du service.
La Mine d’Or de Sadiola, exploitée par la SEMOS-SA, est une mine à ciel ouvert dont l’exploitation a débuté en 1996. La SEMOS-SA, avec un capital social de 10,900 milliards de FCFA, est la propriété de trois actionnaires qui sont : Anglogold Ashanti avec 41% des actions, la Compagnie canadienne International African Gold Corporation (IAMGOLD) pour 41% des actions et l’État du Mali pour 18% des actions.
La Région de Kayes est l’une des principales zones productrices d’or au Mali. Elle compte plus du tiers des titres miniers délivrés par le Ministère des mines. C’est dans cette Région que se situe la Commune rurale de Sadiola abritant la mine exploitée par la SEMOS-SA. Ainsi de 1996 à fin 2014, la mine a produit au total 216,79 tonnes (T) d’or raffiné pour une contribution directe totale à l’économie nationale, régionale et locale de plus de 567,19 milliards de FCFA dont 420,02 milliards de FCFA pendant la période sous revue. Elle a un effectif de 931 employés dont 32 expatriés. (Source SEMOS)C’est compte tenu de cet enjeu stratégique et de l’apport de la mine d’or de la SEMOS-SA dans l’économie nationale qu’un audit a été initié au niveau de la compagnie.
Du coup, le contrôle de la conformité de la mise en œuvre de la convention d’établissement de la SEMOS-SA a relevé des dysfonctionnements et des irrégularités financières qui se sont caractérisés par des manquements dans la mise en œuvre des dispositions relatives au respect des normes environnementales; et à la collecte des recettes minières.
La SEMOS-SA n’applique pas la Convention d’Établissement
La SEMOS-SA n’applique pas les dispositions relatives au respect des normes environnementales. En effet, elle a installé une centrale thermique ayant des cheminées non conformes. Et l’unité de production d’électricité de la mine comprend 20 groupes électrogènes qui fonctionnent simultanément, sans arrêt. Ces groupes dégagent d’énormes quantités de fumée dans l’atmosphère à travers des cheminées qui ne surplombent pas les toits de l’usine de production d’or située juste à côté. Le non-respect des dispositions réglementaires peut engendrer des problèmes de santé publique et impacter négativement l’environnement. Aussi, la SEMOS-SA n’a ni de dispositif, ni de programmes d’enregistrement et de surveillance des rejets polluants dans l’atmosphère au niveau de son unité de production d’or et de sa centrale thermique. La fumée dégagée par ses deux installations industrielles n’est soumise à aucun contrôle et est rejetée directement dans l’atmosphère. Le non-respect des règles de protection de l’environnement peut avoir des conséquences néfastes sur la santé publique.
Plus grave, la SEMOS-SA dispose de deux stations d’épuration d’eaux usées domestiques présentant des insuffisances de fonctionnement. La première, située dans la Cité minière, laisse passer les eaux usées dans la nature sans traitement biologique du fait du non-fonctionnement des épurateurs et la seconde, située non loin d’une école, fonctionne partiellement. Par ailleurs, les eaux usées domestiques qui sont collectées au niveau des stations d’épuration sont rejetées dans la nature sans traitement adéquat. Au demeurant, déjà en 2009, une étude épidémiologique a établi la contamination des eaux de surface et souterraines. Une telle pratique rend impropres ces eaux à tout usage humain.
La SEMOS-SA a insuffisamment réalisé les reboisements compensatoires et de réhabilitation. Après deux décennies d’exploitation, les superficies compensées et réhabilitées sont respectivement de moins de 10 ha et de 120 ha sur plus de 2 583 ha affectés. Cette faiblesse du taux de réalisation entraîne des dégradations irréversibles de l’environnement.
Malgré cette violation des normes environnementale, la Direction de la SEMOS-SA ne corrige pas les manquements constatés. Elle se rebiffe à mettre en application les dispositions réglementaires en vigueur en matière d’installation de centrale thermique. Non plus, elle n’a pas mis en place un dispositif et un programme d’enregistrement et de surveillance des rejets polluants dans l’atmosphère et communiquer les résultats au Ministère chargé de l’Environnement conformément aux textes en vigueur. Au même moment, les dispositions pour assurer un traitement adéquat des eaux usées de la Cité minière n’est pas à l’ordre du jour. S’y ajoute, le refus catégorique de la Direction générale de la SEMOS de renforcer les actions de reboisement compensatoire et de réhabilitation des zones dégradées, conformément aux engagements pris.
