Il lui est reproché d’avoir émis des doutes sur la véracité des accusations du Président Zelensky concernant des “crimes de guerre attribués à la Russie”, par exemple le massacre de Boutcha ou les victimes de la maternité de Marioupol. Elle a rappelé à ce propos le précédent des guerres contre l’Irak et les mensonges qui leur avaient ouverts la voie.
Il est reproché aussi, et peut être surtout, à Ségolène Royal, d’avoir affirmé que l’instrumentalisation de ces crimes à des fins de peur et de terreur, a servi chaque fois à empêcher tout processus de paix.
L’argument principal de ceux qui lui reprochent ses propos, est que ces crimes ont été répertoriés, et que la responsabilité de la Russie est “évidente”, indiscutable. Or précisément ce n’est pas le cas. Aucune condition n’a été en effet créée pour des enquêtes indépendantes. En attendant, il s’agit d’une vérité qui a toutes les allures d’une vérité officielle. Méfions-nous des évidences trop criardes.
Des crimes de guerre pas si évidents
À Boutcha bien après le départ des Russes, on découvre des cadavres bien en vue dans les rues comme si l’armée russe avait voulu se dénoncer elle-même. Même chose à la gare de Kramatorsk, où le missile découvert sur le sol est même signé par les Russes par l’inscription “Pour nos enfants”. Pour la maternité de Marioupol, le principal témoignage est celui d’une mère, bien connue car ayant été influenceuse sur Internet, qui déclare que c’est le fameux bataillon Azov qui a tiré sur la maternité et non les Russes.
Comment ne pas avoir de doutes. C’est justement l’’essence même du métier de journaliste de douter, d’enquêter, de chercher la vérité. Mais désormais, à propos de l’Ukraine, dans les grands médias français, la version officielle est présentée comme une évidence à une opinion qu’on veut sidérer par une unanimité bruyante autour des accusations contre la Russie. Et malheur à celui qui émet la moindre réserve. Ne pactise-t-il pas avec l’ennemi ? Amnesty International elle-même, pourtant connue pour son sérieux et son intégrité, a été la cible d’une furieuse campagne médiatique. Son tort avait été, après une enquête scrupuleuse et contradictoire, de dire et de prouver que les victimes civiles étaient aussi le fait des procédés de l’armée ukrainienne et pas seulement de l’armée Russe, même si, disent-ils, “l’armée russe a la plus grande part dans les souffrances civiles”.
Lorsque Ségolène Royal soulève, contre elle, la colère en attirant l’attention sur le précédent irakien, elle a pourtant parfaitement raison. Dans les deux guerres d’Irak, le mensonge a joué un rôle essentiel. Dans la première guerre, ce fut la fable, médiatisée de façon délirante, des nouveaux nés koweitiens qui auraient été retirés de leurs couveuses et jetés à la mort. Dans la deuxième guerre, le prétexte a été le mensonge désormais historique des “armes irakiennes de destruction massive”. Il y a aussi la Libye, où le mensonge a été, là, celui de massacres de masse commis à Benghazi par l’armée de Kadhafi. Il a servi à faire pression sur le Conseil de sécurité de l’ONU pour justifier l’urgence de l’intervention etc. Pourquoi donc cela ne se répèterait-il, ici, pas avec les mêmes buts de manipulation de l’opinion.
Le doute et le libre arbitre interdits
Mais ce qu’on ne pardonne pas, et peut être encore plus à Ségolène Royal, c’est d’émettre l’idée que la propagande, l’exploitation extrême ainsi de la peur et des facteurs émotionnels sont le fait des va-t-en guerre, et ont pour but d’empêcher tout processus de paix. Et pourtant, de fait, on est obligé de noter au moins une coïncidence entre le drame de Boutcha et simultanément l’arrêt immédiat, par le président Zelensky du dialogue de paix qui s’était amorcé ainsi que la décision en même temps des États-Unis de s’engager à fond dans la guerre et l’armement de l’Ukraine. De la même façon, pour certains autres épisodes de “crimes de guerre”, ils ont été chaque fois l’occasion de nouvelles escalades aussi bien dans les sanctions économiques que dans l’armement de l’Ukraine.
