Elles s’adaptent mieux aux caprices du climat et sont plus productives que les locales. Leur vulgarisation peine à obtenir le succès escompté à cause du manque de personnel d’encadrement
Les effets néfastes du changement climatique qui se manifestent généralement par la rareté des pluies et l’appauvrissement des terres agricoles, plombent la productivité dans plusieurs zones productrices de céréales de notre pays. Pour faire face aux aléas climatiques qui se font de plus en plus menaçants, la recherche a amélioré plusieurs variétés de semences pour soutenir les activités du monde rural. Cela, dans le souci de renforcer la résilience de nos producteurs et l’adaptation des cultures à la dérèglementation climatique.
Le Mali, pays à vocation agro-sylvo-pastorale, est l’un des rares pays qui allouent 15% de son budget national à l’agriculture, depuis des années, pour assurer son autosuffisance alimentaire. L’un des vecteurs clés du dispositif de production agricole reste la filière semencière. En la matière, les chercheurs de l’Institut d’économie rurale (IER) sont à pied d’œuvre pour améliorer les différentes variétés de semences dans le but d’accroître la productivité agricole afin d’assurer cette souveraineté alimentaire, dans un contexte de dérèglement climatique.
Selon le chef de Programme système de production et gestion des ressources naturelle de l’IER, basé à Sotuba, le changement climatique est plus qu’une réalité et les paysans le savent mieux que tout le monde. Ses indices sautent aux yeux : absence de mares à proximité des villages, la rareté des arbres, le vent chaud et le manque de pluies, décrit Dr Kalifa Traoré.
Pour faire face à ces contraintes, la stratégie privilégiée est le choix variétal. «Lorsqu’un paysan cultive une variété, dont le cycle est de six mois (du semis à la récolte), tandis que la saison des pluies ne dure que quatre mois, il est impératif de trouver des variétés qui s’adaptent à la durée de la saison pluvieuse. Plusieurs variétés de mil, de sorgho, d’arachide, de niébé développées dans ce sens, sont adaptées à toutes les zones. Une variété à cycle court doit toujours être privilégiée dans une localité où la saison des pluies est courte. En faisant ce choix, on s’adapte aux caprices du changement climatique», conseille Dr Kalifa Traoré, assurant que leur expérimentation en milieu paysan a prouvé qu’elles permettent de booster la productivité.
Rappelons qu’il existe plusieurs programmes de recherche chargés de développer les nouvelles variétés de semences notamment, les programmes mil, maïs, niébé, sorgho, arachide, coton, blé, riz, et les programmes bovin et volaille.
Les chercheurs créent ces nouvelles variétés de semences de cycle court appelées des variétés précoces pour faire face aux effets néfastes du changement climatique. Selon le chef du laboratoire d’analyse de semences de qualité au Mali, ces variétés sont créées suivant un schéma classique de sélection qui peut aller de cinq à dix ans suivant les espèces. Les variétés une fois créées, subissent les tests de distinction d’homogénéité et de stabilité (DHS) et de valeur agronomique, technologique et environnementale (Vate) de la Cédeao, précise Dr Dionkounda Camara.
LE RENDEMENT AUGMENTÉ À HAUTEUR DE 30% À 40%- «Quand les variétés répondent à ces critères, elles sont contrôlées par une commission d’homologation composée de plusieurs équipes pluridisciplinaires en l’occurrence les chercheurs, les laboratoires, les universités et l’association semencière du Mali. Les semences homologuées doivent être inscrites dans le catalogue des espèces et variétés du Mali», explique l’expert. Il révèle que l’édition 2020 de ce catalogue contient 298 nouvelles variétés pour neuf espèces. Il s’agit, ajoute le chef du laboratoire d’analyse de semences de qualité au Mali, de : mil, maïs, sorgho, niébé, riz, arachide, tomate, oignon et échalote. «Elles peuvent être multipliées par les producteurs et certifiées par le laboratoire de semences», précise le spécialiste.
Les nouvelles variétés de semences hybrides : tamalaka, farako, filani, brigo, etc. sont très précoces et appréciées par les producteurs, révèle Dr Dionkounda Camara. Elles répondent, selon lui, à un critère de qualité qui augmente le rendement à hauteur de 30% à 40%.
Concernant le programme sorgho, près de 70 nouvelles variétés sont inscrites sur le catalogue officiel. Parmi lesquelles quelques dizaines de variétés sont prisées par les producteurs et les compagnies semencières, souligne l’expert. Il ajoute que certaines variétés de maïs telles que Douba et Djorabana sont très riches en protéine, notamment en provitamines A, donc avantageux pour la santé de l’enfant.