Des écarts dans la collecte des recettes minières
S’agissant de la mise en œuvre des dispositions relatives à la collecte des recettes minières, il y a des manquements plus graves les uns que les autres.
En effet, le Directeur de la SEMOS-SA n’a pas fait transiter par la Banque Centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) des montants en devises issus de la vente d’or. La compagnie minière a réalisé une vente d’or totale de 1603,23 milliards de FCFA, de 2005 à 2014, dont le montant, en devises, a été directement versé sur son compte offshore sur lequel 517,21 milliards de FCFA, soit 32%, n’ont pas transité par le Mali, à travers la BCEAO, comme l’exige sa Convention d’Établissement. Pire, le Conseil d’Administration de la Mine a illégalement contracté des emprunts. Comme par magie.
Cependant, la SEMOS-SA a contracté deux emprunts, dans le cadre d’un projet, d’environ 39,45 milliards de FCFA sans consulter le Gouvernement malien, comme l’exige le Code Minier.
En outre, les intérêts sur les dépassements du montant du capital social, à hauteur de 1,45 milliard de FCFA, ne devraient pas être mis en charges immobilisées de la Société.
Et comme si cela ne suffisait pas, le Directeur de la SEMOS-SA a illégalement contracté des emprunts. En 2012, pour deux emprunts d’un montant total de 20,79 milliards de FCFA auprès des deux principaux actionnaires de la société (Anglogold et Iamgold), il n’a pas requis l’autorisation préalable du Conseil d’Administration, seul organe habilité à cet effet. Ces deux emprunts illégalement contractes et remboursés en 2014 aux deux actionnaires majoritaires que sont ANGLOGOLD ASHANTI et IAMGOLD, avec un intérêt indus de 1,21 milliard FCFA ont ainsi diminué le résultat d’exploitation de la SEMOS-SA. Aussi, le Directeur de la SEMOS-SA n’a pas payé à l’État toutes les Contributions pour Prestation de Services rendus (CPS). Il n’a pas payé la CPS des mois d’août et de septembre 2013 et des mois de juin, juillet et septembre 2014. Le montant total de la CPS non payé est de 706,56 millions de FCFA.
Plus grave encore, le Directeur de la SEMOS-SA n’a pas appliqué la base légale de calcul de la patente. En effet, de 2005 à 2013, il n’a pas intégré dans sa base de calcul le montant de certains éléments de la rubrique «construction temporaire » liés à la production. Le montant de la patente correspondante due est de 28,26 millions de FCFA.
En bloc, la gestion de la SEMOS-SA de 2005 à 2014 a subi une fraude financière de 1,950 milliard FCFA (1 950 459 463F) dont 1,215 milliards (1 215 640 290F) d’intérêts indûment payés aux sociétés minières Anglogold Ashanti et Iamgold, suite à des emprunts illégalement contractés.
À qui profite ce genre d’activités mafieuses? Et tout le monde s’interroge actuellement si l’État malien ne sera pas roulé dans la farine par la Direction de la SEMOS-SA, depuis qu’elle a annoncé la fermeture définitive de la Mine de Sadiola à partir du 15 avril 2020. (Nous y reviendrons dans nos prochaines éditions. Gardez votre souffle).
En tout cas, voilà une situation qui loin de troubler l’ordre public (comme rapporteraient les maffiosi de la république), sonnerait comme une véritable alerte aux oreilles de nos dirigeants. Si en réalité le régime veut aller loin, il ferait mieux de tirer au clair les affaires en cour au niveau des compagnies minières opérant au Mali. Sa crédibilité en dépend aussi, même si il peut cacher d’autres affaires managées par des proches. Sauf s’il veut à l’instar de certains gouvernements d’État devenir une menace pour le Mali.
Affaire à suivre.
Jean Pierre James
Source : Nouveau Réveil