Ce qui dénote la situation délétère qui se développe en France, c’est l’exploitation que font les va-t-en guerre de la situation en Ukraine pour s’attaquer aux libertés, pour bâillonner les gens, pour étouffer la liberté d’expression sur ce sujet. Ségolène Royal est coupable de douter du récit officiel dominant. Le doute, le libre arbitre au sujet de l’Ukraine n’est pas permis. Il est considéré avec suspicion, comme une quasi trahison. Il n’y a de place que pour ceux qui renchérissent, pour prouver leur loyauté aux thèses dominantes, et qui participent au flot ininterrompu et récurrent de propagande.
L’agresseur et l’agressé
Tous ceux qui seraient tentés de proposer un autre récit sur la genèse du conflit, sur ses causes profondes, sur la responsabilité de l’OTAN par exemple, tous ceux qui veulent aller au-delà des apparences, tous ceux qui ne vont pas dans le sens de la thèse centrale qu’il y a “un agresseur et un agressé” , tous ceux-là sont regardés avec suspicion. Il y a, là, un véritable terrorisme intellectuel. Il rappelle celui qui a régné aux États-Unis à l’occasion des guerres en Irak et qui avait pour but d’effrayer les voix discordantes ; beaucoup d’intellectuels, avaient alors cédé à cette pression totalitaire pour se joindre aux positions officielles. On sait aujourd’hui ce qu’il en est advenu et la honte et le regret de certains d’entre eux. Ségolène Royale a bien raison de rappeler cet épisode et les positions courageuses alors du président Chirac et du premier ministre Dominique de Villepin. Aujourd’hui de nombreuses forces politiques françaises, dont les principales d’opposition, la “France insoumise” et le “Rassemblement national”, ont été obligées, dans cette ambiance totalitaire autour du conflit ukrainien, de faire profil bas et de partager, au moins en partie la thèse “politiquement correcte”. Ce qui n’a servi à rien, car le parti de la guerre ne s’est pas privé de leur rappeler, moqueur, leurs positions de départ. Il n’y pas jusqu’au président Macron qui n’ai fait l’objet d’une campagne hostile lorsqu’il a proposé ” de ne pas humilier la Russie”. Il a été obligé de vite battre en retraite et même de devenir parfois plus radical que le courant atlantiste et va-t-en guerre.
Personne n’a osé dire de front que la version sommaire d’un agressé et d’un agresseur ne tenait pas la route et empêchait toute perspective de paix. Une atmosphère délétère s’installe qui du refus de la liberté d’expression et du libre arbitre sur le conflit en Ukraine risque de s’étendre peu à peu aux libertés démocratiques en général, à d’autres secteurs de la vie politique et même économique en France. Comment en effet s’opposer aux sacrifices économiques et sociaux qui sont demandés par le parti de la guerre si on accepte la thèse de l’agresseur et de l’agressé et son corollaire, la solidarité totale et sans limites avec le pouvoir ukrainien ? Comment émettre des réserves sur les sacrifices demandés, si on vous dit que ce qui est en jeu est existentiel en cela qu’il s’agit, dans ce conflit, de la défense de la liberté et des valeurs occidentales.
Guerre et paix
Par ses positions, Ségolène Royal montre bien ce qui distingue le parti de la guerre de celui de la paix : le premier ne voit dans les victimes, le sang, les larmes et les douleurs que des raisons de plus de haine et de plus de guerre, tandis que le deuxième n’y voit que des raisons de la nécessité urgente de la paix.
Le parti de la guerre ne pouvait pas ne pas attaquer Ségolène Royal. car il sait que son message porte d’autant plus qu’elle est crédible : elle a obtenu près de 47% des voix aux élections présidentielles de 2007, Elle est connue pour ses positions progressistes sur le plan social, sur celui de l’environnement, sur la défense des populations issues de l’émigration. Elle est connue aussi pour son indépendance d’esprit, son non-conformisme, avec des positions parfois à contre-courant de l’establishment comme sa défense de Cuba.
Ségolène royal savait probablement qu’en exposant ses positions elle serait la cible du parti de la guerre et de tous ses moyens politiques et médiatiques. Mais elle l’a fait. Ceci s’appelle le courage.
Source: Le grand soir.info