Sélectionneur au programme maïs, Dr Mamoudou Mory Coulibaly est chargé de la production et de l’homologation des variétés de maïs. Ce programme comptabilise des variétés à pollinisation libre et des hybrides. Les variétés de maïs à pollinisation libre sont de deux types : la blanche et la jaune.
Le maïs jaune est très prisé par rapport au maïs blanc qui est produit dans la zone de Sikasso pour la consommation. Il est produit dans toutes les autres zones. Les gens l’utilisent pour l’alimentation de la volaille et des bovins, raison pour laquelle elle est prisée, explique Dr Mamoudou Mory Coulibaly.
CYCLE DE 75 À 80 JOURS- Les variétés de maïs blanc améliorées sont djorobana, djiguifa, denbagnouma et soden. Celles de maïs jaune comprennent : sotubaka, sotubaka teliman, brico. La gamme de variétés : nafama, n’tchi, dakan et Tièblenkè, en plus de leurs potentialités, sont riches en pro vitamine A. «Elles ont été créées pour la nutrition et l’amélioration de la santé des enfants», explique Dr Mamoudou Mory Coulibaly. Il souligne que la gamme de variétés hybrides homologués au Mali comprend : filani et farako, «deux variétés de couleurs jaunes très prisées», tout comme la variété Sahel kaba, dont le cycle est de 75 à 80 jours, ajoute le spécialiste. S’y ajoute, selon lui, la variété tièba, un hybride blanc.
La production pérenne de toutes ces variétés nécessite une synergie d’action entre l’ensemble des acteurs de la chaîne. «La recherche n’a pas tous les moyens de maintenir chaque année toutes ces gammes de semences de maïs. Nous avons demandé aux compagnies semencières de faire un contrat avec l’IER. à la suite de ce contrat, elles exprimeront leurs besoins et la recherche, à son tour, leur fournira des semences. Généralement, les compagnies semencières viennent au début de la campagne pour demander les semences. Si la recherche n’est pas aussitôt avertie afin de produire à l’avance, cela pose un problème.
D’où la nécessité d’établir un contrat entre les deux entités pour que les compagnies semencières puissent obtenir les semences à temps afin de les vulgariser pour la campagne suivante», suggère Dr Mamoudou Mory Coulibaly. Il précise que toutes ces variétés de semences améliorées par la recherche sont très productives et de cycle court par rapport aux variétés locales. Aussi résistent-elles aux mauvaises herbes, à cause desquelles des paysans abandonnent complètement leurs champs, détaille le chercheur.
Une autre raison est que les variétés améliorées augmentent la productivité agricole. «Actuellement, les variétés améliorées battent de loin les locales. Dans le temps, on produisait une à deux tonnes de maïs à l’hectare. Aujourd’hui, le paysan fait, au minimum, trois tonnes à l’hectare. Un paysan bien averti peut produire entre quatre à six tonnes à l’hectare», explique le spécialiste.
MANQUE DE PERSONNEL- En dépit des prouesses avérées et démontrées sur le terrain, la vulgarisation et l’appropriation de ces nouvelles variétés par les producteurs, posent d’énormes problèmes. Pour preuve, sur le terrain, les semences locales sont utilisées jusqu’à 80% par les producteurs, contre seulement 20% pour les semences améliorées, illustre le chef du laboratoire d’analyse de semences de qualité au Mali.
En effet, quand la recherche crée de nouvelles variétés, elles sont mises à la disposition des vulgarisateurs à la direction nationale de l’agriculture (DNA), rappelle Dr Dionkounda Camara. Ce dispositif fonctionne mal maintenant à cause du manque de personnel. Les experts sont, selon lui, obligés de prendre le relais de ces agents vulgarisateurs en organisant des séances de démonstration avec les coopératives et les compagnies semencières pour promouvoir les nouvelles variétés auprès des paysans.
Pour Dr Kalifa Traoré, la formation des techniciens est nécessaire afin de mettre les producteurs au diapason des nouvelles techniques culturales. Les ONG, les bureaux d’études et les organisations paysannes doivent également s’impliquer pour une meilleure vulgarisation de la technologie au profit des producteurs, plaide-t-il, tout en reconnaissant qu’il se pose un problème financier, car tout le monde n’a pas le moyen de s’acheter ces nouvelles variétés.
Makan SISSOKO
Source : L’ESSOR